« Chef de service du 115 », « CESF coordinatrice de la PASS », « Coordinateur du Carrefour Santé Mentale Précarité », « Psychologue clinicien-coordinateur du Réseau Santé Mentale Précarité », « Agent de santé, coordinateur du projet Déclic Santé », « Médecin coordinateur des Equipes Mobiles », etc., les appellations associant un statut de coordination à celui de clinicien ne cessent de remplir les pages « profil de poste » se trouvant à la fin du « cahier des charges » des dispositifs étudiés précédemment. Nombreux sont ces cliniciens en posture de coordination qui postulent pour se confronter à l’épreuve des « charges » administratives, managériales, gestionnaires de ces dispositifs. « Clinicien de formation » et « coordinateur sur le tas » comme ils disent, ces professionnels ont cependant à cœur de rester des cliniciens avant tout.
En quoi consistent les activités de ces cliniciens en posture de coordination ? Quelles sont les tensions spécifiques à l’épreuve de standardisation des pratiques cliniques liée à la logique du projet ? Comment les cliniciens parviennent-ils à s’en dégager ?
Nous faisons l’hypothèse dans ce chapitre que les cliniciens trouvent dans la clinique par projets des ressources pour prolonger leur pratique de care en leur permettant, notamment, de veiller, dans les instances institutionnelles qui participent au cadrage de la clinique, à ce que la démarche de redistribution des supports cliniques soit avant tout ajustée au parcours de vulnérabilité des personnes en situation de précarité.
Ce chapitre s’inscrit dans la continuité des analyses sociologiques des pratiques de travail sur autrui, saisies comme relevant de la « cité par projets » telle que l’ont définie Luc BOLTANSKI et Eve CHIAPELLO. Nous rappelons que, pour ces auteurs, la « cité » désigne l’ « appareil justificatif » propre à une configuration sociale donnée516. Elle constitue un modèle de justice, à partir duquel il est toujours possible de comparer les pratiques de travail sur autrui (de management, d’éducation, de soin, etc.). Nous pensons que les cliniciens de la précarité n’échappent pas à la sociologie de leur temps. Ils font partie du monde connexionniste décrit par Luc BOLTANSKI et Eve CHIAPELLO dans lequel ils trouvent des ressources pour agir.
« Nous avons choisi d’appeler « cité par projets » le nouvel appareil justificatif qui nous semble être actuellement en formation pour quelques raisons qu’il convient d’expliciter car l’expression peut sembler malaisée à manier et peu claire. Elle est en fait calquée sur une dénomination fréquente dans la littérature du management : l’organisation par projets. Celle-ci évoque une entreprise dont la structure est faite d’une multitude de projets associant des personnes variées dont certaines participent à plusieurs projets. La nature même de ce type de projets étant d’avoir un début et une fin, les projets se succèdent et se remplacent, recomposant, au gré des priorités et des besoins, les groupes ou équipes de travail. Par analogie nous pourrons parler d’une structure sociale par projets ou d’une organisation générale de la société par projets. » BOLTANSKI L., CHIAPELLO E., (1999), op. cit., p. 158.