3.  La « Charte d’accueil des personnes démunies » : une production de normes pour répondre aux problèmes

En 2001, pour les psychologues RMI, comme pour les référents, il devient urgent dans un contexte où tout le monde a des difficultés à définir ce qu’est la précarité, d’initier une réflexion concernant les limites des champs d’action dans lesquelles s’engage le CSMP. Nombreux sont ceux qui pensent que le CSMP ne dispose pas de lignes stratégiques suffisamment claires, tant en termes de politique de soin que dans les activités engagées. Face à ce problème, Mr TABARY propose de mettre en place quatre sous-groupes dans le groupe des référents, chargés de mettre en ordre les différentes activités engagées :

‘« Des groupes de réflexion traitant chacun d’un chapitre ont été constitués et un référent par groupe [de référent] désigné. Chaque groupe établira un calendrier des rencontres, après concertation entre les membres.
- Niveau terrain : définir ce qui existe déjà et ce qu’on peut proposer dans les secteurs.
- Niveau partenariat : fonction de mise en lien entre intra et extra : CHRS, CCAS, groupe supra CSMP, RESEAU, peut-on distinguer soins et prévention.
- Niveau recherche : repérage des besoins, enquêtes, groupe de réflexion du style « non demande »
- Niveau formation : IFSI, partenariat avec l’ORSPERE. »
Compte-rendu de plénière, 13 juillet 2001.’

De ces groupes de réflexion émerge l’idée de la création d’une charte appelée initialement « Charte de bonnes procédures pour l’accueil des personnes en état de précarité »272 et qui prendra finalement le nom de « Charte d’accueil des personnes exposées à la précarité et à l’exclusion ».

Cette Charte, accompagnée d’un document de référence explicatif, permet de cadrer l’intervention clinique des référents du CSMP. Il ne s’agit cependant pas, pour eux, d’être trop normatifs d’où le changement de titre laissant de côté les termes de « bonnes procédures ». Il s’agit de fournir un outil aux activités de sensibilisation effectuées par les référents auprès des professionnels des CMP en « affichant » la volonté de se tenir loin de toute confusion des rôles. S’il s’agit de travailler avec des partenaires, de faire du réseau un support de la clinique, chacun doit intervenir dans son domaine de compétence. Pour les référents du CSMP, c’est l’articulation des compétences de chaque professionnel qui fait clinique et pas le glissement de ces compétences sur chacun des partenaires.

Un programme de rencontres dans les secteurs est validé par le CSMP en vue de présenter cette Charte et de mettre en place ce que le CSMP appelle des « cellules précarité »273. Chacune de ces rencontres doit mobiliser plusieurs référents, idéalement une infirmière, une assistante sociale et un médecin, ainsi que « des représentants du secteur, si possible au niveau médical, et les membres de ce secteur siégeant au CSMP. » L’objectif de ce « tour des secteurs » est « d’expliciter le programme du CSMP, de se livrer à une exploration des besoins et des demandes, de présenter la Charte, et de constituer l’ossature de la « cellule précarité locale » »274.

Dès le début de l’année 2002, les réunions plénières commencent quasi systématiquement par l’ordre du jour « Tour des secteurs ». A la manière des réunions de service dans les CMP où les infirmières « font le tour » des patients du service, les « plénières » deviennent des supports permettant de rendre compte des difficultés et des avancées ressenties par les référents dans la prise en charge des personnes en situation de précarité dans les CMP. Il s’agit également de se faire relais des difficultés de la prise en charge ressenties par les partenaires sociaux de ces CMP, comme par exemple la problématique de la « non demande » ou de la demande croisée. Les référents du CSMP catalysent ainsi toute l’information émanant des champs sanitaires et sociaux de leur secteur pour les faire remonter au CSMP, qui les centralise :

‘« Le CSMP n’est pas très identifié à l’intérieur du CPA, plusieurs points sont abordés : manque de clarté du contenu, résistance des secteurs avec peur d’être débordés par des demandes. La tendance au rétrécissement de l’activité du fait de la restriction des moyens : problème de l’avenir de la psychiatrie.
Défaut de communication, de valorisation de l’activité du CSMP.
Plusieurs idées sont évoquées pour y remédier : création d’un logo, ouvrir les réunions cliniques (qui n’ont pas commencé) à l’ensemble du CPA à titre de formation ; de mettre systématiquement un mot dans « Mission » [le journal du CPA].
Les questions du temps : Faut-il demander du temps individualisé, au risque de se trouver enclavé ou faut-il au contraire continuer avec du temps prélevé mais disséminé et pas toujours facile à recruter ? Plusieurs hypothèses sont évoquées notamment celle de détachement pour mission.
Le relais sur le terrain ne se fait pas toujours facilement, les demandes en provenance des secteurs ne sont pas toujours entendues. […]
On s’interroge sur la difficulté à relancer (sur Oyonnax et sur la Côtière notamment), des actions de formation type ORSPERE. Alors que les moyens ne manquent pas au niveau de la DDASS (dans le cadre des PRAPS). »
Compte-rendu de plénière, 11 octobre 2002.’

La Charte se nourrit donc de l’apport des différentes réflexions stratégiques en provenance des débats qui se tiennent pendant la première partie des réunions plénières et des analyses faites pendant la seconde partie où, à partir du mois de novembre 2002, sont présentés et discutés des « cas cliniques »275.

Au printemps de l’année 2003, une réflexion stratégique s’engage concernant l’« acheminement » de la Charte dans les différents secteurs psychiatriques du département. C’est seulement au mois de novembre 2003, après que la Charte ait été validée par la CME que son mode de diffusion est arrêté :

‘« On convient qu’on rencontrera d’abord les référents un par un, et que l’on se basera surtout sur la mise en valeur de ce qui est fait dans les secteurs et intersecteurs. Les référents nous indiqueront quelle est, selon eux, la meilleure manière de procéder selon la spécificité de leur secteur. »
Compte-rendu de plénière, 14 novembre 2003.’

Au cours de l’année 2004, la présentation de la Charte suscite diverses problématiques liées aux difficultés que rencontre le CSMP depuis son origine (politique de secteur, définition de la précarité). Face à ces difficultés, les réunions plénières servent de régulation où les référents y puisent des arguments tant en termes de contenu qu’en termes de stratégie de sensibilisation.

Au fil des mois qui passent, le nombre d’interventions concernant la diffusion de la Charte dans les CMP augmente, ce qui pose dans un premier temps, la question du recrutement d’un professionnel pour assurer la charge de travail liée à cette activité de sensibilisation avec Mr TABARY mais dont les membres du CSMP ne savent pas trop encore à quel corps de métier il appartiendra (infirmier, médecin, étudiant en DESS de psychologie, ou cadre infirmier de proximité). En même temps, le Département d’Information Médicale demande au CSMP de commencer à mettre en œuvre un processus d’évaluation de ses pratiques professionnelles à partir, entre autres, d’indicateurs de suivi de la Charte. Il est alors envisagé de mettre en place un suivi de la Charte qui a deux objectifs : (1) évaluer l’action mise en œuvre, (2) améliorer la mobilisation des membres du CSMP. L’accueil d’un doctorant en psychologie et le renforcement de l’équipe du CSMP par le recrutement d’un cadre infirmier de proximité ayant un temps spécifique CSMP est alors proposé lors de la réunion bureau du 3 septembre 2004. C’est à partir de cette réflexion que Mme POTTER, cadre infirmier de proximité, est nommée une année plus tard, au mois d’octobre 2005, coordinatrice du CSMP. Sa mission est d’organiser les activités du CSMP et de coordonner les différents référents dans les secteurs, intersecteurs et en intrahospitalier.

La fin de la présentation de la Charte dans les secteurs a lieu avec le service de psychogériatrie au mois de janvier 2005. Au cours de cette rencontre, différentes problématiques sont abordées telles que « l’errance des personnes âgées dépendantes, le rejet des personnes âgées précarisées par leur dépendance et par l’importance des moyens qu’elles demandent et qui dépassent leurs ressources propres (alors qu’elles n’avaient pas connu la précarité du temps de leur activité), des ventes abusives de biens des personnes sous tutelle » 276. Il est alors décidé que le Service intrahospitalier des Personnes Agées (DPA), ainsi que le service extrahospitalier appelé « le Château » délèguent des référents au CSMP.

Notes
272.

Compte-rendu de plénière, 14 décembre 2001.

273.

Compte-rendu de plénière, 11 janvier 2002.

274.

Compte-rendu de plénière, 11 janvier 2002.

275.

Le contenu de la deuxième partie des réunions plénières est étudié dans le chapitre 7.

276.

Compte-rendu de plénière, 28 janvier 2005.