2.3.b Croissance des inégalités spatiales liées à la mobilité quotidienne

On a vu précédemment que la métropolisation a engendré un processus de gentrification sélectif basé sur le jeu de la rente foncière. Concrètement, les ménages les plus riches et les plus qualifiés ont tendance à s’agglomérer dans les espaces présentant des aménités positives (qualité de l’environnement physique, accès aux services, aux emplois…). Comme la rente foncière augmente dans ces espaces du fait de la demande forte et de la présence de hauts revenus, les ménages les plus pauvres sont rejetés vers les zones urbaines les moins favorisées (pollution, criminalité, faible présence des services et faible accès aux emplois). C’est ainsi que naît la ségrégation urbaine, c’est-à-dire une organisation spatiale en zones à forte homogénéité sociale interne et à forte disparité sociale entre elles (Mignot, Rosales, 2006). Cette fragmentation spatiale de l’espace est à l’origine des inégalités de mobilité des ménages. En effet, la répartition du réseau de transport est inégale selon les territoires et les groupes sociaux et par conséquent, l’accessibilité aux services, aux activités et aux emplois de la métropole est différenciée spatialement et socialement.

En termes d’équité verticale, on note un accès à la voiture fortement inégal suivant le revenu. Les plus pauvres sont en général bien moins motorisés que les ménages aisés. C’est le cas en France (Mignot, Rosalès, 2006) comme dans d’autres pays en Europe (Dupuy et al. 2006). Le non accès à un véhicule particulier est généralement synonyme d’une moindre accessibilité aux différents services et emplois présents dans une agglomération (Caubel, 2006). La présence de transports collectifs permet de réduire les inégalités d’accès à la voiture mais ce mode de transport est plus rigide, moins flexible et non adapté à certains types de déplacements (achats par exemple). Cependant, même parmi les plus pauvres, l’accès aux transports collectifs est inégal, notamment en matière de tarification sociale. En effet, cette dernière est davantage ciblée dans une perspective de réinsertion professionnelle que pour des besoins quotidiens de mobilité (Rosales-Montano, Harzo, 1994).

Néanmoins, les inégalités d’accès à la voiture se sont atténuées ces dernières années et la possession d’un véhicule s’est démocratisée, même chez les ménages aux plus bas revenus. Chez l’ensemble des ménages motorisés, le revenu ne constitue plus une variable discriminante de leur mobilité quotidienne. En effet, les travaux de C. Paulo (2006) ont montré que les distances et les temps de déplacement des ménages lyonnais pour leur mobilité quotidienne étaient quasiment identiques pour le premier et le dernier quintile de revenu, sans distinguer toutefois leurs localisations. Dans le cadre de cette thèse, les inégalités de mobilité ne se posent plus simplement en termes d’accessibilité mais en termes de dépenses de mobilité. En effet, les travaux de J.P. Orfeuil et A. Polacchini (1998) sur l’Île-de-France, puis de J.P. Nicolas et al. (2001) sur l’agglomération lyonnaise ont montré de très fortes inégalités de dépenses de transports suivant les revenus et la localisation des ménages. Le taux d’effort des ménages, que nous définissons comme le rapport entre les dépenses de mobilité quotidienne et le revenu disponible, peut devenir très important dans les zones périurbaines non desservies par les transports collectifs. S’il reste mesuré dans l’agglomération parisienne où le réseau de transports dessert correctement les zones périurbaines, il est plus important dans les grandes agglomérations de province comme Lyon. Les zones périurbaines de province ont développé une forte dépendance à l’automobile et peu de travaux (Vanco, 2008 ; Vanco, Verry, 2009), à notre connaissance ont traité du problème des inégalités de dépenses liées à la mobilité dans les territoires périurbains des grandes agglomérations de province.

Si les inégalités verticales se traduisent par des inégalités d’accès à la voiture et de dépenses de mobilité, les inégalités territoriales s’appréhendent en termes d’accessibilité aux aménités urbaines. L’étalement urbain et la ségrégation spatiale ont créé des zones socialement défavorisées et fournissant une faible accessibilité aux emplois et aux services. Si les ménages non motorisés se retrouvent face à un problème de « sous mobilité » (Armaouche, Esptein, 2006) et même d’assignation à résidence (Dupuy et al. 2006), les ménages pauvres motorisés sont quant à eux confrontés à un problème de sur-mobilité (Toupin et al. 2001) qui les obligent à consacrer de fortes dépenses pour leur mobilité quotidienne afin d’accéder aux services et aux emplois urbains. Au-delà du revenu du ménage, c’est sa localisation et notamment les caractéristiques de sa zone de résidence qui détermineront « l’ampleur » de sa mobilité quotidienne et le taux d’effort associé.