1.2 L’agencement séquentiel des réformes

Le rythme de la mise en œuvre des réformes n’est pas l’unique différence entre les partisans de la thérapie de choc et ceux du gradualisme. L’enchaînement des mesures réformatrices l’est aussi. L’ordre des actions réformatrices des partisans du consensus de Washington devrait être revu de fond en comble selon les gradualistes.

Avant de s’intéresser aux termes de ce débat sur l’enchaînement « adéquat » des actions pour les économies en transition, présentons les onze tâches économiques de la transition  sur lesquelles la plupart des économistes s’accordent ; il s’agit de :

a- la stabilisation économique des Economies En Transition (EET) ;

b- la libéralisation des prix, de change, du commerce intérieur et extérieur ;

c- l’abandon de la planification directive ou la suppression des subventions étatiques ;

d- la privatisation des petites et grandes entreprises en propriété d’Etat ;

e- la création de nouvelles entreprises privées (start-up) ;

f- l’introduction des marchés concurrentiels et la démonopolisation de l’EET ;

g- la restructuration de l’industrie, de l’agriculture et l’expansion des services ;

h- la flexibilité et la mobilité de travail, le marché imposant une discipline du travail (menace du chômage) que n’avait jamais réussi à imposer le rapport salarial des Economies Centralement Planifiées ;

i- l’ouverture extérieure et une nouvelle insertion de l’EET dans l’économie mondiale ;

j- la réforme du système bancaire et financier ;

k- l’adoption de nouvelles lois et institutions stables permettant de faire respecter les réformes précédentes et leurs résultats, telles qu’une réforme fiscale, une administration des impôts, une assurance chômage et des organismes de régulation. »

A en croire W. Andreff, la différence entre les partisans du consensus de Washington et les gradualistes se posait comme suit :

Les choix des partisans de la thérapie de choc portent sur la mise en œuvre simultanée des onze réformes listées ci-dessus. Conformément à leur conception du facteur temps en période de transition, ils préconisent le rythme le plus accéléré possible. Dès lors, le critère d’évaluation des réformes se mesure par l’application des mesures a+b+d (voir ci-dessus) avec b qui implique c+i. En d’autres termes : stabilisation, libéralisation et privatisation avec, comme effet induit, l’abandon automatique de la planification et l’ouverture sur l’extérieur.

De leur côté, selon le même auteur, les gradualistes confectionnent leur démarche comme suit : « 1/ la gestion de la crise systémique (a+g), 2/ destruction de l’ancien système d’ECP (c+d+g+i), 3/ construction d’un nouveau système (b+e+f+h+j+k) » 313. Dit autrement, les gradualistes privilégient la démarche progressive distinguant entre l’urgence de la gestion de la crise et la construction d’un nouveau système économique sur les décombres de l’ancien. En tout cas, pour les gradualistes il n’est nullement utile de détruire brutalement les structures de l’ancien système avant la mise en place progressive de l’environnement économico-institutionnel permettant au nouveau système de s’épanouir. Cette conviction a conduit les gradualistes vers une prise en compte de l’importance des institutions en période de transition vers le marché : « Le succès d’une stratégie économique exige un soin extrême dans l’établissement du calendrier -l’ordre dans lequel sont effectuées les réformes- et dans le choix du rythme. Si par exemple, les marchés sont ouverts trop précipitamment à la concurrence, avant la mise en place d’institutions financières fortes, les emplois vont être détruits plus rapidement qu’on ne pourra créer de nouveaux » 314 , souligne J. Stiglitz.

Notes
313.

Toutes les citations que contient ce paragraphe sont de W. Andreff, L’économie de la transition, Op.cit.p 51.

314.

J. Stiglitz, La Grande désillusion, Fayard Paris 2002. p. 50.