1.3 Le rôle des institutions en période de transition

Longtemps négligé, le rôle des institutions dans la transition vers le marché prend une place de plus en plus importante dans les analyses consacrées à la transition. Les « dérives », constatées dans la conduite des réformes dans de nombreux pays à l’image de la Russie, ont conduit plusieurs chercheurs à poser la problématique du rôle de l’Etat en période de transition. Parmi les plus célèbres travaux consacrés à la question de l’importance des institutions, on cite ceux de Joseph Stiglitz.

Prix Nobel d’Economie en 2001, parmi les principaux conseillers économiques de Bill Clinton à partir de 1993315, ancien Vice-président de la Banque Mondiale de 1997 à 2000, J. Stiglitz se, consacre depuis plusieurs années, à l’analyse de l’impact de la mondialisation sur les pays en développement. Il développe dans son célèbre ouvrage « La grande désillusion », une analyse critique sévère de ce que l’on appelle le consensus de Washington auquel il reproche, entre autre, sa négligence du rôle économique des institutions en période de transition. Il souligne en effet au tout début de son ouvrage que « les prescriptions du FMI, en partie fondées sur l’hypothèse dépassée selon laquelle le marché aboutit spontanément aux résultats les plus efficaces, n’autorisent pas les interventions de l’Etat sur le marché » 316 .

Tout au long de son ouvrage, J. Stiglitz dénonce « le fanatisme du marché » et la double connivence des Institutions Financières Internationales avec les milieux financiers internationaux et les gouvernements, eux même au service des milieux d’affaires de leurs pays au détriment de la majorité de la population. A partir de l’analyse des résultats de plusieurs expériences de transition, il parvient à conclure que la réforme des institutions en périodes de transitions est aussi importante que les mesures libéralisatrices proprement dites. Il affirme en effet que « la crise financière asiatique à été due à l’absence d’une réglementation suffisante du secteur financier ; au capitalisme maffieux russe, à l’incapacité de l’Etat à faire respecter les principes de base d’un ordre légal. La privatisation réalisée dans les pays en transition sans l’infrastructure institutionnelle nécessaire a conduit au pillage des actifs et non à la création de richesses. Dans d’autres pays, les monopoles privatisés, en l’absence de toute réglementation, se sont montrés plus aptes à exploiter les consommateurs que les monopoles d’Etat » 317 . En résumé, l’auteur, tout en défendant le principe de la nécessité des réformes institutionnelles pour une transition réussie des Economies Centralement Planifiées vers le marché, plaide pour une politique et une philosophie économique qui mettrait l’Etat et le marché dans un rapport de complémentarité. En ce sens, l’affiliation de ses analyses à celles de K. Polanyi et de Keynes est évidente.

L’affirmation de la nécessité d’engager les réformes institutionnelles comme une condition de succès de la transition vers le marché à été affirmée également par plusieurs courants. Nous citerons à la suite de W. Andreff, les analyses postkeynésiennes de la transition, les travaux adoptant les approches évolutionnistes et institutionnalistes, la nouvelle analyse économique comparative, etc. Actuellement, les auteurs de ces multiples travaux; aussi novateurs les uns que les autres; tentent de définir un nouveau modèle de transition gradualiste et moins standard, c'est-à-dire tenant compte à la fois de l’ordre des réformes et du rythme de leur mise en œuvre avec une prise en considération de la dimension institutionnelle en fonction des réalités de chaque pays. Ce nouveau modèle qui se veut alternatif est nommé symboliquement le « Consensus Post-Washington ». Une manière de signifier la fin du Consensus de Washington318 .

Notes
315.

Membre de Council of Economic Advisers (CEA) qui est un comité composé de 3 experts nommés par le Président américain pour conseiller en matière économique les institutions du pouvoir exécutif américain.

316.

J. Stiglitz, La Grande désillusion, Op.cit.p. 21.

317.

J. Stiglitz, La Grande désillusion, Op.cit.p. 349.

318.

Pour une analyse détaillée des apports de chacun des courants cités, ainsi que sur les débats portant sur le nouveau consensus de Washington » - l’expression est à J. Stiglitz- voir W. Andreff, l’Economie de la transition, Bréal éditions 2007.