Le vocabulaire de la lutte est fortement présent dans les discours de Mr TABARY : « mobiliser les troupes », « résistance », « aller au front », « passer à l’attaque ». Ces expressions sont souvent formulées à travers des verbes d’action se reportant plus à un mode de stratégie silencieuse, souterraine et réflexive qu’à un mode de stratégie bruyante, de surface. Il s’agit ici plutôt de savoir « frapper au bon moment » plutôt que de « s’agiter comme le ferait une hystérique » 238, tissant là à la fois la trame d’une identité commune et donnant corps à une dynamique de la lutte :
‘« il est temps que les CHRS et la psychiatrie s’affrontent »Comme le souligne Michel CALON et Vololona RABEHARISOA239, le recours à un tel répertoire de la « résistance » et de la « lutte » a une triple vertu. Il établit tout d’abord la prédominance d’un seul objectif - étayer - sur tous les autres, et en premier lieu sur celui, plus traditionnel pour un dispositif hospitalier, de « guérir ». Personne au CSMP ne semble croire en effet qu’on ne guérit de la précarité, « ne serait-ce parce qu’il ne s’agit peut-être pas d’une maladie » a-t-on l’habitude d’entendre dire.
Deuxième vertu, n’est résistant que ce qui tient dans le temps et pour tenir il faut des armes et des munitions. La recherche clinique, omniprésente dans le discours des précurseurs du CSMP, constitue une de ces armes. Le corpus doctrinal de la « clinique psychosociale » proposé par l’équipe de l’ORSPERE a permis dès le départ d’inscrire l’intervention du CSMP dans une filiation qui avait le double avantage d’être reconnue à la fois sur le plan scientifique et sur le plan pratique (c’est une clinique de terrain). Ce « prêt à penser » permettait de fournir un discours qui « impose » et qui, à sa manière, faisait autorité, maintenant à distance les ennemis prétextant l’inefficacité et la stérilité de la démarche engagée. L’enjeu est de taille, puisqu’il ne s’agit pas seulement de tenir une position mais aussi, nous l’avons vu, d’amorcer un changement dans les pratiques de la psychiatrie publique du département de l’Ain.
‘« Une théorisation plus approfondie, qu’on ne saurait développer ici, conduit, par le biais des concepts de « précarité » et de la « clinique psychosociale » à une interrogation et une révision majeure des objectifs et pratiques de la Psychiatrie Publique. [Ces éléments peuvent] servir de base de réflexion interne au CPA. »La constance d’une réflexion stratégique à la fois sur la clinique et sur sa place dans une politique plus générale peut être aisément illustrée. En 2001, lorsque les membres du bureau du CSMP présentent pour la première fois leur dispositif à la Commission Médicale d’Établissement le ton est donné et nous pouvons lire en conclusion du rapport remis ce jour là :
‘« Face aux situations de précarité, nous proposons un dispositif lui aussi précaire, à la dimension de son objet : diffus, insaisissable, incertain dans ses contours. […] Ce programme nous semble bien s’inscrire dans l’évolution de la Psychiatrie vers la Santé Mentale, ce qui implique :Troisième vertu, la métaphore de la lutte « a l’avantage de simplifier l’analyse et de l’unifier sous la forme d’un bilan des forces en présence : d’un côté celles qui sont favorables à la cause, de l’autre celles qui s’y opposent ; d’un côté les amis, de l’autre les adversaires, et entre les deux, aucune place pour les tièdes ou pour les indécis »240. Ainsi, se pose sans cesse la question au CSMP de savoir dans quel camp se situe tel ou tel médecin, tel ou tel expert, tel ou tel intervenant, question à laquelle sont sommés de répondre, par un propos ou une attitude plus ou moins formulés, tous ceux qui croisent le chemin du dispositif.
‘Mr TABARY : « Alors vous la sentez comment vous ? »La pensée stratégique tente au CSMP en permanence de saisir le positionnement clinique de l’intervenant potentiel, cherchant par là même, à cerner son positionnement strictement politique. D’où cette position étonnante des membres du CSMP qui consiste à prendre pour alliés tous ceux, acteurs de terrain, institutionnels, scientifiques et militants, qui à un moment donné peuvent apporter leur pierre au combat commun. L’on ne résiste qu’à l’intérieur d’un système.
Mr TABARY lors de la réunion plénière du 24 février 2006.
CALLON M., RABEHARISOA V., (1999), Le pouvoir des malades. L’association française contre les myopathies et la recherche, Paris, Les Presses de l’Ecole des Mines de Paris, p. 13.
CALLON M., RABEHARISOA V., (1999), op. cit., p. 13.