Conclusion de la partie 1 – Prendre soin via le réseau : vers une nouvelle forme de gestion des risques ?

Cette première partie nous permet d’élaborer une première ébauche de réponse quant à savoir si l’on assiste aujourd’hui à une disparition de l’Etat gestionnaire des risques ou à l’émergence d’une nouvelle logique de solidarité. Nous avons observé que l’objectif de cette clinique en réseau était de pallier à l’institution psychiatrique là où elle faisait défaut, dans ses relations avec le social. Cependant, le CSMP reste un dispositif bien attaché à l’institution psychiatrique puisque son système de redistribution de l’offre de soins à l’égard des personnes en situation de précarité s’effectue à travers des référents répartis dans tous les secteurs psychiatriques d’un département. Cette observation nous amène à penser qu’il n’existe pas de désinstitutionalisation concernant la psychiatrie et qu’au contraire les institutions semblent se renforcer en s’organisant autour de la personne et, se faisant en reconfigurant la relation d’aide.

Plus précisément, le déplacement de la psychiatrie vers la santé mentale s’effectue à travers le déploiement organisationnel de dispositifs-réseaux de connaissance (des problèmes) et d’interconnaissance (entre professionnels) qui semblent ne plus avoir pour objectif de soigner (pratique de cure) un « état » (une psychose, une dépression) mais de prendre soin (pratique de care) d’une « personne » afin d’éviter qu’elle ne (re)chute encore plus bas. Le traitement mis en œuvre est donc celui d’un processus, la précarité, qu’il s’agirait de prévenir. Selon les cliniciens du CSMP, « prévenir la précarité », c’est s’intéresser à tous les contextes de production des fragilités sociales de l’individu en intégrant, comme le souligne également Michel JOUBERT, les facteurs externes qui viennent « attaquer » ses ressources, et son capital de résistance et de confrontation315. Autrement dit, « prévenir la précarité » consiste à reconnaitre la vulnérabilité d’un public élargi (parce qu’identifié à partir de sa « souffrance psychique »), partout où elle est susceptible d’émerger.

C’est ce qui semble se jouer à travers l’émergence d’une démarche clinique qui sort de la relation d’aide directe, qui se fixe comme objectif de suivre la personne en proximité (clinique de suivi) ou, plus à distance, de manière collective (clinique du parcours) à travers toute une technologie du transport entre les institutions, et de la traduction de langages et de savoirs entre les professionnels impliqués (clinique sur site). La pratique de care, à travers cette clinique en réseau, semble donc apparaître comme une nouvelle forme de gestion des risques qui se constitue à l’épreuve des parcours de vulnérabilité des personnes en situation de précarité. Afin d’aller plus loin dans la vérification de cette hypothèse élaborée principalement, dans ces deux premiers chapitres, à partir d’une sociologie de l’organisation de la clinique, il nous faut nous intéresser, dans la seconde partie de ce travail de thèse, à l’expérience clinique des intervenants sanitaires et sociaux telle qu’elle se constitue dans la relation d’aide auprès des personnes en situation de précarité.

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Notes
315.

JOUBERT M., (2003), Santé mentale, ville et violence, Ramonville Saint-Agne, Eres, p. 64-65. Cet ouvrage et de manière générale, un certain nombre de travaux de Michel JOUBERT s’intéressant aux questions de l’exclusion sociale et de la santé mentale, font partis des corpus doctrinaux mobilisés par certains référents du CSMP, dont notamment Mr TABARY.