1. La métropolisation au cœur du développement urbain, dans un contexte de mondialisation

La métropolisation a caractérisé le développement des grandes villes à partir de la deuxième moitié du 20ème siècle. C’est le phénomène urbain majeur de notre temps (Bailly, Huriot, 1999) et une forme récente et originale de la croissance urbaine (Bourdeau-Lepage, Huriot, 2005). La métropolisation est cependant un phénomène très complexe et dont la signification est polysémique (Di Meo, 1993 ; Derycke, 1999).

Si, sur le plan étymologique, la métropole renvoie au concept de « ville mère », il existe de nombreux qualificatifs pour caractériser une métropole. La ville métropole peut être globale, internationale, informationnelle, certains évoquent même les termes de mégalopole, ou encore de « métapole » (Ascher, 1995). La métropole semblerait, en premier lieu, renvoyer à la notion de taille de la ville, mais ce critère ne caractérise pas à lui seul le phénomène qui nous intéresse. Dans le cadre d’une enquête auprès de 500 experts, S. Puissant (1999) a tenté de dégager les différents concepts qui définissent la notion de métropole et de métropolisation. Les thèmes essentiels émanant de cette recherche sont les suivants :

  • Une métropole se distingue par sa taille et ses fonctions : le seuil du million d’habitants est majoritairement évoqué bien qu’il ne constitue pas une condition suffisante au déclenchement du processus de métropolisation. La taille prend aussi une dimension spatiale : une métropole peut exercer une forte influence au niveau régional, national ou même mondial, sachant que pour de nombreux experts, la dimension internationale est très importante ;
  • Une métropole se caractérise également par la nature des fonctions qu’elle possède. Il y siège notamment toutes les activités de direction et de coordination politiques et économiques. Au niveau politique, il s’agit des gouvernements, des ministères et des ambassades. Au niveau économique, il s’agit d’entreprises appartenant au tertiaire supérieur, c'est-à-dire des établissements financiers, d’assurance et d’immobilier. La métropole accueille également de nombreuses activités culturelles et de divertissements. C’est le lieu de la centralité, souvent confondu avec le centre géographique et historique de la ville ;
  • Une métropole se caractérise également par une intense pratique des activités informationnelles, que ce soit à l’aide des technologies de l’information et de la communication (T.I.C) ou bien des contacts face-à-face. Les experts évoquent également la spécificité de leur mode organisationnel, c'est-à-dire la mise en œuvre de plans stratégiques pour coordonner une production de plus en plus diversifiée et complexe. Enfin, l’accent est mis sur l’accessibilité et l’intégration au réseau économique mondial ;
  • La métropole se caractérise enfin par un renforcement de sa centralité et de sa spécialisation fonctionnelle. Au sein de cette centralité, on note la présence de milieux innovateurs, un grand nombre d’emplois à très haute qualification liés aux fonctions supérieures et une capacité à utiliser des ressources au niveau international. Les métropoles continuent d’obéir à un modèle d’organisation hiérarchique du système urbain au niveau local (dont elles sont la tête), mais s’insèrent également dans un réseau à l’échelle mondiale.

Une métropole n’est donc pas une simple ville caractérisée par des processus d’accumulation, d’agglomération et d’échanges. C’est aussi un lieu de concentration de pouvoirs, d’intelligence et d’organisation (Lacour, 1999) dont le fort développement économique l’amène à prendre des dimensions internationales. C’est pourquoi les plus grandes et les plus puissantes des métropoles sont aussi qualifiées de « villes globales » (Sassen, 1996).

Outre la notion statique de métropole, c’est le concept dynamique de métropolisation qui importe, avec ses conséquences sur l’organisation de l’espace urbain. Même si la métropolisation s’opère selon plusieurs dimensions, c’est l’aspect économique que nous privilégions dans notre approche. Les causes de ce processus se trouvent dans les modifications du système productif et l’internationalisation de l’économie (Buisson, 1999). Ces changements obligent en particulier les firmes à s’adapter et à modifier leurs modes d’organisation et aussi de localisation.

Pour J.M. Huriot et L. Bourdeau (2005), la métropolisation désigne « le processus par lequel une ville […] acquiert les fonctions majeures de coordination d’activités économiques complexes de portée mondiale » (p. 40). Les auteurs expliquent que la complexification croissante du processus de production caractérisé par la dématérialisation, la personnalisation et la globalisation exige de plus en plus de coordination. En particulier, ces activités de coordination nécessitent une main d’œuvre très qualifiée. Les services supérieurs sont particulièrement adaptés à ce nouveau défi posé par la métropolisation. Ils requièrent notamment de nombreux échanges informationnels  face-à-face qui imposent aux entreprises des services supérieurs de rester à proximité les unes par rapport aux autres. Cela explique les phénomènes de regroupement qui caractérisent tant les centres villes.

Cette dynamique de regroupement renvoie au concept d’externalités marshalliennes : on peut y distinguer les externalités pécuniaires intégrées dans un système de prix, des externalités technologiques qui échappent au système de prix. Les premières sont basées sur des modèles de concurrence monopolistique (Dixit et Stiglitz, 1977) fondés sur les rendements d’échelle croissants et la préférence pour la variété (Fujita et Thisse, 2003). Les secondes sont plus liées à la proximité de la main d’œuvre, la multiplication des échanges face-à-face et au partage du savoir-faire et de la connaissance. Certains auteurs (Hoover, 1937 ; Krugman, 1991) classent ces externalités d’une manière différente selon qu’elles concernent les firmes d’un même secteur d’activité (économies de localisation) ou de secteurs diversifiés (économies d’urbanisation). Dans tous les cas, elles se traduisent par des rendements croissants internes et externes qui expliquent leur concentration (Baumont, Huriot, 1996).

Mais bien que l’on assiste à un regroupement externe des entreprises, on constate une « cassure interne » à chaque entreprise. En effet, au sein d’une entreprise, à côté des échanges informels définissant ses orientations stratégiques, il existe aussi des échanges d’informations formels, standardisés, davantage en rapport avec les fonctions d’exécution. Ces échanges ont été grandement facilités par le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC). Les entreprises ont alors délocalisé leurs activités d’exécution soit en périphérie des grandes agglomérations (économie sur le foncier) soit dans d’autres pays (économie sur les coûts de la main d’œuvre). Le mouvement inverse est également vrai : les TIC ont permis à des fonctions de direction de l’entreprise de se localiser au centre-ville alors qu’auparavant, à cause des coûts de transports élevés, elles étaient contraintes de rester à proximité de leurs unités de production (Derycke, 1999). Le processus de métropolisation s’est donc accompagné de la dissociation des fonctions au sein des entreprises mais aussi de la délocalisation et de la dispersion des emplois.

Finalement, on est en présence d’un phénomène de concentration et de dispersion des activités économiques au sein de l’espace urbain. Cette caractéristique particulière de la métropolisation semble auto-entretenue par un phénomène de causalité circulaire (Baumont, Huriot, 1997). En effet, les services supérieurs suivent la loi des rendements croissants : plus ils sont nombreux au sein d’un espace donné, plus une entreprise a accès à des qualifications et des services susceptibles de répondre à ses besoins. Cela favorise le développement conjoint des firmes et des services et entraîne la complexification du processus de production. Les entreprises sont alors obligées de faire appel à des prestataires extérieurs de plus en plus nombreux pour mieux coordonner leurs activités. Le développement des technologies de l’information et de la communication permet également un échange rapide et à moindre coût d’informations standardisées. Les fonctions de direction d’entreprises, auparavant localisées en périphérie, peuvent plus facilement se localiser au centre et se séparer des activités d’exécution.

Cette brève description du processus de métropolisation ne rend pas entièrement compte de tous les facteurs qui l’ont initié. Un historique du processus de métropolisation apporte des informations supplémentaires sur les principaux facteurs qui ont bouleversé la dynamique du développement urbain. Ensuite, certaines spécificités métropolitaines sont abordées : les mutations dans la nature des fonctions exercées et les modes d’organisation des entreprises, la main d’œuvre de plus en plus qualifiée et enfin l’organisation en réseau.