2. Les rapports pédagogiques de l’orientation et de l’adressage : d’une visée éducative à une visée d’égalité des intelligences

Alors que le discours du clinicien qui oriente est polarisé sur une visée éducative, de transformation des individus perçus à partir d’un retard de développement lié à des conditions sociales défavorisantes, celui qui adresse prône plutôt l’égalité par la diffusion des savoirs (comme dans le dispositif de connaissance du chapitre 2). Par exemple, favoriser l’accès aux soins va consister à donner des informations sur les structures de soin d’un territoire et à accompagner cette délivrance d’information. Le CSMP a été élaboré pour sortir du premier rapport pédagogique ; c’est précisément ce qui fait qu’il n’est pas toujours reçu par certain psychiatre dont le mandarinage reste en soi une source de pouvoir établi entre des individus qui savent, et d’autres qui ne savent pas. Les cliniciens de la précarité semblent en permanence tourmentés par la question de l’égalité intellectuelle. Sans que cela génère un véritable débat à ce sujet, nous avons pu observer tout un ensemble de réflexions dans des lieux extrêmement différents, qui pouvaient s’y rapporter433. L’exemple le plus frappant est le fait que la démarche clinique du CSMP consiste à s’adresser avant tout à des personnes (acteurs de terrain, personnes en situation de précarité) et non (seulement) aux acteurs institutionnalisés d’un débat de psychiatrie ou de société.

Comment procède le clinicien qui adresse ?

Lorsqu’Emilio montre la volonté de se loger, la réponse des cliniciens consiste d’abord à lui demander d'apprendre à ne plus boire en s'aidant des médiations que proposent les services de l’unité « Epidaure » du CPA. Ensuite, au bout d'un certain temps, les cliniciens lui demandent de raconter ce qu'il pense de ce qu'il vit, et surtout de ce qu’il ressent. On pourrait penser que les cliniciens s'attendent alors à des catastrophes, mais nous avons vu qu’ils s’attendent aussi à des miracles (Mlle LEDOUX). D’autres cliniciens (Mlle CLERC, Mme LABORDE) espèrent mais n’attendent pas forcément que quelque chose se passe, comme le montrent également les exemples ci-dessous :

‘Mme RENARD : « Je voulais lui [une patiente psychotique en situation de précarité] donner quelque chose, quelque chose qui permettait de poursuivre la consultation. Je ne sais pas pourquoi j’ai voulu faire ça et je ne savais pas quoi lui donner. J’ai pensé donnes lui un stylo, mais bon c’est un peu nul… et puis j’avais sur mon bureau un cœur porte encens qui était tout sale. Je lui ai dit « je te donne cet objet, mais tu y fais attention comme si c’était toi, tu verras si tu le nettoies, il y a un miroir, dessous les restes d’encens. »
G. PEGON : « tu ne vas pas me dire que tu lui as donné un cœur qui porte « en sens » avec un miroir en plus, sans y avoir réfléchi auparavant ? sans vouloir faire trop de jeux de mots…»
Mme RENARD: « eh bien non, figures toi, aussi étrange que cela puisse paraître, c’est venu comme ça. »
G. PEGON : « on voit bien ici l’œuvre du transfert, il faudrait que tu nous dises quelles sont tes représentations autour de cet objet et que tu interroges aussi ta patiente pour aller un peu plus sur le sens qui a été transmis ici mais en tout cas c’est intéressant que tu l’aies fait comme ça. »
Mme RENARD: « pour moi, le cœur c’est ce qui nous relie, mais je n’avais vraiment pas réfléchi à ça avant. »
G. PEGON : « tu n’y a pas réfléchi, en fait je crois que si. Là où tu n’as pas réfléchi c’est dans la forme de l’objet mais tu as bien pensé que tu ne pouvais pas lui donner un stylo parce que ça manquait de sens. Donc ce n’est pas que tu n’aies pas réfléchi à donner quelque chose, c’est que tu n’as pas réfléchi à ce que tu allais donner. Ca, ça s’est fait inconsciemment on dirait. »
Mme RENARD: « oui, c’est vrai et tant mieux finalement, c’est plus authentique. »
G. PEGON : « c’est ce qui fait que ça a accroché. »
Entretien individuel avec Mme RENARD,
infirmière référente au CSMP, 17 juillet 2006.
G. PEGON : « si je comprends bien vous avez tout fait sauf être une infirmière, pas de soin médical. »
Mme BAR : « oui, c’est sûr, je n’ai jamais été dans le soin à proprement parler. Ca a du m’arriver une fois de faire une prise de sang mais il ne fallait surtout pas que je rentre là-dedans. Ca me paraissait bien essentiel que ça soit bien différencié. »
G. PEGON : « pourquoi vous ne vouliez pas rentrer là-dedans ? »
Mme BAR : « pour pas tout mélanger parce que je n’étais pas là pour les soigner mais pour les orienter, pour faire le point, pour essayer de trouver des solutions, mais je ne devais pas être la solution. »
Entretien individuel avec Mme BAR,
ancienne agent de santé du projet Déclic Santé, 16 mai 2006.

Bien souvent, possédés par une sorte d’horizon d’attente flottante, les cliniciens sont très surpris par la qualité des propos et des réactions tenus par les personnes qu’ils accompagnent, ou encore par les productions effectuées dans les ateliers thérapeutiques, dans les entretiens, etc. Ils en tirent quasi systématiquement deux leçons essentielles. La première est celle de la dissociation entre la volonté du clinicien et l’exercice de l’intelligence du patient.

‘L’éducatrice : « On voudrait parler d’Yves, 25 ans, orienté par l’assistante sociale d’Ambérieu. Il sort d’une post cure d’Hauteville, il ne sait pas ce qu’il a pourquoi il était là-bas. Il a vécu chez des amis puis ils n’en ont plus voulu. Il arrive au FAR [CHRS de Bourg-en-Bresse]. Sa chambre, c’est un vrai taudis. Il vit chez nous mais il a 65000 euros d’héritage. Avant il était au CPA, suivi par Dr C, mais c’est impossible de travailler avec elle. On a fait une demande de mesure de curatelle. Il y a du tabac partout dans sa chambre. Les éducateurs ne savent pas quoi faire. Le Dr J devait faire une expertise pour la demande de curatelle, on voudrait en fait qu’il arrête de se faire raquetter. Ce qui c’est passé c’est qu’à force de venir à la banque, le banquier s’est rendu compte de quelque chose et parce qu’il y a une procédure judiciaire en cours, il a accepté de lui donner 30 euros par semaine… Du coup, Yves reste enfermé dans sa chambre, il sort vers 22h puis regarde la TV. Il ne vient pas manger. C’est difficile de faire autorité. On a essayé de joindre le Dr C mais le patient n’étant pas dans une démarche personnelle de soin, le médecin refuse de le voir, c’est encore une fois le fameux problème de la non-demande. Du coup, on a décidé de le virer pendant une semaine parce qu’on ne savait plus quoi faire. C’est une mise à pied sous prétexte que sa chambre n’est pas faite et qu’il ne respecte personne. Il est retourné chez sa sœur avec qui il se bat. »
Mr TABARY : « Le Dr C applique la procédure de la psychiatrie traditionnelle alors que la question serait plutôt de savoir s’il faudrait intervenir au nom de la psychose ou de la précarité ? ».
L’éducatrice : « Je ne sais pas trop s’il est psychotique, il a essayé de travailler chez RVI [Renault Véhicules Industriels] mais il a été viré au bout d’une heure. Il n’arrive pas à créer des liens avec les gens, si ce n’est dire bonjour, il ne nomme pas les gens. Ici, il participe au ménage collectif mais c’est tout. »
Mr TABARY : « il faudrait essayer de faire une continuité entre les éducateurs, et éviter de le changer de lieu d’hébergement trop souvent. Les psychotiques ne peuvent pas changer de lieu de vie comme ça. Il faudrait essayer de rappeler Hauteville pour savoir ce qu’il avait. »
L’infirmière : « Qu’est ce qui le tient ce type ? Le balai le matin ? Comment est-ce que vous pourriez essayer de travailler les rituels ? Le matin, on se lève. Le soir, on se couche. Entre, il y a tout un tas de petites choses qui permettent de l’ancrer dans un lieu et dans un temps mais bon, ça relève du soin tout ça. Dans ce genre de situation, nous on essaie de les renvoyer à des choses simples. Par exemple, « je regarde ton armoire et je la vois ».
L’éducatrice : « moi, je lui dis t’as vu ton cendrier ? il n’est pas vidé ! »
Mr TABARY : « oui mais il faut revenir à ce qui va de soi, par exemple, ils ne font pas la différence entre le mensonge et la vérité.»
L’éducatrice : « on peut essayer de travailler sans projet social, travailler en cherchant à mettre les choses en lien avec la réalité, mais si le matin il se lève pour ne rien faire, c’est difficile pour nous. Il faudrait quand même qu’il ait une activité. Le projet parfois c’est que le logement, mais il faut qu’il ait plus de 25 ans pour toucher le RMI. Y a des gens qu’on a gardé 4 mois, juste pour qu’ils se fassent soigner les dents. Des fois on travaille que sur l’hygiène. »
Mr TABARY : « moi je commencerais à partir du balai. Faire le travail de base et après on voit. Un projet de sortie, c’est peut-être irréaliste. Faut toujours essayer de descendre d’une marche avec les psychotiques, et ne pas essayer de chercher du sens, ils sont dans le clivage et n’ont pas accès au sens. »
Extrait d’un Espace-Rencontre CHRS-CMP, 21 juillet 2006.

La relation clinicien/patient fonctionne un peu à la manière de celle que Jacques RANCIERE décrit entre le maître ignorant et l’élève : « […] ce n’était pas la science du maître que l’élève apprenait. Il avait été maître par le commandement qui avait enfermé ses élèves dans le cercle d’où ils pouvaient seuls sortir, en retirant son intelligence du jeu pour laisser leur intelligence aux prises avec celle du livre. Ainsi s’étaient dissociées les deux fonctions que relie la pratique du maître explicateur, celle du savant et celle du maître. Ainsi s’étaient également séparées, libérées l’une par rapport à l’autre, les deux facultés en jeu dans l’acte d’apprendre : l’intelligence et la volonté. Entre le maître et l’élève s’était établi un pur rapport de volonté à volonté : rapport de domination du maître qui avait eu pour conséquence un rapport entièrement libre de l’intelligence de l’élève à celle du livre – cette intelligence du livre qui était aussi la chose commune, le lien intellectuel égalitaire entre le maître et l’élève. »434

Si ces patients en situation de précarité, ou psychotiques (car ces constats ne se limitent pas à la précarité comme le signale Mr TABARY) ont pu faire l’expérience d’accéder au sentiment de propriété uniquement en recevant un objet (un porte encens ou un balai comme c’est le cas ci-dessus), cela signifie que le clinicien pense qu’'ils n'ont pas besoin des explications pour comprendre le sens des choses. L’égalité des intelligences que véhicule le clinicien signifie alors qu’il y a une autonomie absolument irréductible du travail d’une intelligence que l’on peut mettre en évidence par cette expérience de hasard qui a séparé complètement l’exercice du clinicien de l’exercice de la personne en situation de précarité. L’idéologie pédagogique classique en psychiatrie mandarinale, ou même dans le travail social à visée éducative, est de croire que la personne en situation de précarité apprend ce que le clinicien lui enseigne (« t’as vu ton cendrier ? il n’est pas vidé !»). L’expérience de cette infirmière ou encore celle des cliniciens du RSMP qui choisissent de « lâcher prise » et de laisser la personne toucher le fond pour qu’elle en fasse « simplement » l’expérience, permet, quant à elle, de penser que le processus de soin n’est pas un processus d’apprentissage et de remplacement de l’ignorance du patient par le savoir du clinicien, mais plutôt un processus de développement du savoir de la personne elle-même. Il y a d’abord un travail autonome de l’intelligence, et ce travail va de savoir à savoir et non d’ignorance à savoir. L’égalité des intelligences435 qui est professée ici veut d’abord dire que pour que l’apprentissage soit possible, il faut que l’intelligence employée par la personne en situation de précarité soit la même que celle du clinicien : d’où un accompagnement en côte à côte qui cible les besoins de la personne en situation de précarité.

La deuxième leçon qu’en tirent les cliniciens est qu’ils peuvent partir de n’importe où, de n’importe quel support à condition que celui-ci tienne l’individu comme le signale l’infirmière dans l’extrait ci-dessus. La règle pédagogique classique veut qu’ils partent du « commencement ». Il faudrait qu’Yves sache ranger sa chambre, c’est une des premières choses que l’on apprend aux enfants. Cette règle suppose qu’il y a deux sortes d’intelligence : celle des ignorants, qui va au hasard, par rapprochement et chance (ne dit-on pas que les personnes en situation de précarité « déambulent ») et celle du clinicien savant qui procède de manière méthodique, du plus simple au plus complexe. Par exemple, on peut dire que la tâche du clinicien qui oriente n’est pas aisée car elle suppose de mettre en œuvre un écart d’un langage à un métalangage : ce clinicien dira qu’il faut traduire ses mots dans un autre langage pour que la personne en situation de précarité arrive à les comprendre et à les maîtriser. A l’inverse, le clinicien qui adresse propose qu’il n’y a pas de différence entre des types d’intelligence. Tous les actes intellectuels s’opèrent de la même façon. Et n’importe quelle intelligence est capable d’effectuer le trajet à partir d’un point quelconque.

L'expérience du clinicien qui adresse vérifie donc deux principes : là où on localise l’ignorance, il y a toujours déjà en fait un savoir qui constitue une ressource, et c’est la même intelligence qui est à l’œuvre dans tous les apprentissages intellectuels. Les cliniciens qui affirment cette position entrent ainsi en rupture avec le mouvement général de la psychiatrie classique ou encore avec les politiques actuelles de santé publique. Ces dernières considèrent, en effet, de plus en plus que la cohésion de la société moderne impose que les inégalités soient réduites (politique de réduction des inégalités), qu’existe un minimum de communauté entre ceux qui sont au sommet de la hiérarchie et ceux qui sont en bas. C’est l’éducation, par la mise en œuvre de politiques de prévention des risques, qui est supposée mettre chacun à sa place tout en assurant un minimum de partage des savoirs et des valeurs. Les individus « modernes » doivent avoir quelques bases pour progresser dans leur métier et participer aux valeurs communes de la société. Dans ce contexte, il nous semble que la politique des cliniciens qui adressent intervient absolument à contre-courant en mettant en œuvre une clinique où la loi du progrès et l’éducation progressiste apparaissent précisément comme le contraire de l’émancipation intellectuelle.

Il ne s’agit pas, pour le clinicien, d’opposer le sujet au citoyen, bien au contraire, mais de proposer plutôt de mettre en évidence l’existence d’une opposition entre une méthode de l’égalité et une méthode de l’inégalité. Les politiques de la « réduction des inégalités » conduisent à établir une homologie entre le modèle pédagogique et le modèle social. Or, selon la démarche clinique de ces cliniciens, l’idée que l’on va élever une personne en situation de précarité par l’éducation implique un processus de maintien de l’inégalité, une sorte de discrimination positive. En effet, si la clinique consiste à penser que l’égalité adviendra comme le résultat des efforts pour réduire les inégalités, les « réducteurs » d’inégalité maintiendront toujours leur privilège sous couvert de le supprimer. Il faut partir de l’égalité de fait qui est nécessaire pour que le rapport inégalitaire lui-même fonctionne : il faut déjà que les personnes en situation de précarité comprennent les mots du clinicien pour que celui-ci puisse les enseigner. Dans l’intrication des deux relations – égalitaire et inégalitaire – la question est de savoir lequel sert de principe : le rapport de l’ignorant au savant ou celui de deux intelligences qui veulent se comprendre ? Si c’est le rapport inégalitaire qui commande au rapport égalitaire, il se reproduira éternellement. L’émancipation implique, quant à elle, de partir de l’idée de la capacité de n’importe qui. Peu importe ce qu’il apprend, l’essentiel est la révélation de cette capacité à elle-même. Le reste dépend de lui. Cette idée s’oppose de front à l’idéologie progressiste et de fait, à la logique du projet, nous y reviendrons.

Autrement dit, la démarche clinique du clinicien qui intervient en adressant renverse le sens du « connais-toi toi-même » qui lie l’un à l’autre. Le vieil adage grec signifie en fait « reste à ta place ». Le « connais-toi toi-même » que proposent ces cliniciens, signifie, quant à lui : connais-toi non comme un inférieur ni un supérieur, mais comme un être égal à n’importe quel autre. Ce qui s’oppose, ce sont donc deux types de communauté. Soit on part de l’idée que la société est fondée sur un certain ordre où chacun est à sa place, où les inégalités sont rationalisées en différence des places et des fonctions. Soit on part d’une société, certes virtuelle, mais impliquée dans chaque acte de parole, où n’importe qui peut ce que peut n’importe qui. C’est alors l’adresse d’un individu à un autre qui compte et non la capacité qu’un individu a de donner ou de recevoir du savoir. Le dispositif de connaissance permet alors au dispositif de reconnaissance d’émerger.

L’intervention clinique du CSMP n’est pas une méthode d’enseignement. C’est la raison pour laquelle, par exemple, un certain nombre de référents du CSMP n’ont jamais fait de programme d'enseignement dans les Instituts de Formation en Soins Infirmiers, même s’ils y enseignent régulièrement. De même, ils n'ont jamais voulu se transformer en chef d’institution sanitaire. Pour eux, l’important n’est pas d’établir un programme de soin ou d’instaurer un nouveau pouvoir normatif à partir d’un référentiel de bonnes pratiques, mais de mettre une intelligence en possession de son propre pouvoir. C’est ce qui mobilise la stratégie de la lutte chez les référents du CSMP (chapitres 1 et 2) et c’est en ce sens que nous pouvons parler de supports cliniques de propriété. Le clinicien peut partir d’un ticket de bus, d’un passeport-soin, d’un projet RMI, ou d’un projet AAH, à chaque fois le principe consiste en une méthode, si méthode il y a, d’exhaustion. On est devant un objet, comme devant une chose étrangère que l’on peut et doit entièrement s’approprier en procédant par association de ce que la personne sait à ce qu’elle ignore, sans recourir à des explications. Cela donne à voir généralement des cliniciens, qui lorsqu’ils se retrouvent dans la peau d’un enseignant, associent d’idées en idées sans jamais parvenir à tenir le plan qu’ils se sont cependant promis de suivre « cette fois-ci ».

Cette démarche est celle d’un accompagnement qui consiste à laisser trouver le chemin. Ce n’est pas une démarche active, où le clinicien organise le parcours d’obstacles (Mr DUCHEMIN) en orientant la personne comme une « patate chaude » ou en l’assistant en lui fournissant les ressources venant pallier à la perte de ses objets sociaux. « Il faut aller au rythme des patients, on suit on ne précède pas. » 436 Le support clinique de possession, mobilisé par le clinicien qui adresse, ne peut pas être considéré seulement comme synonyme de capital ou de ressource. Il s’agit de mettre la personne en situation de se servir de sa propre intelligence, non pour arriver au but mais pour se frayer un chemin. A travers l’accompagnement proposé, les cliniciens cherchent à mettre en œuvre une relation de reconnaissance fondée sur des droits égaux entre individus et qui repose sur un savoir partagé des normes réglant des droits et devoirs égaux. Les enjeux de cette forme d’intervention sont donc politiques, ils ont à voir avec la distribution du pouvoir. Comme le remarque également Vinciane DESPRET437 au sujet de l’ethnopsychologie, il ne s’agit pas de construire un savoir à la place de la personne mais de prendre en compte la manière dont celle qui est interpellée dans la relation d’aide peut prendre position par rapport à l’interpellation. Il s’agit donc de redistribution de l’expertise.

Notes
433.

Cela rejoint également la réflexion engagée sur la qualité de forum hybride du CSMP en lien avec sa constitution pluriprofessionnelle (cf. chapitre 1).

434.

RANCIERE J., (1987), Le maître ignorant, Paris, Fayard, p. 25. C’est nous qui faisons le lien.

435.

Ibid.

436.

Extrait d’observation, un psychiatre s’adressant à l’équipe d’infirmières dans une réunion clinique d’un CMP, 19 juillet 2006.

437.

DESPRET V., « Qu’est-ce que l'ethnopsychologie ? », préface à LUTZ C., (2004), La dépression est-elle universelle ?, Paris, Le Seuil, Les Empêcheurs de penser en rond, p. 24.