2. Les références théoriques et cliniques mobilisées

Apprendre sur le tas

Mlle LEDOUX

Comme un certain nombre d’infirmières du Centre Psychothérapique de l’Ain, Mlle LEDOUX est jeune, fraîchement diplômée, et avoue n’avoir que peu de connaissances des problématiques traitées par les infirmiers en psychiatrie352.

Au cours de sa formation initiale, Mlle LEDOUX n’a jamais entendu parler de la clinique psychosociale ni de la précarité comme problématique pouvant être traitée en psychiatrie. Elle y est cependant aujourd’hui sensibilisée par une infirmière, référente du CSMP, qui rapporte ce qui se dit lors des réunions plénières lorsque l’unité rencontre un cas de précarité. Cette formation « sur le tas » n’est pas spécifique à cette problématique. La formation des infirmiers en psychiatrie s’effectue aujourd’hui de plus en plus sur le mode du compagnonnage par les plus expérimentés, pratique qui viendrait, selon Mlle LEDOUX, pallier au défaut de formation initiale en psychiatrie concernant certaine problématique.

Mme ODIAUX

Ancienne boulangère-pâtissière, ancienne secrétaire de direction, Mme ODIAUX, la quarantaine, a occupé des postes très différents mais elle n’a jamais travaillé dans le social. Suite à un bilan de compétence, il ressort cependant que son « goût pour les autres » peut être développé et mis à profit d’une nouvelle formation. Après avoir pensé devenir écrivain public, elle tente plusieurs écoles de formation dans le travail social qui toutes, selon elle, lui ont fermé les portes car trop âgée et pas du tout expérimentée dans le domaine. Connaissant le directeur de la Sauvegarde de l’enfance et arrivant au moment où Mr NOMAD déployait une politique laissant leur chance à des « personnalités non formatées par le travail social », elle est recrutée dès le démarrage du dispositif.

L’écoutante nous confie être « attachée » ainsi à sept ou huit personnes dont elle nous énumère les différentes problématiques. « Nicolas par exemple, c’est un type, à chaque fois qu’il va au CHRS ça se passe mal. Donc, il était interdit en permanence. Mais c’est les éducs qui décident ça et des fois ils lèvent l’interdiction. D’ailleurs là, ils l’ont enlevée mais ils vont sûrement la remettre. Pour d’autres personnes, les éducs me disent c’est niet de chez niet comme Stéphane et Raoul par exemple, je les connais bien aussi ceux-là. Ils sont passés par l’hôpital psychiatrique tous les deux. Ils ont encore besoin de soins. Lui, c’est un type hyper dangereux, il est normalement à l’hôpital psy de Lyon mais là il est sorti. Je sais pas trop pourquoi ni comment mais il est arrivé chez nous. Si on faisait un regroupement avec les hôpitaux psychiatriques, on se rendrait compte qu’il y en a un certain nombre qu’on a en commun. Le souci, c’est que personne ne se préoccupe de ça. C’est ce qu’on se disait depuis qu’on est là. C’est que chacun se renvoie la patate chaude, tac tac tac, moi j’en veux plus, toi tu le reprends et voilà. Et personne ne s’est vraiment penché sur le cas du type. Qu’est ce qu’il faut réellement faire pour essayer de sortir ces gens de la rue. En plus, normalement c’est pas notre boulot. Nous on est là pour orienter, on ne fait pas de suivi. Mais comme cette année, il y a eu tellement peu de places entre le Far qui était fermé, Tremplin qui a pallié au plus pressé, etc., nous on a quand même pris un rôle qui n’était pas le notre de suivi parce que même les assistantes sociales quand moi j’appelais en disant j’ai telle ou telle personne en difficulté, il faudrait faire quelque chose, elles me répondaient, attendez c’est pas mon boulot vous n’allez pas m’envoyer tous les SDF de la terre. Je lui disais que normalement nous 115, on est dans l’urgence, donc je prends en charge cette personne un jour, deux voire trois jours à la limite, mais à partir de là, il y a une autre structure qui prend le relais. Théoriquement c’est ça. Mais bon, les frères X, ça fait 6 mois que je suis là, ça fait six mois qu’ils sont là aussi. Et tous les jours, ils appellent le 115, tous les jours. Pour bien faire, il faudrait que ces personnes-là soient mises dans un foyer, et qu’on leur donne la possibilité de se poser réellement. Les frères X, c’est des polonais. Donc c’est un problème complètement différent. Il y a la loi qui a été faite concernant les pays de l’Est qui fait que si un employeur veut les prendre, il faut qu’il paye une taxe supplémentaire. Donc, il n’y a pas un employeur qui est intéressé pour payer la taxe. Donc même si il veut travailler, on l’a envoyé sur Oyonnax, il a réussi à décrocher une mission à Oyonnax et ça a duré peut-être 15 jours. Au bout des 15 jours, ils n’ont pas renouvelé. Alors pourquoi, c’est vrai que je n’ai pas appelé l’agence d’intérim, je vais peut-être le faire un jour, pour savoir le pourquoi du comment. Est-ce que c’était à cause du travail du gars ou est-ce que c’était parce qu’ils se sont aperçus qu’il y avait une loi qui ne pouvait pas… Donc du coup, ils vivotent en travaillant un peu pour Tremplin mais bon c’est pas terrible quoi. Voilà, c’est un peu la même chose pour tous, ils vont, ils viennent, c’est vraiment pas terrible. » (Mme ODIAUX, écoutante du 115).

Les écoutants deviennent ainsi très rapidement le maillon incontournable du réseau sanitaire et social des personnes en situation de précarité, faisant le lien entre les différents intervenants.

‘« Bonjour, Charlotte du 115, alors hier j’ai mis une pression à Tremplin, parce que c’était refus sur refus en disant qu’il était hors de question qu’ils prennent ce monsieur. Je leur ai dit pourtant qu’il n’est pas alcoolisé, il faut absolument que vous le preniez, il a fait l’effort de les appeler directement. J’ai rappelé derrière pour qu’ils le prennent en passager. Et donc, ils l’ont pris en passager pour trois jours. Il a rappelé le 115 ce matin donc il a pas dû bien comprendre qu’il était en passager mais bon, ça c’est pas grave. Donc normalement pour 3 jours c’est bon. Et moi, je vais le suivre tous les jours pour savoir s’il y est bien allé. Mais hier soir, il y a dormi, moi j’ai appelé avant de partir pour savoir s’il était bien arrivé, il y était. J’avais même appelé les petites sœurs en leur disant, s’il revient vers vous, envoyez le à Tremplin. Parce que moi, Tremplin me dit non, Envol me dit non, je les avais en ligne en même temps. J’ai dit à la personne que personne ne voulait le prendre mais j’ai insisté en disant écoutez aller voir Tremplin, dites leur que vous n’avez pas bu, faites voir que vous n’êtes pas alcoolisé, que vous pouvez rester là-bas, qu’il n’y a pas de souci. Allez les voir. Défendez votre croûte. Et entre temps, Tremplin a cédé en disant effectivement on peut le prendre en passager. Mais j’avais peur qu’il n’y aille pas, c’est pour ça que j’ai rappelé les petites sœurs. Mais c’est dur hein, un pas à la fois, c’est dur d’en faire plus… ça c’est joué à un cheveu… parce que là tout le monde l’a pris en grippe, le FAR je sais pas ce qu’ils en pensent… oui … c’était l’alcool, c’est ça, d’accord… dès qu’il y a quelqu’un je t’appelle. D’accord, à bientôt. »
Extrait d’observation. Appel téléphonique entre
Mlle CLERC (CESF à la PASS) et Mme ODIAUX (écoutante du 115).’

Mme ODIAUX circule en permanence dans les réseaux sanitaires et sociaux des personnes en situation de précarité à la recherche de solutions d’hébergement. La contrepartie de son écoute réside dans l’activation des usagers, dans ce « bougez-vous » qu’elle prescrit à plusieurs reprises.

Notes
352.

Il est écrit dans le volet « projet de soins infirmiers » du Projet d’Etablissement n°2 du CPA : « l’intégration d’un nombre important de personnel ne bénéficiant pas d’une formation spécifique à la psychiatrie, l’augmentation du nombre de temps partiel et le départ naturel massif de professionnel opérationnel en psychiatrie rendent difficile la transmission des savoirs spécifiques à la psychiatrie. » p. 95.