5. Présentation du CSMP à la Commission Médicale d’Etablissement : le réseau comme support de la clinique (2001)

A la fin de l’année 2000, le Groupe Santé Mentale Précarité du CPA décide d’appliquer les prérogatives proposées par l’ORSPERE en créant un dispositif qu’ils choisissent d’appeler « Carrefour Santé Mentale Précarité ». Ce nouveau dispositif ayant principalement pour visée l’échange et la mise en réseau de diverses pratiques professionnelles, le mot « carrefour » s’est imposé après que le groupe ait longuement hésité avec celui d’ « interface » : « Nous avons finalement choisi « carrefour » car « interface SDF » existait déjà à Lyon mais aussi parce que notre action se situait surtout à la fois à un niveau professionnel, puisqu’on voulait travailler sur des échanges de pratiques, et au niveau institutionnel parce qu’il fallait que les institutions prennent conscience de l’utilité du travail en réseau. Le CSMP est plus un carrefour d’échanges interprofessionnels qu’une interface entre patients et professionnels.» 213 Le Carrefour Santé Mentale Précarité se définit alors comme « un programme d’actions qui peut se résumer en la mise en place de « réseaux » » 214.

Pendant un peu moins d’une année, les réunions mensuelles du Groupe Santé Mentale Précarité se succèdent visant principalement à définir et à organiser le nouveau dispositif. Le GSMP reprend alors les grandes lignes proposées par l’ORSPERE à travers ce qu’il a défini comme « réseaux primaire et secondaire ». Cependant, les membres du GSMP préfèrent parler de « réseaux interne et externe » comme nous pouvons le constater dans le programme présenté à la CME à la fin de l’année 2001 :

‘« 1- Réseau interne : « les cellules précarités »
Noyau de personnels sensibilisés et formés, au sein de chaque secteur, intersecteur ou dispositif de soins. Chaque cellule pourrait se subdiviser à l'intérieur de son institution, l'idéal serait de descendre jusqu'au niveau du CMP ou de l'unité de soins.
Leur fonction serait de :
1.1 Développer la permanence d'une clinique psychosociale sur le lieu de soin et de prévention :
- en fonction des principes cliniques et thérapeutiques de la clinique psychosociale et de la précarité,
- en la conciliant avec la pratique et la politique du secteur ou dispositif de soins,
- en fonction des besoins repérés localement (cf. chapitre "recherche").
Exemple: initier des expériences de groupes de type : « petit-déjeuner causant » à Bourg, inventer des modalités de consultations dans les CMP, rechercher et développer des partenariats nouveaux, élaborer des carnets d'adresses, offres de soins indirects aux institutions demandeuses tel que les CHRS, déplacement sur les lieux de la précarité.
1.2 Développer la recherche :
- au niveau de la clinique fondamentale : vignettes cliniques, études de cas, groupes de réflexion, etc.,
- à caractère communautaire : repérage des besoins collectifs dans une zone donnée, connaissance des lieux de la précarité.
- sur les problèmes matériels : distance, déplacements.
1.3 Offrir des possibilités de formation
- au partenariat (ex : formation ORSPERE), reconnaître l'identité et les besoins d'autrui,
- à la clinique psychosociale et la clinique de la précarité.
1.4 Représenter et coordonner :
- au CSMP, et dans les instances et commissions intrahospitalières. Un des objectifs étant de faire remonter les besoins au niveau des autorités,
- dans les divers organismes locaux, départementaux ou régionaux concernés par la précarité (cf. réseau externe).
2- Réseau externe
Le réseau externe est constitué des divers organismes avec lesquels le CSMP est en relation au niveau départemental ou régional avec :
DDASS (groupe Santé Mentale Précarité, Réseau Burgien Santé Mentale Précarité, PRAPS), ORSPERE, Commissions Locales d'Insertion, Autres (CHRS et résidences sociales).
A développer : Relations avec :
les ONG (MDM), dans les hôpitaux généraux non encore sensibilisés mais souvent sollicités par les CMP pour la prise en charge de la souffrance psychique ne nécessitant pas forcément une hospitalisation en psychiatrie, la CPAM.
3- Fonctions propres au CSMP
- Fonction de coordination,
- Fonction interface : Recevoir et répartir la demande extérieure, faire le lien avec les structures internes,
- Initiation d'actions et participation au niveau départemental (exemple : enquêtes, journée départementale),
- Organisation de formations (type ORSPERE),
- Lieu ressource, conseils, bibliographie,
- Initiatives diverses : formations IFSI, discussion sur l'instauration d'une rubrique psychosociale dans le dossier médical,
- Gestion du dispositif psychos RMI.
- Le C.S.M.P. se propose de rencontrer chaque secteur, intersecteur, dispositif au cours de l’année à venir. Il se tient à disposition de toutes structures (CMP, unités de soins). »
Programme du CSMP proposé à la CME en novembre 2001.’

C’est donc seulement en novembre 2001, après plus de quatre années d’une lente maturation que, validé par la CME suite à cette présentation, le Carrefour Santé Mentale Précarité est reconnu par son autorité de tutelle. Il s’agence autour d’un programme qui comporte trois principes directeurs : (1) intervenir avec des « cellules précarités » qui idéalement pourraient « descendre » au niveau du CMP ou de l’unité de soins ; (2) coopérer avec la mise en place d’un réseau externe ; (3) organiser les activités du CSMP. Les deux premiers principes directeurs donnent à voir deux niveaux d’échelle territoriale autour desquels s’organise le CSMP : les « cellules précarités » qui correspondent à un « intérieur » de la psychiatrie (le secteur) ; le réseau sanitaire et social départemental et régional qui correspond à un « extérieur » de la psychiatrie. Le dernier principe directeur représente un niveau intermédiaire chargé d’organiser les points de passage entre l’intérieur et l’extérieur de la psychiatrie telle qu’elle est conçue au CSMP. Lors de la présentation de ce programme à la CME au mois de novembre 2001, Mr TABARY cherche à montrer que les deux premiers niveaux du réseau (interne et externe) ne sont qu’un simple support pour faire tenir un ensemble d’activités situées à visée clinique.

‘« Les personnes hospitalisées en intrahospitalier sont souvent en situation d’extrême précarité. Dans ces cas, les équipes de l’intra [hospitalier] sont en première ligne et doivent assumer le travail de première reliaison avec l’extérieur (établir ou rétablir la trame du tissu social de la personne hospitalisée). »
Compte-rendu du GSMP du 14 mars 2000, p. 2. (C’est nous qui soulignons).’

Nous avons vu qu’à l’origine du CSMP se situe la volonté de mailler les professionnels de la psychiatrie avec ceux du travail social. En même temps, ce maillage introduit une relation subtile entre la qualité du travail en réseau effectué et la qualité de la trame du tissu social des personnes en situation de précarité suivies par ces différents professionnels. « Notre mission est une mission de psychiatrie publique » rappelle souvent Mr TABARY « ce qui nous importe c’est donc le devenir des personnes, nous ne devons pas nous décentrer du soin » 215. Le réseau, qu’il soit professionnel ou institutionnel, est alors à comprendre comme étant un détour de cette mission. Il constitue en quelque sorte pour les cliniciens du CSMP le support de la clinique proposée dans le sens où c’est bien le réseau qui permet d’« établir ou [de] rétablir la trame du tissu social » 216. Et, toujours selon les cliniciens du CSMP, si cette logique rhizomatique est un support à la clinique c’est parce que la personne en situation de précarité est à la fois le point de départ et le point d’arrivée de ce détour. Selon Mr TABARY, le mot réseau est alors « à entendre non pas au sens technocratique du terme, c'est-à-dire de multiples conventions, mais sous forme de maillage spontané par des personnes ou des institutions qui se connaissent . » 217 Il ne s’agit donc pas tant pour Mr TABARY de chercher à répondre à des « besoins », mais plutôt de tenter de traiter des « problèmes » (problèmes de rupture de liens liés à la précarité et à l’exclusion sociale, problèmes de communication entre les professionnels de la psychiatrie et du social, problème de santé publique) par la mise en œuvre de connaissances mutuelles, par un travail de reconnaissance interprofessionnelle.

Notes
213.

Entretien individuel avec Mr TABARY.

214.

« Programme du CSMP- Présentation à la CME » 30 novembre 2001, p. 14.

215.

Cahier de notes personnelles. Réunion plénière du CSMP, avril 2006.

216.

Compte-rendu du GSMP du 14 mars 2000, p. 2.

217.

« Programme du CSMP- Présentation à la CME » 30 novembre 2001, p. 14. C’est nous qui soulignons.