Ce chapitre vise à développer de manière analytique et à partir, d’une part des monographies présentées dans le chapitre 3 et, d’autre part, des récits d’expérience clinique présentés dans le chapitre 4, l’hypothèse selon laquelle la relation d’aide est médiée par tout un ensemble de supports cliniques et que ces supports ne sont pas choisis par hasard ni par l’individu ni par le clinicien. Nous pensons qu’il s’agirait plutôt d’une « contingence »419 qui, pour un individu ou un groupe d’individus, dans un contexte et un temps biographique donnés, permet d’encadrer l’expérience de la relation d’aide afin de permettre à l’individu en situation de précarité de surmonter les épreuves, de rester vivant, et de se percevoir comme appartenant à la commune humanité.
Dans le chapitre 3, nous avons constaté que les intervenants n’avaient d’autre possibilité que de se mouler aux résistances de l’individu en situation de précarité à l’offre de soin, et ce faisant à se constituer en collectif réseau venant entourer la personne pour prévenir notamment les risques de (re)-chutes. Dans le chapitre 4, nous avons fait le constat que le détachement interne vécu par l’individu en situation de précarité, le contraint à trouver dans des objets, dans des soutiens externes, dans des relations sociales, cette « solidité » qu’il ne sent plus en lui-même. Il s’agit pour nous de chercher maintenant à saisir, à partir de la définition des supports proposée par Danilo MARTUCCELLI, « cet ensemble hétérogène d’éléments, réels ou imaginaires, tissés au travers des liens avec les autres ou avec soi-même, passant par un investissement différentiel des situations et des pratiques, grâce auxquels l’individu se tient, parce qu’il est tenu, et est tenu, parce qu’il se tient » 420 au sein de la relation d’aide. La question est alors de savoir, très pratiquement, comment l’individu vulnérabilisé arrive t-il, non pas à s’exprimer ou à supporter la relation d’aide, mais à être porté dans la relation d’aide ? Par quelles médiations, par quels supports cliniques ? Autrement dit, par quel(s) support(s) la problématique singulière de la personne dessine-t-elle le collectif de traitement de la précarité ?
Le terme de contingence fait référence ici aux travaux de Howard Saul BECKER : « J’ai appris, essentiellement grâce à l’enseignement d’Everett Hugues, à penser à ce type de dépendance que les événements entretiennent entre eux en termes de contingences. Lorsque l’événement A s’est produit, on se trouve désormais dans une situation où de nombreuses choses peuvent se produire. (…) Il y en a beaucoup, mais leur nombre n’est pas infini et, d’ordinaire, seules quelques unes sont plus ou moins probables (même si les possibilités improbables peuvent également se réaliser). » BECKER H.-S., (2002), op. cit., p. 70.
MARTUCCELLI D., (2002), op. cit., p. 78.