Enfin, parce que notre confrontation à ces différents éléments de cadrage et de réflexivité nous a amenés à penser que cette clinique constituait une nouvelle forme de lutte contre les injustices sociales, ou, autrement dit, comment l’attachement à la souffrance de l’autre permettait aux acteurs de se (ré-)engager dans le politique, nous nous sommes tournés vers les auteurs traitant des questions de justice sociale155, de quête de reconnaissance156 et d’expérience de l’injustice157.
Lorsqu’il analyse la personne en situation (à son chevet), le clinicien s’intéresse à la maladie (ou à la pathologie), lorsqu’il analyse la personne totale en situation d’injustice sociale, le clinicien de la précarité analyse le social défaillant, autrement dit le contexte social des troubles psychiques158. La clinique du social devient alors une « clinique de l’injustice » qui consiste à partir du « sentiment d’injustice de ceux qui subissent l’ordre social » pour, « à leur chevet, tenter de réélaborer les conceptions courantes de la justice par l’étude de plaintes et de comportements ». La « clinique de l’injustice traitera ces plaintes et ces comportements comme des symptômes : elle cherchera, en eux, les caractéristiques spécifiques de l’injustice subie »159. Parce que les conditions de visibilisation de la précarité comme autant d’injustices sociales constituent une voie privilégiée d’accès à la critique sociale, l’étude du traitement clinique de la précarité est intéressant pour nous, en tant que sociologue. Il permet d’articuler le savoir technico-clinique - quels sont les types d’atteintes liées à la précarité élaborés par les cliniciens ?- et le savoir sociocritique - quels sont les types d’injustices subies identifiées par les cliniciens ?- à l’œuvre dans toute problématisation des infortunes de la société. Et c’est bien cette articulation entre clinique et critique sociale, opérée par les cliniciens eux-mêmes, qui nous permet d’étayer nos analyses de la clinique en cherchant à en comprendre les conséquences problématiques en termes de processus d’individuation.
FRASER N., (2005), Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, Paris, La découverte.
CAILLE A. (dir), (2007), La quête de reconnaissance. Nouveau phénomène social total, Paris, La découverte.
RENAULT E., (2004), L’expérience de l’injustice, Paris, La découverte.
RAVON B., (2008), op. cit., p. 34, reprenant Emmanuel RENAULT (2004), op. cit.
RENAULT E., (2004), op. cit., p. 24-25.