IV. Le dispositif méthodologique : microsociologie et ethnographie combinatoire

De la psychologie clinique à l’anthropologie dans la clinique, de l’anthropologie de l’action publique à la sociologie de la clinique, ces changements de regard sont le produit de l’évolution de ma posture de recherche mais pas seulement.

Comme le souligne Jean-François ORIANNE160, faire de la recherche, écrire une thèse de sociologie et d’anthropologie, n’est pas qu’une « petite affaire privée ». Il s’agit au contraire d’une activité collective, d’un engagement161, où le sujet se positionne à travers tout un ensemble d’« agencements collectifs d’énonciation »162. DELEUZE et GUATTARI diraient qu’écrire, c’est l’affaire du peuple, d’une « meute », et non la petite histoire privée d’un individu. Même si la solitude ou l’isolement composent indéniablement le « métier » de chercheur en sociologie, la réalité de sa pratique donne à voir un travail exclusivement relationnel : (1) comme nous l’avons vu plus haut les objets de la recherche sont des sujets (les cliniciens) ; (2) le chercheur travaille toujours en équipe ou, tout du moins, il est intégré dans une équipe (un laboratoire, un réseau de chercheurs/doctorants) ; (3) le chercheur entretient une relation à la « littérature scientifique » qui l’engage dans des collectifs, des alliances, qui le dépassent bien souvent largement. Comme le souligne DELEUZE, l’acte d’écriture, avant d’être orienté vers autrui (écrire pour), est toujours le résultat d’une relation à autrui (écrire avec) : en ce sens, cette thèse n’est pas écrite à l’intention des chercheurs en sociologie, des personnes en situation de précarité, ou des cliniciens de la précarité, elle est écrite avec eux. Aussi, afin de rendre compte de cette réalité collective de l’écriture, nous avons choisi dans cette thèse, l’utilisation du « nous » plutôt que celle du « je » (si ce n’est lorsque je parle de ma posture où c’est bien moi qui parle). Ce « nous », qui n’a donc rien à voir avec le nous « majestatif », est donc celui de la rencontre entre l’entreprise collective et la « petite affaire privée ». Comme le montre William FOOT WHYTE, le « compte-rendu de la vie du chercheur dans la communauté peut (…) contribuer à expliquer le processus d’analyse des données »163.

Notes
160.

ORIANNE J.-F., (2005), op. cit., p. 159.

161.

BECKER H.-S., (2002), Les ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciences sociales, Paris, Editions La Découverte.

162.

DELEUZE G., GUATTARI F., (1975), Kafka, pour une littérature mineure, Paris, Les Editions de Minuit, p. 33.

163.

WHYTE W.F., (1996), Street corner society. La structure sociale d’un quartier italo-américain, Préface de Henri PERETZ, Paris, Editions La Découverte, p. 307-308.