Conclusion genrale

Nous avons souligné au début de ce travail les difficultés d’ordre méthodologiques que pose l’étude de la sphère marchande de l’Algérie. Ces difficultés proviennent de la nature de la rationalité régulatrice qui commande l’affectation des flux de richesses dans ce pays. En effet, dans un espace où l’économie ne s’est pas encore émancipée de la politique, et où la rente domine les rapports entre l’Etat et la société, le choix de l’approche à adopter devient problématique. L’exemple des limites de la science économique dans sa version récente ou classique est à ce propos édifiant.

Bien que ce ne soit pas son objectif principal, la présente étude a montré que le recours à la sociologie politique est une piste féconde pour dépasser l’impasse méthodologique que rencontrent les chercheurs, notamment en économie pour comprendre les mécanismes rentiers en Algérie.

L’analyse de l’histoire économique algérienne, en nous appuyant sur le cadre conceptuel de la sociologie politique, nous a permis de mieux cerner la nature des obstacles aux réformes économiques en Algérie. Cette dernière est foncièrement politique, compte tenu des caractéristiques du système politico-économique algérien -traitées tout au long de la présente étude.

Ce système obéit à une logique d’ensemble dont la continuité ne fut remise en cause ni par les multiples changements à la tête de l’Etat, ni par les différents mouvements de réformes économiques engagés depuis le début des années 1980. Au-delà des revirements spectaculaires que l’on observé de temps à autre, le système demeure fondamentalement inchangé : l’encastrement du champ économique dans la sphère politique, et l’utilisation des ressources économiques pour le maintien au pouvoir, figurent parmi les constantes qui symbolisent la continuité du système malgré les multiples réaménagements qu’il a connu notamment ces trois dernières décennies. Cet état de fait, résume toute l’ambiguïté du régime politique algérien qui, d’un côté, cherche à annihiler le déficit des entreprises publiques qui stérilise la rente pétrolière et d’un autre, ne veut pas renoncer à l’utilisation de l’économie à des fins de domination de la société.

Dès lors, la question des réformes économiques en Algérie oscille selon la conjoncture entre un discours politique prônant la réforme et des pratiques économiques produisant et accentuant les déficits. A ce propos, trois observations sont importantes à soulever :

Premièrement, le lien de corrélation toujours vérifié entre l’amorce (et l’arrêt) des réformes et les entrées en devises dans les caisses de l’Etat. En effet, que ce soit à la fin des années 1980 ou au milieu des années 1990, c’est toujours le niveau des recettes pétrolières qui a commandé la relance et l’abandon des réformes économiques. Ainsi, il est aisé de constater que dès que la hausse des prix mondiaux des hydrocarbures s’est installée dans la durée (1998-2010), l’Etat algérien renonça à l’idée de réforme économique. A la place et au lieu de cette dernière, le discours officiel évoque la relance économique comme si la crise de l’économie algérienne n’avait été que conjoncturelle.

Deuxièmement, aucune expérience de réformes n’a été menée à terme, y compris celle de l’ajustement structurel pourtant appliquée sous la surveillance du FMI et des créanciers traditionnels de l’Algérie (UE, USA, etc.). Elles ont toutes été arrêtées à mi-chemin, sans bilan et sans débat public quant à leurs résultats. Enfin, tous les projets de réformes initiés émanaient du régime politique qui est, depuis les années 1980, le seul initiateur des réformes et le premier à les remettre en cause. Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, l’Etat, ou le régime politique qui l’a investit, est le premier et principal obstacle devant l’aboutissement de la transition algérienne vers le marché.

Enfin, à cause de la rente pétrolière le régime politique s’autonomise et exerce une domination sur la société civile, en empêchant sa formation de plusieurs manières :

De part l’idéologie politique qui l’anime, le pouvoir algérien est obsédé par la confiscation de tous les pouvoirs à la société aux premiers desquels il y a le pouvoir économique. Les nationalisations du temps de la planification centralisée et le contrôle étatique d’accès au marché après les « réformes », sont inscrits dans cette perspective. En ce sens, la rente permet au régime de ne pas dépendre de l’impôt, donc d’une économie productive. Ce faisant, il empêche l’émergence de couches sociales productives et entreprenantes en favorisant celles qui se reproduisent par le captation de la rente.Sur le plan politique, le pouvoir se prémunie contre l’émergence de forces politiques concurrentes et autonomes issues de la société civile par l’interdiction pure et simple de toute activité politique, la corruption et la violence. La multiplication des scandales, essentiellement dans la sphère financière et dans les marchés publics, le déni de la liberté de représentation politique et syndicale, l'interdiction des manifestations publiques et les violations massives des droits de l’homme sous couvert de l’état d’urgence qui dure depuis 1992, en sont des signes symptomatiques.

Enfin, le pouvoir favorise la paupérisation culturelle de la société par l’encouragement de la diffusion des idées rétrogrades à travers l’école, que d’aucun qualifient de sinistrée. L’objectif est de maintenir l’esprit communautariste dans lequel l’individu n’a pas de place.

Cependant, il est fort à parier que cette situation de blocage manifeste dans laquelle vit et évolue la société algérienne ne va pas se perpétuer. Cette assertion est justifiée par au moins quatre facteurs, pouvant agir mutuellement ou indépendamment ;

Le premier est que le pouvoir algérien ne trouvera pas dans un avenir proche l’artifice idéologique qui lui permettra d’assoir sa légitimité. Après l’épuisement de la légitimité historique, et celle de la lutte contre le terrorisme, il ne lui restera plus que celle de développer le pays, à défaut de quoi la société le disqualifiera à la première occasion qui se présentera (crise politique, baisse brutale des prix des hydrocarbures, etc.).

Le second est relatif à la possibilité d’émergence d’un secteur privé autonome. Les brèches ouvertes par la libéralisation partielle en cours, grâce aux réformes économiques qui n’ont pas été remises en cause ou ce qui en reste, peuvent en effet donner naissance à une élite économique issue du secteur privé et éventuellement de la sphère informelle, qui prendrait conscience que son devenir économique dépend du changement politique.

Il y a également lieu de citer la possibilité de pressions pour le changement qui proviendraient des partenaires étrangers. Les pays occidentaux, notamment ceux de l’Union Européenne, pourraient en effet ne plus se satisfaire uniquement du rôle de l’Algérie comme frontière tampon -qui contient les problèmes d’émigration clandestine, de terrorisme, de criminalité internationale, etc.- Et ce, au regard du constat que cette politique ne peut juguler ces phénomènes, et qu’il n’y a d'autre alternative à leur résorption que le développement de leurs voisin immédiats.

Enfin, on peut voir dans l’émergence de syndicats autonomes de la fonction publique un embryon d’une société civile autonome qui finira, à terme, par imposer l’institutionnalisation du pouvoir et la représentation plurielle de la société.

Au terme de cette réflexion, il nous semble opportun de rappeler, les propos combien significatifs de Blandine Barret-Kriegel, lorsqu’elle affirme qu’ « une société qui ne s’est pas constituée en société civile et un Etat qui ne s’est pas transformé en Etat de droit ne peuvent faire place ni à l’aventure de la réalisation effective de la liberté ni à la formation d’une économie de marché ».