4. La formation-action organisée par l’ORSPERE : l’émergence d’un espace dialogique entre la psychiatrie et le travail social (2000)

A la fin de l’année 99, pendant que la réflexion se structure dans le Groupe Santé Mentale Précarité, l’ORSPERE et la DDASS décident de proposer une formation aux institutions psychiatriques et sociales de Bourg-en-Bresse avec l’objectif de sensibiliser les professionnels de ces structures à « une nouvelle lecture des dysfonctionnements sociaux en invitant, dans le champ psycho-social, à un regard sur l’individu moderne et sa souffrance, à un examen et une lecture contemporaine des formes nouvelles de pathologies, à une interrogation sur la place et le rôle des aidants. Comment tenir une relation efficace quand une alternative construction-destruction est en jeu ? » 210 Après que les institutions psychiatriques et sociales aient répondu positivement à la proposition de l’ORSPERE, un module de formation a pu être réalisé, réparti sur cinq journées entre les mois de mars et juin 2000 selon le programme suivant :

‘« Module de formation
Première journée : mardi 21 mars 2000
Présentation générale de la formation et présentation des participants.
Approche théorique de la clinique psychosociale
Deuxième journée : mercredi 22 mars 2000
Travail sur les représentations des acteurs (groupes mélangés).
Séances de Théâtres Forum autour de la thématique des représentations avec mise en situation des participants. Principe : les personnes racontent des cas pratiques vécus (sous forme de jeu) avec aide à la mise en scène. Problématisation de cette mise en situation. Travail sur les alternatives possibles aux questions posées : choix d’alternatives différentes et travail sur les conséquences de ces choix (avec l’aide de la personne ressources).
Tour de table et bilan.
Troisième journée : mardi 11 avril 2000
Autour de la groupalité (articulation entre individu et société par la médiation du groupe).
Matin : approche théorique avec l’intervention de Bernard DUEZ. Discussion.
Après midi : présentation d’expériences : une expérience clinique psychiatrique (groupe vidéo) ; une expérience clinique psychosociale (groupe SOS Relais).
Quatrième journée : mardi 16 mai 2000
Approche de santé communautaire.
Matin : le modèle santé communautaire avec l’intervention de Marc SCHOEME.
Après midi : présentation d’expériences de santé communautaire. Intervention de Mr PETIOT.
Cinquième journée : mardi 20 juin 2000
Sur la mise en place d’un réseau.
Intervention du Mr TABARY : état des lieux concernant la psychiatrie (son évolution, les changements), la mise en réseau, quel partenariat ?
Intervention de Dr ROSENBERG sur l’évolution des problématiques de santé dans le champ social.
Le réseau santé mentale et précarité. »
Programme de la formation réalisée par l’ORSPERE
au cours de l’année 2000.’

A la lecture de ce document, nous constatons que les connexions entre les mondes s’effectuent d’abord entre différentes perspectives qui se succèdent : la clinique psychosociale - qui est un champ théorique ouvert par l’ORSPERE ; la psychanalyse à travers l’invitation de Mr DUEZ, psychanalyste et professeur à l’université Lumière Lyon 2 ; la santé communautaire avec Mr PETIOT et Mr SCHOEME ; la psychiatrie avec Mr TABARY. L’ensemble de cette formation est également sous-tendu par la volonté de travailler en réseau en essayant de dépasser les clivages santé/social. Mr ROSENBERG, médecin à la ville de Bourg-en-Bresse, fait ici office de référent concernant les problématiques de santé dans le champ social.

Ce programme de formation montre une volonté d’exploration de l’identité des acteurs par eux-mêmes afin de les amener à découvrir en quoi ils sont concernés ensemble par les projets en discussion (à travers, par exemple, « la présentation des participants », « le théâtre forum », « le travail sur les représentations »). Les échanges se croisent entre savoirs spécialisés et savoirs profanes (entre professionnels de la psychiatrie et professionnels du social). Il s’agit d’explorer en commun les problèmes qui se posent, ce qui amène tous les acteurs concernés à se considérer mutuellement comme des partenaires. Une fois cette mutualisation effective, la formation explore l’univers des options envisageables et des solutions communes auxquelles elles conduisent (à travers les exemples d’alternatives, la présentation d’expériences de santé communautaire, les diverses interrogations sur le partenariat, la mise en réseau, etc.).

A la suite de ce cycle de formation, et à la demande des participants de passer des problématiques cliniques étudiées dans la formation à des perspectives organisationnelles en termes de traitement de ces problématiques, l’ORSPERE propose les grandes lignes d’un « Réseau Santé Mentale Précarité » sur la ville de Bourg-en-Bresse. Ce réseau doit s’inscrire dans la continuité de différentes actions menées par la DDASS depuis deux années autour de la question de la souffrance psychique des personnes précarisées (enquêtes Grande Ressouze, formation/action, constitution d’un réseau de professionnel). Les objectifs de ce réseau sont de « favoriser un croisement et une mutualisation des points de vue professionnels à partir de situations concrètes » et de « réfléchir ensemble sur des questions de santé publique/santé mentale afin d’améliorer l’offre et l’articulation sanitaire et sociale » 211. Ce réseau, coordonné par la DDASS de l’Ain pour une période d’un an doit être constitué de partenaires du social et de la psychiatrie (principalement les participants à la formation/action). La proposition de l’ORSPERE vise alors à constituer deux réseaux : un réseau primaire - centré sur la clinique, et un réseau secondaire - centré sur l’organisation-coordination :

‘« Méthodologie/fonctionnement du Réseau Santé Mentale Précarité
Le réseau pourrait fonctionner d’emblée sous forme de deux entités complémentaires :
Le réseau primaire :
- Objectif : Ce réseau collectif est plus centré sur l’entraide entre professionnels. Il travaillera à partir de situations concrètes. Son but sera de confronter les différents positionnements professionnels et aussi « d’éclairer » les « tiers » professionnels sur le rôle de chacun. Il ne s’agit donc pas d’un groupe clinique ou d’analyse de la pratique mais plutôt d’un groupe d’échanges de pratiques, où chacun essaie de comprendre le point de vue de l’autre, et donne son propre point de vue.
- Composition : Il pourrait être composé exclusivement de professionnels du social ou du soin soumis à la déontologie d’une discrétion professionnelle partagée. Il n’aura pas de finalité prescriptive ni projective concernant les situations évoquées. Chaque professionnel ayant confronté son point de vue avec l’éclairage de l’autre gardera son autonomie, son analyse et ses modes d’action spécifiques.
- Règle de fonctionnement : Ce groupe pourrait fonctionner une fois par mois. Durant une période expérimentale, sa composition pourrait être celle de psy et de travailleurs sociaux ayant participé à la formation/action. Son ouverture à d’autres professionnels pourrait se faire peu à peu, selon des modalités que le groupe initial devra inventer.
Le réseau secondaire :
- Objectif : Il a pour objectif de traiter une question de Santé Mentale qui pose un problème institutionnel à la fois aux acteurs de la psychiatrie et à ceux du social.
- Composition : Ce second réseau sera ouvert aux membres du réseau primaire qui le souhaitent, plus les institutionnels (CPAM, conseillers municipaux, directeurs d’hôpitaux, de CHRS, présidents de CME, médecins-chefs de service…). Il pourra, selon les thèmes traités, s’étoffer de représentants de l’ANPE, RMI, Mission Locale, organisme de formation, entreprise intermédiaire.
- Règle de fonctionnement : Ce groupe pourrait se mettre en place deux à trois fois/an mais après que le groupe du réseau primaire soit devenu effectivement opérationnel (6 mois). »
Rapport « Constitution du réseau « Santé Mentale Précarité »
de Bourg-en-Bresse », ORSPERE, oct. 2000.’

Nous pouvons penser que les objectifs de ces deux réseaux, qu’ils soient centrés sur la clinique par l’entraide professionnelle ou sur l’organisation/coordination par le traitement institutionnel de la souffrance psychique des personnes en situation de précarité, visent à agir comme de puissants et originaux dispositifs d’exploration et d’apprentissage. Tout se passe comme si en cherchant à favoriser le déploiement de ces explorations et apprentissages, les animateurs de l’ORSPERE visaient à ouvrir un espace dialogique, une sorte de « forum hybride »212 où sont remis en cause, au moins partiellement (car il reste tout de même deux niveaux de réseau, et il y reste toujours quelques « experts universitaires » face à des « professionnels de terrain »), les partages qui séparent traditionnellement les spécialistes des profanes. Ce ne sont donc pas seulement les corpus doctrinaux qui s’agencent mais également les praticiens (éducateurs spécialisés, assistantes sociales, psychiatres, médecins de ville, infirmiers, etc.) qui leur sont rattachés.

Notes
210.

Extrait de la lettre adressée par Mr FURTOS et Mr LAVAL à Mme BERTHET (DDASS de l’Ain).

211.

Rapport « Constitution du réseau « Santé Mentale Précarité » Bourg-en-Bresse » écrit par les animateurs de l’ORSPERE le 10 octobre 2000.

212.

Les forums hybrides sont des lieux où se joue la démocratie « dialogique » c’est à dire là où des profanes (ou des non-spécialistes) peuvent échanger avec des spécialistes, donner leur avis sur des sujets techniques dont la complexité peut être très grande et contribuer à coproduire des savoirs par leur mobilisation active dans l’élaboration de connaissances qui les concernent. CALLON M., LASCOUMES P., BARTHE Y., (2001), op. cit.