Mobiliser des références hybrides

Mlle CLERC

Bibliographie du mémoire de fin d’études de Mlle CLERC.
"Clochard : l’univers d’un groupe de sans-abri" Patrick GABORIAU, Julliard, 1993
"L’intervention sociale d’aide à la personne" Conseil Supérieur du Travail Social, Collection Politiques et interventions sociales, Editions ENSP, Rennes, 1998, 174p
"La Pauvreté" CF BARRAT, Que sais-je ?, PUF, Paris, 1998
"La pauvreté en France" Serge MILANO, Le Sycomore, Paris, 1982, 254p
"Les Exclus : un Français sur dix" René LENOIR, Edition du Seuil, 3ème édition mise à jour, Paris, 1974, 180p
"Les naufragés : avec les clochards de Paris" Patrick DECLERCK, Terre Humaine Poche, Pocket, Paris, 2001, 455p
"Les politiques sociales en France" Patrick VALTRIANI, Les fondamentaux Hachette Supérieur, Paris, 1999
"Les SDF" Julien DAMON, La Documentation Française, Problèmes politiques et sociaux, n° 770, 1996, 78p
"Santé, précarité et exclusion" Emilio LA ROSA, Le sociologue, PUF, Paris, 1998, 222p
"SDF Sans Domicile Fixe" Antoine SILBER et Rahmatou KEITA, Edition JC Lattès, Paris, 1993, 191p
"Travail social et souffrance psychique" Jacques ION et al., DUNOD, paris, 2005, 208p
"Vagabondage et mendicité" Julien DAMON, Dominos Flammarion, Paris, 1998, 122p

La pluralité des références théoriques mobilisées par Mlle CLERC pour réaliser son mémoire de fin d’études reflète, d’une part, une certaine volonté d’ouverture sur l’ensemble des champs sociologiques, anthropologiques, psychologiques et philosophiques traitant de la question de la pauvreté, de l’exclusion et de la précarité, et, d’autre part, témoigne de la construction d’une identité professionnelle hybride. Mlle CLERC fait également référence dans l’entretien à la revue Rhizome dont elle possède tous les numéros en fichier numérique dans son ordinateur.

Mlle CLERC explique qu’elle doit travailler avec une nouvelle équipe « de permanenciers téléphoniques » du 115 qui lui semble sous-qualifiée pour effectuer une mission qui relève selon elle du travail social. Ces permanenciers effectueraient « des fiches sur les gens, et ils peuvent me ressortir tout l’historique de la personne en me disant ah là, ça c’est mal passé donc je ne vais pas pouvoir lui accorder quelque chose. » Toujours selon elle, « ils n’hésitent pas à porter des jugements sur la manière dont la personne réagit. » Alors que « si on appelle le 115, à la base c’est qu’il y a une urgence et que voilà, il faut mettre les gens à l’abri » 353. « On sait très bien que ce sont des personnes qui sont fragiles, qui ne peuvent pas s’adapter en vivant une nuit à l’hôtel. C’est clair que c’est déjà bien qu’on puisse leur offrir ça, mais il leur faut plus que ça. Et donc forcément des fois il y a des clashes. On met la personne à l’hôtel et ça se passe mal, parce qu’ils sont sales, parce qu’ils sont violents, ils peuvent être agressifs parce qu’ils sont en colère contre la société, et on représente un peu tout ça. C’est toujours un peu difficile à démêler si c’est la cause, la conséquence. Et griller la personne en disant qu’on ne la prend plus en charge, c’est parce que la dernière fois ça c’est mal passé… merde, si à chaque fois qu’il y avait un échec avec une personne, je disais que je ne veux plus m’en occuper il n’y aurait plus grand monde devant ma porte. C’est aussi prendre en compte qu’on avait cette solution-là parce qu’il fallait le mettre à l’abri, que c’était mieux que dehors mais que aussi ça peut ne pas convenir à la personne. […] Il y a des problèmes de fond, on sait très bien que les personnes sans domicile fixe, il y a un problème de fond, donc si on n’a pas les moyens de les régler, et qu’on nous donne pas les moyens de mettre la personne à l’abri un peu plus que trois jours, c’est clair qu’on reste dans le même schéma. Et simplement, l’alcool, la dépendance, et c’est très dur de les faire remonter. C’est pour ça que le FAR, le fait que ça soit des travailleurs sociaux, 24/24h qui puissent apporter la douche, les repas aussi, les voir, parce que c’est ce qui manque aussi au 115 actuellement, ce n’est qu’une permanence téléphonique, ils ne voient pas la personne. Donc comment on peut faire du travail social sans voir la personne ? Moi ça m’interpelle. » (Mlle CLERC).

Mr DUCHEMIN

Selon le docteur DUCHEMIN, toute psychothérapie doit s'appuyer sur des références éclectiques et intégratives permettant de favoriser la rencontre avec le patient. Il fait référence à la proposition de Sophie BARTHELEMY concernant un « métissage théorique et méthodologique dans la recherche en psychologie » 354  : « Moi, je ne suis pas d’une école particulière. Non, j’ai envie de dire pour me définir, je suis éclectique. J’ouvre ma boîte à outils et je fais avec un tas de trucs qui va du cognitivo-comportementalisme à comme je le sens, à l’intuitif, en passant par des idées un peu plus analytiques. Je me revendique d’aucune école. Pour vous donner un exemple, tout simple, c’est un patient qui a comme je dis, une structure état limite avec des problèmes de prises de toxiques. Il utilise des traitements substitutifs comme toxiques et il me dit qu’il en a plein chez lui, des comprimés de SUBUTEX. Et donc il allait en permission tous les week-ends. Ici, il en prend pas mais chez lui il continuait à en prendre quand il rencontrait des situations un peu difficiles à prendre en charge. Et on n’arrivait pas à lui faire dépasser ce stade-là et qu’il puisse se rendre compte que dans son week-end, il puisse faire tout ce qu’il avait prévu de faire en un week-end sans prendre de produit. Donc ça m’est venu à l’idée de lui dire prenez vos comprimés de SUBUTEX, vous les enfermez dans une première boîte, vous la mettez dans une deuxième boîte, et celle-là dans une troisième et le tout dans un placard que vous fermez à clef et la clef dans une autre pièce. Et bien le week-end dernier, il a eu envie de prendre du SUBUTEX, mais face à toutes les étapes qu’il avait à franchir, il n’a pas pris le SUBUTEX. Je ne sais pas si c’est cognitivo-comportementaliste, si c’est intuitif, si c’est … mais n’empêche que ça a fonctionné. Ca lui a permis d’aller rencontrer sa famille, ce qui était pour lui quelque chose de difficile, sans prendre de comprimés et il s’est rendu compte que ça ne c’est pas trop mal passé. Ca c’est des mises en situation. C’est mettre en situation et se rendre compte que c’est possible. On peut faire évoluer ces fonctionnements, ces manières de faire, sans que ça mette le patient en danger. […] cette idée est venue à ce moment-là. On avait fait avant tout un travail d’inspiration analytique avec des liens avec son histoire personnelle, familiale, etc., des troubles précoces. Donc, oui, il y a cet aspect-là et il y avait aussi cet aspect-là. Comme j’utilise aussi d’ailleurs des traitements médicamenteux. Comme je fais aussi du somatique, puisque je suis médecin dans la mesure de mes compétences, je fais ça aussi. […] Moi, j’ai toujours défendu ici le fait que quand on prenait en charge un patient, on le prenait en charge globalement. Parfois on arrive à dire qu’on ne peut pas donc on ne peut pas mais l’aspect social, on est obligé de le prendre en charge. On ne peut pas dire, nous on fait de la psychiatrie point, ça c’est pas de la psychiatrie c’est du social, non. Je revendique le fait qu’on prenne en charge les patients ici de façon globale, comme on prend en charge le psychique, le somatique, le social. Parce que le social réagit ou agit forcément sur le psychisme. Et on est obligé de prendre en compte ce que la société est, pour prendre en compte ce que sont les pathologies aussi. Je crois en particulier que les pathologies sur les états limites, j’ai lu deux trois trucs, il y a quand même quelque chose d’intéressant à comprendre de ce côté-là. On a une société qui, à mon sens, favorise actuellement l’éclosion de pathologies qui sont comme ça dans le registre état-limite. Dans l’immédiateté, confondre désir, besoin et ne plus avoir la notion du temps qui s’estompe. […] Je participe à toutes les activités de l’établissement, même les randonnées ou les sorties en raquette par exemple. C’est montrer que quelque part le médecin, c’est aussi un être humain. C’est pas quelqu’un enfermé derrière son bureau. Et je crois qu’avec les état-limites en particulier, même si c’est difficile parce que ça nous fait vivre des choses particulières personnellement, dans cette proximité, dans cette confrontation des bulles de chacun, et moi à mon avis, le soin, il se fait là, dans cet espace de rencontre entre nos bulles respectives. Comme je dis aux étudiantes à l’école d’infirmières, avec les états limites, il faut accepter quelque part de se faire un petit peu bouffer. Il faut rentrer un peu dans leur monde, parce que si on n’entre pas, on ne les atteint pas. Le problème c’est de ne pas se faire complètement happer quoi. […] c’est un peu comme la psychothérapie institutionnelle d’autrefois, ça nécessite de s’investir. On est obligé d’y aller un peu quoi. » (Dr DUCHEMIN).

L’équipe du CAP

Nous avons abordé l’étude des références théoriques de l’équipe du CAP à travers un questionnement sur les représentations de la précarité que pouvait avoir l’ensemble du personnel. Les résultats de cette investigation se trouvent dans le tableau ci-dessous :

Tableau 4 : Représentations de la précarité chez les différents professionnels du CAP.
Médecins Les migrants posent le problème de leur accueil à cause des problèmes de langue (utilisent les interprètes de SOS Migrants à Lyon).
Actuellement, problème lié à la problématique d’expulsion des migrants.
Problème des grands précaires qui sont plus migrants l’été car moins ancrés dans un logement.
La précarité, ce n’est pas une catégorie psychiatrique.
Problème lié à la non demande.
Souvent ce sont des personnes à problèmes d’ophtalmologie et de dentiste.
Cadre Infirmière de Proximité Isolement familial, toxicomane, personnes qui ne sont pas dans les bonnes « cases », qui n’ont pas de statut social, pas de travail, etc.…
Infirmières Divorce, conjugopathie(+++)
Séparation entre les parents et l’enfant
Fait référence à pyramide de Maslow en disant que la précarité augmente au fur et à mesure qu’on arrive au sommet de la pyramide.
Demandeur d’asile.
Ce n’est pas en lien avec l’AAH ou le RMI car certains vivent très bien avec ces allocations
Agent administratif Quelqu’un qui n’est pas assuré, qui n’a pas de couverture sociale.
Interne psychiatre Conjugopathie, situation affective douloureuse, perte de statut, perte de travail, certaine personnalité qui n’ont pas d’assurance, qui ne croit pas en l’avenir, ne se projette pas, jeunes intérimaires qui vivent dans leur voiture ou en camping, personnes qui ont du mal à trouver un loyer qui correspond à leurs moyens, personnalité addictive, ce n’est pas un syndrome dépressif classique, lorsqu’il y a demande c’est de l’urgence comme s’il fallait répondre à l’injonction de la société qui dit qu’aujourd’hui il faut parler de soi.
Cadre Infirmière Supérieure Personne sans couverture sociale, sans lien, en rupture, à la rue, marginalisée, ce n’est pas forcément quelqu’un qui souffre (même idée que l’interne)
Ado qui ont été mis à la porte de chez eux (en lien avec toxicomanie, alcoolisme).
Psychotiques qui se referment sur eux-mêmes.
Personne en souffrance affective.
Se caractérise par un vécu de rupture.

Comme le montrent ces différentes représentations concernant la problématique des personnes en situation de précarité, il n’y a pas forcément au CAP de culture psychiatrique commune. Chacun dit, de plus, se situer en fonction de son expérience et à partir des revues qu’il peut trouver ici ou là dans le service, notamment sur l’étagère qui se situe derrière le guichet d’accueil et qui réunit tout un ensemble de ressources bibliographiques355. Certains comme les cadres infirmiers, l’interne et le médecin ont été sensibilisés à la clinique de la précarité.

Selon la cadre infirmière supérieure du CAP, qui est une amie de longue date de Mr TABARY et ancienne référente fondatrice du CSMP (elle faisait partie du GSMP), pour travailler avec les personnes en situation précaire, « il faut être humain et avoir des tripes ». Selon elle, la clinique psychosociale constitue une ressource qui permet de mieux comprendre, de clarifier cette problématique mais le CAP se situerait trop dans l’urgence, et ne prendrait pas suffisamment le temps de travailler cette question. Certains professionnels du CAP, sous prétexte d’un accompagnement de la précarité et en réponse à la non-demande seraient plus dans une posture d’ingérence que de soin, comme s’il fallait faire absolument quelque chose dans le peu de temps imparti. Toujours selon cette cadre infirmière, cet agir à tout prix rejoint l’idée de ce que les soignants appelleraient aujourd’hui « l’approche globale de la personne » qui relèverait de la toute puissance du soignant : « Il faut en réalité, tenir compte du contexte dans lequel s’inscrit la pathologie. Il ne s’agit pas de coller des étiquettes, il y a un temps pour ça certes, mais il est important de sentir ce moment-là et pas de s’y précipiter trop rapidement. Il ne s’agit pas de précariser les gens, ni de les victimiser, ni de les psychiatriser. Mais ça, on n’en a pas forcément conscience ici. » (Une cadre infirmière supérieure du CAP).

Notes
353.

Ce qui nous intéresse ici ce n’est pas tant la relation entre les deux structures, mais ce que dit Mlle CLERC en lien avec cette relation : pour elle donc, il faut mettre les gens à l’abri, et c’est ce qui constitue l’enjeu de son travail de négociation avec le 115.

354.

BARTHELEMY S., GIMENEZ G., PEDINIELLI J.L. Proposition d’un métissage théorique et Méthodologique dans la recherche en psychologie, Communication orale Congrès National de la Société Française de Psychologie, Septembre 2005, Nancy, France.

355.

Cf. annexes du chapitre 3 - Documents de référence du Centre d’Accueil Permanent du CPA.