Le 115 : orienter les personnes en situation de précarité vers un hébergement

Le 115 est le numéro d’appel que peut joindre, jour et nuit, tout individu pour être orienté vers un hébergement. Pendant plus de 10 années et jusqu’à l’automne 2005, c’est l’association OSER et son CHRS « le FAR »339 qui gérait ce dispositif dans le département de l’Ain. Mais suite à de nombreux conflits opposant cette association aux pouvoirs publics (DDASS, préfecture) concernant notamment son mode d’autogestion, un appel d’offres a été lancé dans le département pour reprendre ce numéro d’appel. Après de nombreuses tensions interinstitutionnelles engendrées d’une part par les conditions de retrait du 115 de l’association OSER et d’autre part par l’absence de « repreneur » (mise à part l’association déboutée), de longues négociations sur la dotation du nouveau 115 ont eu lieu pour qu’au mois d’octobre 2006 l’Association Départementale de Sauvegarde de l’Enfant à l’Adulte de l’Ain (ADSEA) se voit confier par l’Etat la mission « de régulation, d’orientation et de prise en charge des sans-abri dans le département de l’Ain » 340.

Aujourd’hui, l’ADSEA définit sa mission sur le numéro d’urgence 115 comme s’articulant autour de trois points :

  • « l’accueil, l’écoute et l’information ;
  • l’évaluation et l’orientation notamment vers un hébergement ;
  • la contribution à l’observation sociale en termes de connaissance et d’alerte » 341 .

Au printemps 2007, le service 115 de l’ADSEA est composé essentiellement de six personnes partageant le statut d’« écoutant téléphonique », d’un « intervenant sur site », et d’un chef de service. Ce service est fonctionnellement rattaché au pôle logement de l’ADSEA, pôle qui inclut également un service d’Accompagnement Social au Logement et un service CHRS nommé « La Parenthèse ». Les trois services du pôle logement sont sous la responsabilité du même chef de service, Mr NOMAD, qui est également investi dans les actions du CSMP à travers le Réseau départemental CHRS-CSMP (activité de réticulation).

Les « écoutants téléphoniques », deux hommes et quatre femmes, se relient 24h/24h, 7j/7j pour tenter d’apporter une réponse téléphonique permanente aux demandes exprimées. Ni travailleurs sociaux ni professionnels du soin, ces « écoutants » sont recrutés à partir d’un ensemble de compétences plus liées à une posture relationnelle qu’à la possession de savoirs techniques. Il leur est en effet demandé de posséder : « bon relationnel, capacités d’écoute, adaptabilité, sens du travail en équipe, sens des responsabilités, organisé, autonome, flexibilité par rapport aux horaires de travail, esprit d’ouverture, respect des consignes, connaissances en informatique, motivé pour travailler dans le secteur social » 342.

L’ « intervenant sur site » est chargé principalement d’entretenir les relations entre le 115 et ses partenaires (CHRS, hôtels, foyers) ainsi que de veiller, en période hivernale, à l’organisation des cinq lits 115 au sein de l’hôpital « Fleyriat ». Un document récapitulatif (en annexe du chapitre 3) donne un aperçu des différentes tâches attribuées à chacun de ces trois postes.

Toute personne souhaitant être hébergée via le 115 doit appeler vers 10h du matin le jour même. « Pas trop tôt car le décompte des places disponibles n’est pas encore fait, pas trop tard car il peut ne plus y avoir de place » me précise t-on (écoutant du 115). La répartition dans les hôtels, CHRS, foyers, ou lits mis à disposition par l’hôpital général ne se fait pas en fonction de l’ordre d’appel, il s’agit d’un choix effectué par l’écoutant selon des critères discutés en réunion d’équipe. Ainsi celui qui appelle fréquemment et qui bénéficie régulièrement d’un lit ne sera pas considéré comme prioritaire face à un nouvel arrivant sur le territoire. De même, les « personnes malades et les personnes âgées » sont prioritaires par rapport aux « jeunes marginaux et toxicomanes ». Une certaine sélection s’effectue du côté des écoutants tandis que, chez les accueillants comme chez les accueillis, d’autres critères sont à l’œuvre. Ainsi, tel CHRS refusera d’accueillir les « alcooliques », tel hôtel refusera d’accueillir les « SDF avec leur chien » 343, ou encore les « couples » 344.

De même, certaines personnes en situation de précarité refuseront d’être hébergées dans un foyer localisé à l’autre bout de la ville ou du département prétextant une trop grande distance d’avec le quartier ou l’impossibilité de trouver un travail dans le bassin d’emploi correspondant. L’équipe des écoutants vérifie également toujours la présence ou l’absence d’un moyen de transport. Il s’agit non seulement de savoir s’il existe pour la personne la possibilité d’être hébergée très temporairement dans sa voiture et, également, de savoir si elle pourra se rendre sur les lieux d’un éventuel travail fourni par la mission locale, l’ANPE, les agences d’intérimaires. Lorsque l’absence de véhicule est confirmée, les jeunes ont la possibilité de se voir prêter par la mission locale une mobylette. Mais les parcs de mobylettes des missions locales restent rares et peu dotés dans le département, et leur gestion pose souvent de nombreuses difficultés aux conseillers qui en ont la charge (non retour des mobylettes, nombreuses réparations liées à un mauvais usage). Ainsi, dans le local du 115, devant l’écoutant téléphonique du 115, un grand tableau est dressé et reprend les éléments suivants :

Reproduction du tableau utilisé par les écoutants du 115 pour organiser leur activité.
Nom du lieu d’hébergement Nombre de place
(exemples)
Critères d’accueil
Nom de la personne hébergée Nom des personnes interdites (préciser la période ou si c’est tout le temps) Souhait des personnes
Hôtel Y
CHRS
Lits 115 à l’hôpital
Foyer Z
(2)
(3)
(2)
(1)
- (sans chien, homme, pas de problème psychologique, seul)

- (femmes seules avec enfant(s))
- Mr V



- Mme H



- Mr K
« Ne plus mettre Mr B à l’hôtel Y, trop de problèmes (a ramené hier soir quelqu’un dans sa chambre plus son chien). »

« Ne plus mettre Y au CHRS X car trop violent avec les autres, interdit de séjour. »

« Ne plus mettre Mr Z à l’hôtel U, a tagué la chambre, trop de risque de violence. »
« Mme K ne veut plus aller au CHRS X parce qu’il n’y a pas de travail dans le coin. »

Notes
339.

Nous renvoyons le lecteur qui souhaiterait obtenir des informations plus précises sur cette association, et l’évolution des débats avec les pouvoirs publics concernant son devenir, vers le site internet http://www.oser-lefar.org/ et plus précisément la rubrique « Documentation », fichier « La belle histoire ».

340.

Source : « Rapport d’activité du 115 Hiver 2006-2007 ».

341.

Idem.

342.

Source : « Organisation du service 115 – Profil du personnel écoutant 115 ».

343.

Notre interlocutrice, Mme ODIAUX nous explique également que certains CHRS négocient la présence du chien avec leurs bénéficiaires en proposant trois nuits sans chien contre une nuit avec chien.

344.

Nous reprenons entre guillemets les propos et catégories de Mme ODIAUX.