2.2.3 L’émergence de l'Etat national

L'Algérie accède à l'indépendance le 3 juillet 1962, après 132 ans de colonisation et une guerre de libération longue et meurtrière. La conduite de la guerre fut opérée par un seul parti, le FLN. Ce dernier se proclama, dès sa naissance, seul représentant légitime du peuple algérien. Il mobilisa l'ensemble de la société contre la présence coloniale. Comme le souligne M. Harbi : « Depuis son entrée en lice (le FLN) exigea la dissolution de l'ensemble des mouvements et partis existant avant 1954. Il supprima de fait toute compétition entre partis, groupements d'intérêts et classes. L'unique mot d'ordre fut le rassemblement de toutes les forces politiques autour d'un seul parti (le FLN) et d'un seul mot d'ordre l'indépendance » 332 .A l’instar des partis et des mouvements nationalistes de libération, le FLN n'était pas un parti politique au sens classique du terme, il n'était pas non plus un front uni333. Il se posait comme le défenseur de toute la communauté face à l'ordre colonial. Les forces politiques le composant étaient certes issues de divers horizons, mais les dirigeants du FLN en guerre n'avaient pas jugé nécessaire de se doter d'un programme politique et d'un projet de société pour l'Algérie indépendante. L'objectif du FLN était pratique et circonscris : libérer le pays par l'action armée. Cette stratégie de fusion de diverses forces sociales sans la synthèse politique et idéologique que cette entreprise recommande pourtant, s'est avérée efficace pour éviter les divisions et mobiliser efficacement toutes les couches de la société contre la colonisation.Cependant, les conséquences de cette situation furent, une fois l'indépendance acquise, un puissant handicap pour le développement politique et économique de la société. Les limites du nationalisme algérien se sont révélées dès les premières années de l’indépendance : nationalisme, populisme et autoritarisme ont caractérisé, jusqu’à ce jour, le régime politique algérien et l'Etat qu'il s'est donné pour mission de construire. À ce propos, il convient de rappeler cette réflexion combien significative de M. Harbi lorsqu'il souligne que : « Il est certes un peu gratuit de se demander comment les choses se seraient passées si le FLN, tout en s'en tenant à la lutte armée, avait opté pour une autre procédure d'unification des forces politiques. Mais la question mérite d'être posée, car le mot d'ordre « d'abord l'action » deviendra « d'abord l'armée » 334 . A partir de là, s'est amorcé la privatisation de l'Etat en gestation et surtout sa militarisation.

Pour expliquer la nature du régime algérien au lendemain de l'indépendance, ses conceptions de l'Etat et son rapport avec la société, un rappel de l'idéologie du mouvement national est indispensable.

Notes
332.

M. Harbi,  L'Algérie et son destin croyants ou citoyens. Op.cit.p.92.

333.

Sur ce point nous renvoyons à cette réflexion de L. Addi : « au vu de leurs programmes, l'on se demande si les partis du mouvement national sont des partis politiques au sens que leur donne la culture occidentale. En effet, ils ont la particularité de défendre et de vouloir représenter tous les algériens. C'est ce qui explique leur caractère hégémonique et anti-démocratique. Un parti, dans la définition traditionnelle, est l'expression politique d'une ou plusieurs catégories sociales dont les intérêts essentiellement économiques sont défendus à un niveau national. Le parti, en Europe, est le moyen par lequel sont régulées la vie politique et la compétition pour le pouvoir (…) transposée en situation coloniale, cette définition du parti perd toute pertinence ; le système colonial, en institutionnalisant l'inégalité à travers la législation d'exception, le code de l'indigénat, le double collège(…) n'arrive pas à créer une collectivité politique à vocation unitaire, d'où le recours à la violence légalisée pour son maintien. Ainsi, les partis politiques qui revendiquent sans équivoque l'indépendance violent la légalité coloniale qu'ils contestent. Leur rôle n'est pas de vouloir maintenir l'unité de la collectivité coloniale ; ils expriment des contradictions dont la solution ne peut être que fatale à cette collectivité politique dans laquelle ils ne se reconnaissent pas. C'est pourquoi, il ne peut s'agir de partis, au sens ordinaire, exprimant des conceptions philosophiques et idéologiques en cohérence avec les intérêts de classe. (…) dans ces conditions, la notion de parti politique perd tout son sens. » L. Addi, L’Impasse du populisme… Op.cit. pp. 76-77.

334.

M. Harbi,  L'Algérie et son destin croyants ou citoyens, Op.cit. p. 93.