Sociologie de la clinique du social

D’après FOUCAULT dans La naissance de la clinique, le regard clinique s’origine dans la vision à partir de la dissection des cadavres. Etre clinicien, c’était à l’époque se pencher sur les cadavres pour en repérer les dysfonctionnements. FOUCAULT considérait que l’expérience de la clinique correspond à un âge de la connaissance où l’on peut enfin tenir sur l’individu un discours à structure scientifique142. La sociologie de la clinique du social considère la clinique comme une « technologie psychologique », c'est-à-dire une technologie en capacité de fournir un discours sur les processus de subjectivation contemporains.

Dans la mesure où, comme nous l’avons vu plus haut, il semble s’agir aujourd’hui pour les cliniciens de la précarité d’écouter une « souffrance psychique » incapacitante généralement non pathologique d’origine sociale143, la clinique ne consiste plus tant à regarder qu’à écouter. Ecouter cette souffrance consiste alors à la fois à écouter les fragilités qui émergent du/dans le social (question de la structure du social en crise), et à écouter les expériences sociales négatives qui en découlent (question des épreuves individuelles de la vie sociale)144. Etre clinicien du social consiste dès lors simultanément à pencher son oreille sur les affects de l’autre, et de mettre en œuvre un travail de réflexivité. Il s’agit pour le clinicien (qu’il soit travailleur social, psychiatre, psychologue, infirmier) non seulement d’écouter l’autre et ses affects mais aussi de partir de ce que cet autre fait vivre en lui. Les cliniciens travaillent ainsi leurs propres capacités à être affectés par l’autre (les psy parlent ici de contre-transfert). Confrontés à leur propre traitement des affects, ils donnent à voir au sociologue, la manière dont ils apprivoisent la problématique qu’il leur est donnée à entendre, comment ils s’apprivoisent eux-mêmes à travers cette problématique, et comment, ce faisant, ils tentent de maintenir une certaine forme d’ « agissabilité »145 afin, comme le dirait Anthony GIDDENS, de parvenir à agencer leurs actions de manière plus autonome146. Si comme le souligne Danilio MARTUCCELLI, « la subjectivité se constitue justement non dans l’action elle-même, mais dans le commentaire plus ou moins engagé qui la suit ou l’accompagne »147, en prenant pour objet les éléments de cadrage et de réflexivité de cette clinique contemporaine, nous devrions obtenir des connaissances sur la manière dont se construit, se tisse la subjectivité aujourd’hui.

La sociologie de la clinique du social se fonde sur l’hypothèse générale que « lorsque les collectifs de l’action publique se constituent autour de l’identification personnalisée de « maux », le traitement public des problèmes […] ne s’appuie pas sur des principes normatifs prédéfinis et extérieurs à la situation (principes retenus au nom des convictions partagées ou des appartenances communes), mais bien sur des descriptions élaborées dans la situation d’intervention elle-même et à partir des plaintes des personnes souffrantes ou se considérant comme telles. »148 En prenant en compte en premier lieu les caractéristiques de la question sociale actuelle (comme on le verra, par exemple, à travers le passage du traitement de l’exclusion à celui de la précarité) à partir des transformations des modes de subjectivation des « plaintes » individuelles, l’originalité de cette sociologie, dans la continuité des travaux de FOUCAULT, tient pour partie dans le fait qu’elle considère les expériences sociales négatives que vivent les individus non pas à partir des causes - la désaffiliation, la désocialisation que vivent les individus - mais à partir des conséquences - en termes de processus d’individuation, c’est à dire à partir des effets réels produits (en termes de subjectivation) sur les individus, en situation de traitement.

Notes
142.

FOUCAULT M., (1963), La naissance de la clinique, Paris, PUF, p.X.

143.

FURTOS J., (2000 a, b), op. cit.

144.

RAVON B., (2008), op. cit., p. 89.

145.

FRANGUIADAKIS S., « Aux bords de la rupture ou « faire face » sans s’en sortir… à propos d’une association de réduction de risques auprès de personnes toxicomanes » dans CHATEL V., SOULET M.-H., (2002), Faire face et s’en sortir, Fribourg, Editions Universitaires Fribourg Suisse, p. 53-60.

CHATEL V., SOULET M.-H., (2003), Agir en situation de vulnérabilité, Sainte-Foy, Québec, Presses de l’université de Laval.

146.

GIDDENS A., (1991), op. cit.

147.

MARTUCCELLI D., (2002), op. cit., p. 521.

148.

RAVON B., (2008), op. cit., p. 32-33.