2. Les référents du CSMP : des informateurs à l’écoute des problèmes

Le problème de la définition du public de la précarité

En 2001, débute un débat interne qui ne cessera jamais au CSMP sur la population concernée par la précarité. Différents publics sont appréhendés : « un certain nombre d’ados non admis dans l’unité « US Ado » du CPA souffrent d’une forme de précarité liée à l’isolement social et/ou familial », « il y a aussi ceux qui n’ont pas accès aux soins et n’ayant pas le droit à la CMU et/ou CMU Complémentaire » 256, « ceux qui n’ont pas de logement ou qui ont un logement précaire ; les SDF ; et aussi ceux qui ont un hébergement provisoire (faut-il inclure les populations des CHRS et des foyers ?) ; ceux qui sont sans ou avec peu de ressources : RMI, chômage ; il y a aussi ceux dont on ressent qu’ils sont en précarité sur des critères subjectifs cliniques ; et ceux avec qui on ne sait pas quoi faire. » 257 L’indétermination concernant les limites de la précarité en termes de population est ressentie chez les référents comme un manque de formation à la « clinique psychosociale ». Les membres du bureau décident alors de mettre en place un temps de formation continue, sous forme d’échanges de pratiques, de débats autour d’une intervention extérieure ou de la lecture d’un texte, qui vient se placer après les réunions plénières.

En même temps, Mr TABARY propose d’organiser une soirée de formation animée par le Dr FURTOS, directeur de l’ORSPERE, pour les membres du CSMP ainsi que les équipes du Centre d’Accueil Permanent et de l’hôpital général Fleyriat. Cette formation porte sur « une approche pratique de l’accueil dans les services d’Urgences. » 258 La formation des référents du CSMP devient essentielle car Mr TABARY prévoit de « missionner les référents pour qu’ils interviennent chacun dans leur propre secteur. » 259 Les référents vont donc porter l’intervention clinique du CSMP dans tous les secteurs et intersecteurs psychiatriques du département et étant donné le contexte de mandarinage dans lequel ils se situent, une culture commune et partagée devient essentielle.

‘« Il est rappelé que la mission du CSMP auprès des secteurs et intersecteurs, nécessite une connaissance parfaite du terrain (CMP, services) et se doit de faire le lien avec les différents partenaires qui ont en charge des personnes précaires (CHRS, psychologues RMI, hôpitaux) afin d’élaborer des techniques visant à les amener au soin. »
Compte-rendu de plénière, 27 avril 2001.
« Comment intervenir auprès des secteurs en tant que référent ? Quels sont les problèmes rencontrés par les collègues sur le terrain ? Pour trouver rapidement des réponses à ces questions, il est important de passer à la vitesse supérieure notamment en se réunissant plus souvent.
On convient de la nécessité de :
1- Avoir un référent par secteur qui aurait pour mission de diffuser les informations. L’idéal serait des équipes de 2 personnes : l’une représentant le soin, l’autre le social (AS).
2- Décentraliser l’action (chacun avec sa connaissance du terrain).
3- Avoir un regard sur les actions qui se mènent dans les secteurs. »
Compte-rendu de plénière, 22 juin 2001.’

Les référents ne sont pas les seuls concernés par l’intervention clinique du CSMP. Les psychologues RMI, également placés sous la tutelle de Mr TABARY, voient également leur mission tendre vers un élargissement :

‘« Durant l’année 2000, il a été constaté une baisse significative du nombre de bénéficiaires du RMI, une stagnation des personnes en grande difficulté d’accès à l’emploi et une hausse des personnes ayant un accès à des emplois précaires (CES, CDD) et qui de fait, réintègrent le dispositif au terme de leur contrat. Les différentes instances souhaiteraient que la fonction des PRMI s’inscrive dans des actions sociales, s’élargissant à d’autres catégories de personnes en situation de précarité (non bénéficiaires du RMI). Il est constaté que les PRMI se trouvent confrontés fréquemment à une préparation aux soins, ce qui techniquement est difficile, mais favoriserait les relations, voire la communication entre eux et le CPA. Un travail de reconnaissance des PRMI et de mise en lien est à élaborer secteur par secteur. La DIPAS se dit prête à financer les actions collectives si tant est qu’elles soient clairement définies afin d’adapter au mieux des moyens adéquats. »
Compte-rendu de plénière, 9 mars 2001.’

S’élargir à des publics non bénéficiaires du RMI ne va pas de soi pour les psychologues RMI puisque cela sort du cadre principal de leur mission. En proposant un tel élargissement, l’objectif n’est pas que les psychologues se substituent aux professionnels généralement en charge de ces publics mais plutôt de renforcer la sensibilisation des psychiatres et des infirmiers des CMP à la clinique psychosociale dont les psychologues RMI sont, selon Mr TABARY, experts de longue date :

‘« La psychologue RMI du secteur 3 souhaite prendre l’ambiance du CMP à Montluel, mais cela pose quelques problèmes liés à l’organisation même de ce centre. Madame X souligne le ressenti des psychos RMI qui se sentent exclus des CMP bien que faisant partie du personnel du CPA. Il semble y avoir un déficit d’informations des responsables quant à l’importance du CSMP, une peur d’un glissement vers le social au détriment du médical, d’où la nécessité d’officialiser en 3 points : Matériel (personnes, temps), Identité (qui est qui, qualité), Clinique (que savons-nous faire)). »
Compte-rendu de plénière, 9 mars 2001.’

La difficulté pour les référents réside dans le fait de comprendre la nature de cette clinique psychosociale dans un contexte où selon Mr TABARY, Mr HUNTER et Mme ROUX, « il n’existe pas de clinique spécifique de la précarité et de l’exclusion sur le plan psychodynamique mais il y a pourtant des spécificités de tableaux cliniques psychiatriques. » 260 En d’autres mots, il est impossible pour les professionnels du CSMP de totaliser grâce à l’éclairage des théories psychanalytiques, psychopathologiques ou psychiatriques, la diversité des figures de la précarité qu’ils rencontrent. Le CSMP partage sur ce point l’observation faite par Bernard KOUCHNER, alors Ministre de la Santé, dans son rapport : « Si elle traverse toutes les catégories de personnes précarisées, la souffrance psychosociale est difficilement mesurable et ne se range pas dans le champ classique de la pathologie. Elle s’exprime en dehors des lieux traditionnels de la santé mentale par des comportements d’isolement, d’échecs répétés, des conduites à risques, des conduites addictives, des violences contre soi-même et contre autrui. » 261

Le débat concernant la définition du public en situation de précarité n’a alors de cesse de parcourir les ordres du jour des plénières du CSMP :

‘« Un débat important s’ouvre, sur l’objet même et la définition des limites de la précarité et du champ d’actions du CSMP. A partir de deux exemples significatifs : d’une part la situation des psychotiques en rupture de soins, d’autre part celle des jeunes en situation de précarisation et glissant vers la marginalité (le zonage, l’absence de revenus, les chiens). […] A l’issue de ce débat, il ressort que le champ d’intervention du CSMP ne doit pas être limité ni compartimenté, mais doit quand même porter en priorité sur l’approche, la compréhension et la fourniture d’outils cliniques et thérapeutiques aux zones de précarité pour lesquelles la psychiatrie ne possède pas de savoir solidement établi. »
Compte-rendu de plénière, 4 juin 2004 (c’est nous qui soulignons).’

Le champ d’intervention clinique défini par le CSMP ne prétend pas venir se substituer à celui de la psychiatrie classique, il s’agit plutôt de venir le compléter là où le savoir psychiatrique fait défaut. Mais en venant pointer du doigt les insuffisances, les limites de la psychiatrie, les référents du CSMP se heurtent à deux types de problèmes liés à leur double posture d’agent et de référent. En tant qu’agent de l’institution psychiatrique, dans leur travail quotidien dans les CMP ou autres services hospitaliers, ils se heurtent à la résistance du chef de service et au pouvoir de la psychiatrie mandarinale. En tant que référent du CSMP, ils se heurtent aux transformations des modes de management de l’institution psychiatrique et au pouvoir de l’impératif gestionnaire. Ces deux problèmes sont une cible pour l’ensemble des activités de sensibilisation mises en œuvre par les référents du CSMP.

Notes
256.

Compte-rendu de plénière, 26 janvier 2001.

257.

Compte-rendu de réunion bureau, 9 février 2001.

258.

Compte-rendu de plénière, 9 mars 2001.

259.

Idem.

260.

Compte-rendu de plénière, 26 octobre 2001.

261.

Extrait du Rapport « Santé mentale : l’usager au centre d’un dispositif à rénover » daté du 5 avril 2001. Rapport cité et débattu lors de la réunion plénière du 14 décembre 2001.