A travers les professionnels de première ligne que sont les référents et les psychologues RMI, nous avons vu que le CSMP agissait dans de nombreuses institutions sanitaires et sociales du département de l’Ain. L’ensemble de ces activités est, depuis leur phase de mise en œuvre, évalué, de manière informelle, par les référents, et ce, dans le but de faire évoluer la pratique clinique auprès des publics en situation de précarité. Ces évaluations ont conduit le CSMP, entre 2005 et 2007, et suite à la parution de la circulaire du 23 novembre 2005 « relative à la prise en charge des besoins en santé mentale des personnes en situation de précarité et d’exclusion et à la mise en œuvre d’équipes mobiles spécialisées en psychiatrie », à s’interroger sur les modalités d’interventions directes sur le terrain auprès de la personne elle-même. Ce texte officiel, sans faire force de loi, est important car il pose un cadre pour un certain nombre de dispositifs qui, à l’instar du CSMP, fonctionnent de manière expérimentale depuis une dizaine d’années un peu partout en France310. Il précise les publics visés, les missions et les principes d’action ainsi que la palette d’activités mises en œuvre ou à mettre en œuvre par les équipes. Outre les activités en direction des acteurs de première ligne et en direction d’un réseau formalisé de partenaires, cette circulaire donne un cadre pour la mise en œuvre d’activités d’accompagnement direct en direction des personnes en situation de précarité d’exclusion, ce que le CSMP ne faisait qu’indirectement jusque-là.
Cette circulaire constitue l’une des priorités du plan « Psychiatrie et santé mentale » pour 2005-2008, et a été annoncée par le Comité Interministériel de Lutte contre l’Exclusion en juillet 2004. Au niveau départemental, elle s’inscrit dans la continuité des PRAPS et s’intègre dans le nouveau Programme Régional de Santé Publique 2003-2006. Pour la DDASS, il s’agit d’apporter des « moyens nouveaux pour pérenniser les actions de soutien dans l’accompagnement des personnes en détresse psychologique par les services de psychiatrie ». Le « Cahier des charges Psychiatrie Précarité » établi en août 2004 par la DDASS de l’AIN, prévoit notamment d’« établir au niveau départemental la coordination nécessaire à l’élaboration d’une structuration psy précarité répondant à la dynamique territoriale locale en lien avec les besoins locaux du public précaire ». C’est ainsi que Mr TABARY est entré en négociation pendant plus de deux années avec les coordinateurs et inspecteurs de la DDASS de l’Ain qui voyaient là une aubaine permettant à la fois d’harmoniser les pratiques psychiatriques autour d’une gouvernance propre à la santé mentale (travail en réseau, travail autour de problématiques et de publics spécifiques) et également de réunir l’ensemble des activités proposées par le CSMP dans un seul et même projet311.
La création d’une équipe mobile est ainsi apparue à la DDASS, comme au CSMP, comme une opportunité permettant de lever les dernières résistances de la psychiatrie à l’égard de la santé mentale :
‘« Remarque : cette étape création d’une Equipe Mobile, qui aurait pu être anticipée, a été freinée, dans l’AIN par plusieurs facteurs, (outre le défaut de financement) qui ont contribué à ce que le CSMP se cantonne dans des actions indirectes. Citons :En 2006, le CSMP rédige donc une première mouture d’un projet d’équipe mobile qui ne sera pas financé, faute d’être « suffisamment dans les clous » des cadres logiques et du cahier des charges que la DDASS préconise alors. En revanche, en 2007, après de nombreuses réunions tant avec la DDASS qu’avec les référents du CSMP, Mr TABARY accepte un certain nombre de compromis portant sur la réorganisation des activités du CSMP.
En même temps, l’écriture de ce projet permet de redéfinir le public concerné par le CSMP :
‘« Tout public, sans exclusivité d’âge, de sexe, de statut, de pathologie, etc.… signalé comme présentant des signes de souffrance psychique dans un contexte de précarité sociale reconnue comme telle par la personne effectuant le signalement. L’équipe de coordination de l’EMSMP se réservant toutefois le droit de récuser cette appréciation après examen du cas. »Deux infirmiers, un cadre de santé, un psychologue, une assistante sociale, une secrétaire et un médecin coordinateur doivent être affectés spécifiquement à cette équipe mobile dont les fonctions sont spécifiées de la manière suivante :
‘« Intervenir par une présence concrète et un travail sur le terrain même de la précarité – dont on sait que la caractéristique clinique principale réside dans la non-demande.Juillet 2008, ce projet d’équipe mobile sera financé à hauteur de 80% du budget prévisionnel, l’équipe sera mise en place à partir du mois de novembre.
En 2007, dans le but de préparer la première journée nationale de ces équipes mobiles, le Service d’appui « Santé Mentale et Exclusion Sociale » dirigé par le psychiatre Alain MERCUEL au Centre Hospitalier de Sainte-Anne (Paris) a réalisé une enquête qui a dénombré 52 équipes sur tout le territoire français et hors Paris intra-muros. La diversité tant des appellations, de la composition en ressources humaines et des actions menées par ces équipes reflète la complexité des différentes réalités locales et la pluralité du bricolage mis en œuvre. Pour plus d’information sur cette enquête cf. la revue Pluriels n°67 du mois de juin 2007 consacrée entièrement à ces équipes.
La négociation entre le CSMP et les acteurs de la DDASS a fait l’objet d’une enquête de terrain. Il ne s’agit cependant pas pour nous de reprendre ici l’historique de cette négociation. Un exemple de montage de projet négocié entre les acteurs de terrain et leurs bailleurs sera étudié plus loin dans le chapitre 6.