2.2 Fragmentation spatiale : spécialisation et séparation des fonctions, ségrégation spatiale des ménages

Une des conséquences de la métropolisation est la fragmentation spatiale de l’espace métropolitain (Bassand, 2001). Cette dernière est due à trois facteurs principaux : la modification du processus de production des firmes (spécialisation et séparation des fonctions) et le rôle de la rente foncière (ségrégation spatiale des ménages).

Historiquement, l’intérêt de procéder à une spécialisation dans la production a été démontré par Ricardo (1817) avec la théorie des avantages comparatifs à l’échelle nationale. Ce dernier explique que la spécialisation technique et spatiale des activités part de l’inégale distribution des ressources naturelles et des facteurs de production. Grâce aux rendements d’échelle croissants liés à la taille de l’entreprise, chaque pays a intérêt à se spécialiser dans l’activité où il est le plus productif. Ricardo montre alors que si la division spatiale des activités de production s’accompagne de libres échanges (importations et exportations) alors la richesse globale de chaque pays s’en trouve augmentée.

Les économies d’échelles et les coûts de transport expliquent aussi très bien les différenciations observées aux échelles inter-urbaines et intra-urbaines. Le processus de métropolisation a fortement accentué le phénomène de spécialisation spatiale à cause des modifications engendrées dans le processus de production des entreprises (Catin, 1995). En effet, la fabrication d’un produit comprend différentes étapes qui correspondent à diverses activités de l’entreprise : finances, gestion, recherche, commercialisation, fabrication… Mais chacun de ces secteurs se caractérise par des économies d’échelles différentes et donc une taille de production et une sensibilité variables en fonction des économies d’agglomération. Autrement dit, les activités seront localisées différemment selon leurs affinités liées à leur spécialisation sectorielle pour les externalités informationnelles, l’accessibilité, la proximité de la main d’œuvre ou encore celle de la clientèle.

On l’a vu, la métropolisation a multiplié les lieux et étapes de production d’un bien ou d’un service donné par la forte complexification et différenciation du processus productif (cf. 1.2). Cette multiplication des étapes de production s’est aussi accompagnée d’une forte externalisation de certaines fonctions intégrées auparavant au sein de la firme, les grandes entreprises préférant se centrer sur leur domaine principal. Tout cela a conduit à une séparation des fonctions et à la fragmentation de l’espace urbain, où à chaque zone correspond un processus de production particulier. Finalement, la division spatiale des activités dans l’espace urbain peut être présentée comme le résultat d’une évolution en quatre étapes (Sallez, 1992) : dispersion, polarisation, division spatiale du travail et « technopolisation » (Catin, 1995). Cette dernière s’illustre notamment par la présence de pôles d’activités, dont certains sont des districts ou des systèmes productifs localisés. La spécialisation abordée ici est de type fonctionnel et concerne la séparation spatiale des différentes étapes de production de la firme.

Selon S. Sassen (1996), la forte concentration des services supérieurs au centre-ville, ainsi que la gentrification, c’est-à-dire la concentration des hauts revenus en zone centrale engendrent une fragmentation socio-spatiale. En effet, certaines activités économiques sont très affaiblies car elles ne peuvent plus faire face à la forte concurrence mondiale. En ce sens, la métropole - qui est une traduction spatiale de la mondialisation - tend à favoriser l’intégration des secteurs économiques les plus rémunérateurs et les plus conquérants au centre-ville, tandis qu’elle rejette à sa périphérie, voire exclut totalement, les secteurs incapables de s’intégrer dans une économie mondialisée. Cette traduction spatiale des inégalités de la ville globale (Bouzouina, 2008) s’opère par le coût du foncier ainsi que par celui de la main d’œuvre. Les fonctions de commandement et de coordination, ainsi que la main d’œuvre très qualifiée se localisent au centre tandis que les activités de back office, peu rémunératrices, nécessitant de la main d’œuvre peu qualifiée sont rejetées en périphérie.

La ségrégation spatiale concerne aussi les ménages, notamment avec le phénomène de gentrification. La métropole peut être vue comme une ville duale (Castells, 1989) où, dans le contexte européen, les ménages du centre concentrent une grande partie des richesses et des pouvoirs tandis qu’en périphérie réside une population pauvre et captive. Cette gentrification s’opère essentiellement par le prix du foncier (concurrence d’occupation au centre) et les affinités socioculturelles (Bassand, 2001). Cependant, la ségrégation spatiale ne se résume pas à une concentration des richesses au centre et à la présence de zones pauvres en périphérie. En effet, avec l’émergence des villes polycentriques - et notamment la reproduction de certains attributs de la centralité dans les pôles secondaires - la dualité centre – périphérie est limitée car il peut exister une forte hétérogénéité sociale au sein des zones concentriques périphériques (Hoyt, 1939) aboutissant à terme à une organisation réticulaire de l’espace.

Pour conclure, la ségrégation spatiale, aussi bien pour les ménages que pour les entreprises, renforce la spécialisation fonctionnelle du sol. Dans les cas extrêmes, le processus de ségrégation spatiale aboutit à des zones exclusivement résidentielles pauvres et enclavées, voire de véritables ghettos, du fait d’un processus de ségrégation cumulatif (« fuite face à la rouille », Carlino, Mills, 1987), ainsi qu’à des zones industrielles en déclin. Des études récentes montrent que le phénomène de ségrégation s’accroît au sein des villes françaises (Bouzouina, Mignot, 2008) mais aussi dans d’autres villes comme Mexico (Mignot, Villareal Gonzales D., 2009).