I. Connaître les problèmes liés à la précarité à travers des activités de sensibilisation

1. Les référents du CSMP face aux « mandarins » de la psychiatrie

Dès la première réunion plénière de l’année 2000, les référents s’interrogent sur les objectifs et les moyens du CSMP. Ils commencent par réfléchir aux modalités de sensibilisation et d’ « imprégnation du CPA par un discours prenant en compte les nouvelles données sur les personnes en précarité (avoir une représentation de ce qui est la précarité pour l’identifier, proposer une formation). » 249 Un questionnaire, présentant le CSMP comme dispositif s’inscrivant dans le cadre de la Loi de lutte contre les exclusions et les PRAPS, est élaboré et distribué dans tous les services intra et extrahospitaliers du CPA. Ce questionnaire vise à prendre connaissance des problèmes liés, dans la pratique, aux situations de précarité. Il s’agit d’« effectuer une synthèse globale et inventorier les grandes questions posées au CPA par la précarité et les réponses qui y sont apportées. » 250 En même temps, il permet de situer le CSMP aux yeux de tous.

En 2000, tous les secteurs ne sont pas encore représentés au sein du CSMP, il faut donc sensibiliser les médecins-chefs de ces secteurs pour qu’ils autorisent la participation d’un de leur personnel soignant (infirmier ou cadre) aux travaux du dispositif. Cela ne va pas de soi car pour obtenir une telle autorisation, il faut que le médecin-chef reconnaisse préalablement à la fois l’existence de problématiques liées à la précarité et la possibilité pour la psychiatrie de prendre en charge ce type de problématiques. La connaissance des problèmes et sa mise en réflexivité deviennent alors les moyens de la sensibilisation.

‘« Le questionnaire a permis une prise de conscience de certains acteurs (pédopsychiatrie) autour de la problématique précarité et de son intérêt (à l’hôpital de jour et en intra hospitalier notamment). Il a suscité des attentes théoriques et pratiques autour de la définition de la précarité (dans les secteurs). Il montre que le CMP n’assure pas pleinement sa fonction de plaque tournante par rapport à cette population (prévention, dépistage, orientation…) Comment amener les personnes en situation de précarité au soin ? Il y a en tout cas prise de conscience de plus en plus générale au niveau des secteurs qu’on ne peut rien faire au niveau des soins tant que les problèmes sociaux ne sont pas résolus. »
Compte-rendu de plénière, 14 mars 2000, (c’est nous qui soulignons).
« La sensibilisation des secteurs et des structures est inégale. Certains secteurs sont en pointe (5 et 6). Il est rappelé à chaque secteur d’établir des liens avec les psychos RMI qui ne sont pas toujours identifiés. Le passage en revue des actions concernant la précarité permet d’ouvrir un débat sur l’évolution de la psychiatrie clinique psychosociale. Cette évolution est nécessaire pour contrebalancer les évolutions biologisantes et la psychiatrie tournée vers le symptôme. Mais en même temps, risque de dilution de l’identité psychiatrique jusque dans le bénévolat. Ces questions sont importantes à l’heure où s’annonce une réduction des effectifs de psychiatres et psychologues. »
Compte-rendu de plénière, 1 décembre 2000, (c’est nous qui soulignons).’

Tous les médecins du CPA ne sont pas en accord avec la démarche clinique que propose le CSMP. Se laisser attacher par le CSMP et « sa » clinique de la précarité est perçu comme un risque de perdre quelque chose et de devenir un « sociatre ». Un certain nombre de psychiatres, chefs de secteur, ne veulent pas rencontrer l’équipe prétextant que la mission de « la psychiatrie publique est de s’occuper des psychoses et c’est tout ! » 251 Si ce refuge dans la psychiatrie classique est lié à une crainte de sociologisation de la psychiatrie, il est également à mettre en lien avec l’émergence de nouvelles formes de management et de gouvernance dans l’institution psychiatrique qui tentent également de normer, à nouveaux frais, les pratiques psychiatriques.

Dans un contexte de diminution des moyens et de réduction budgétaire, la protocolisation du soin se généralise au CPA, obligeant les professionnels du soin à établir des priorités. Pour la majorité des psychiatres du CPA, la psychose en est une, alors que « la précarité, ça n’existe pas » 252. S’inscrivant dans une démarche qui vise à « contrebalancer les évolutions biologisantes et la psychiatrie tournée vers le symptôme » 253, le CSMP propose alors de résister autant à cette protocolisation des pratiques psychiatriques qu’à l’invisibilisation de la précarité. Pour ce faire, la stratégie du CSMP consiste à établir des ponts entre les pratiques psychiatriques et la problématique de la précarité : « nos connaissances théoriques ainsi que notre pratique quotidienne auprès de patients psychotiques nous permettent d’appréhender certains phénomènes tels que l’exclusion, le sentiment d’impuissance face aux échecs et la répétition. » 254 Cette position reflète à la fois pour Mr TABARY, un véritable enjeu clinique, et aussi un moyen pour convaincre des psychiatres « réticents à la précarité » qu’ils ne perdent pas vraiment leur posture clinique face à la psychose. Cependant, tout en mobilisant les données récentes concernant la clinique psychosociale que les membres du CSMP viennent de recevoir dans la formation/action organisée par l’ORSPERE255, ils sentent bien que cette stratégie ne suffit pas. Une double réflexion concernant la définition de la précarité dans le département de l’Ain ainsi que les champs d’action d’une clinique de la précarité doit être menée de front.

Notes
249.

Compte-rendu de plénière, 21 janvier 2000.

250.

Idem.

251.

D’après différents référents du CSMP, ce type de réponses était fréquemment donné lors de la création du CSMP en 2000 et toujours présent en 2007.

252.

Idem.

253.

Compte-rendu de plénière, 1 décembre 2000.

254.

Compte-rendu de plénière, 26 mai 2000.

255.

La notion de « clinique psychosociale » est une invention de l’ORSPERE. Cf. Rapport ORSPERE-FNARS intitulé Point de vue et rôle des acteurs de la clinique psychosociale, Recherche action, 1999, ainsi que FURTOS J., (2000a), op. cit., p. 23-32.