2.3.a Croissance de la mobilité quotidienne

Comme on l’a vu précédemment, la métropolisation a accéléré le processus d’étalement, de concentration et de spécialisation des grandes agglomérations au cours de ces trois dernières décennies. La mobilité des ménages a profondément changé avec ces modifications de configuration urbaine. En France, entre 1960 et 2000, le parc automobile a été multiplié par 5 et la circulation automobile par 9 (Orfeuil, 2004). La phénomène d’étalement urbain initié par la métropolisation a conduit les ménages à fréquenter des territoires plus divers et plus éloignés (Orfeuil, 2000a). La forte croissance d’utilisation de l’automobile s’est surtout effectuée en périphérie des grandes agglomérations, au sein de zones peu denses et peu accessibles en transports en commun. On observe en particulier une forte croissance des distances parcourues. Ainsi, en périphérie des grandes aires urbaines de plus de 300 000 habitants, le taux de motorisation a augmenté de 32% et les distances quotidiennes parcourues en voiture ont crû de 62% entre 1982 et 1994 (Gallez et al. 1997).

La relative stabilité du budget-temps des ménages a logiquement conduit à une forte croissance des vitesses de déplacements, permise par l’usage généralisé de la voiture particulière, notamment pour les trajets « interurbains de proximité » (Orfeuil, 1997). Encore une fois, les vitesses les plus élevées sont observées dans les zones peu denses, éloignées du centre, à forte dépendance automobile. Les travaux de C. Gallez et al. (1997) ont ainsi montré que la vitesse moyenne des déplacements effectués par les ménages au sein des bassins de vie de plus de 300 000 habitants était de 17 km/h au centre et de 36 km/h en périphérie lointaine, soit une différence supérieure à 100 % entre les zones centrales et périphériques.

L’émergence de formes urbaines polycentriques avec notamment l’apparition de pôles spécialisés ont augmenté le nombre de déplacements périphériques non radiaux. Au sein de ces territoires, la part modale en voiture particulière est souvent écrasante. Nos propres travaux sur l’enquête ménages de Lyon de 2006 montrent que, si la part modale de la voiture est limitée au centre (36 %), elle atteint 73 % en périphérie. En effet, la voiture particulière, du fait de sa flexibilité est particulièrement adaptée pour ces types de déplacements. On a également vu précédemment que les individus disposent de modes de vie de plus en plus diversifiés et de réseaux sociaux de plus en plus étendus, ce qui se traduit par une forte diversification des motifs de déplacement. Les motifs « contraints » (travail, études) ont ainsi connu une baisse de 20% entre 1982 et 1994 (Orfeuil, 2000a) tandis que ceux liés aux loisirs et aux visites ont augmenté. La diversification des activités des individus résidant en périphérie les a poussés de plus en plus fréquemment à effectuer des pérégrinations, c’est-à-dire des déplacements à plusieurs motifs (Rollier et Wiel, 1993). Ces déplacements participent par leur essor à l’allongement des distances moyennes parcourues en voiture. La séparation, la spécialisation et la concentration des activités économiques au sein des grandes métropoles ont ainsi participé à un éloignement progressif des actifs à leurs lieux d’emplois. En effet, même si une partie de l’emploi s’est aussi périurbanisée (Mieskowski et Mills, 1993), on constate un allongement des distances domicile - travail au cours de ces dernières années et particulièrement en France, remettant en cause l’hypothèse de localisation conjointe emploi - habitat (Gordon et al. 1989b). Les distances domicile - travail au sein des bassins d’emplois ont ainsi augmenté de 56% entre 1975 et 1990 (Massot, Orfeuil, 1995). Plus récemment, les travaux de Mignot et al. (2007) ont montré que dans les trois principales villes de province françaises (Lyon, Marseille et Lille), les distances de migrations domicile - travail se sont accrues de 1990 à 1999 avec des évolutions contrastées suivant la zone de résidence du ménage : si cette croissance est limitée au centre (+9,5% à Lyon par exemple), elle demeure forte pour les ménages situés dans les territoires périurbains éloignés du centre et des pôles secondaires (+19,5%).

L’ensemble de ces considérations montre que les modifications conjointes entraînées par la métropolisation sur le système de localisation (étalement urbain, émergence du polycentrisme, séparation et spécialisation des fonctions) et sur le système des relations sociales (métapolisation des modes de vie, Ascher, 1995) ont eu des conséquences sur le système de transports en favorisant la croissance de l’usage de la voiture dans les zones périphériques des grandes agglomérations. Inversement, l’automobile, comme mode de transport flexible, rapide et confortable, a aussi facilité cette évolution : nous sommes bien dans une coproduction étroite entre forme urbaine et mobilité (Aguiléra, 2009, p.189). Actuellement, le problème se pose essentiellement dans les zones éloignées des centres-villes. En effet, depuis 2005, les enquêtes ménages déplacements (Lille, Lyon ; CERTU, 2008), l’enquête nationale transports (Hubert, 2009) ainsi que des travaux récents sur les émissions (D.E.E.D de Lille, 2009 ; Nicolas et al. 2009) ont montré une relative stabilisation des distances parcourues (et des émissions de CO2) dans les zones les plus centrales.