III. Les récits des interventions cliniques concernant Emilio : le chemin d’épreuves des intervenants

1. Le vagabondage institutionnel : une mise à l’épreuve de l’accès aux soins

Emilio arrive pour la première fois à l’accueil des urgences de l’hôpital « Fleyriat » en novembre 2004 avec une problématique entremêlée d’errance (il est cependant en recherche d’habitat) et d’alcoolisme sévère. Toujours « demandeur de pouvoir passer une nuit au chaud » (Mlle CLERC), il utilise parfois les lits que propose le service des urgences pour se reposer une nuit. Sinon, il vit dans la rue et parfois, l’hiver surtout, au CHRS « Tremplin », et cela depuis une quinzaine d’années. Ces séjours sont toujours teintés de violences car « il ne supporte ni la solitude ni la vie en communauté » précise Mlle CLERC.

Au début de l’année 2006, Emilio recommence à boire, de plus en plus, à tel point « qu’il donnait l’impression de prendre dix ans chaque mois qui passait » (Mlle CLERC). Au mois d’avril, Emilio se fait exclure du CHRS « Tremplin » suite à un excès de violence. Jusque-là, Mme LABORDE (éducatrice spécialisée au CHRS « Tremplin ») était la « référente » d’Emilio, mais « cette référence-là ne pouvait plus trop tenir » précise t-elle, Emilio n’allant plus au CHRS. Suit une longue période de rue où Emilio vagabonde entre ces institutions, réussissant parfois à négocier un repas au CHRS, une nuit aux urgences. Il vient pratiquement tous les jours aux urgences, recueilli par les pompiers parce qu’il fait des crises d’épilepsie sur la voie publique. Entre ces différents moments d’apparition, Emilio continue de boire de plus en plus et son exclusion du CHRS ne semble rien changer à l’affaire remarque l’éducatrice. Tout le monde commence à s’inquiéter vraiment parce qu’Emilio a des propos morbides qu’il ne tenait pas auparavant. Il explique pendant des entretiens de plus en plus longs avec Mlle CLERC (2 à 3 heures parfois) qu’il veut se faire soigner à l’unique condition qu’il ait un logement. Malgré toute cette bonne volonté, Emilio se confronte à la logique des acteurs du sanitaire qui disent que pour se faire soigner (faire une cure de désintoxication par exemple) il faut avoir un logement, ou encore à celle des bailleurs du social qui disent qu’ils ne veulent plus héberger d’ « alcooliques » avant qu’ils ne se fassent soigner.

Face à cette circularité de la problématique d’Emilio qui entre, pour les cliniciens, en phase avec les limites du système d’accès aux soins, Mlle CLERC décide de réunir les professionnels qu’elle rencontre ici et là, dans les réunions du Réseau Santé Mentale Précarité ou lors de rencontres informelles mais qui tous entourent Emilio. Une « réunion de suivi » est donc élaborée au mois de juin réunissant le réseau personnalisé d’Emilio. Il y a le psychologue du Centre d’alcoologie qui le suit pour son alcoolisme, l’assistante sociale du CHRS « Tremplin » qui le suit pour son RMI, l’éducatrice spécialisée du CHRS « Tremplin » qui le suit pour son logement et le médecin des urgences. Tout le monde semble d’accord pour dire que sa situation s’aggrave : il ne prend plus son traitement pour l’épilepsie, s’alcoolise de plus en plus et recommence à avoir des comportements qui le mettent en danger tout en tenant des propos morbides. Pour les professionnels en présence, il est donc temps de mettre en place collectivement un projet de soins pour Emilio.