2.3.c Sen et la théorie de l’égalité du domaine du choix

Sen (1992) va prolonger la démarche initiée par Dworkin en étendant l’univers des biens premiers à tout un ensemble de biens naturels, afin de mieux tenir compte des aptitudes réelles qu’une personne possède dans l’utilisation de ses ressources. Mais l’auteur considère que la distribution équitable des ressources n’est pas suffisante : il faut également tenir compte de la capacité de chaque individu de pouvoir utiliser ces ressources afin d’atteindre les objectifs qu’il s’est fixés. Sen donne plusieurs exemples illustrant les limites de la justice rawlsienne. Certains individus peuvent par exemple être plus exposés aux maladies, être en moins bonne santé, ou encore posséder des handicaps qui rendent plus difficile la conversion de leurs biens premiers. Par conséquent, la distribution des ressources étendues doit être effectuée de manière à clairement identifier ce qui relève ou non de la responsabilité de l’individu. D’autre part, cette distribution doit être faite de manière à ce que chaque personne dispose d’un même ensemble de résultats possibles. Ce dernier critère prend en compte le fait que les préférences et les souhaits de réalisation sont différents d’un individu à l’autre. Le problème n’est plus posé en termes de stricte égalité de la dotation des biens initiaux, ni en termes de résultats effectifs (lesquels dépendent des préférences) mais en termes d’égalisation des résultats potentiels.

Sen introduit le concept de « fonctionnement » (Arnsperger, Van Parijs, 2000) décrivant un état particulier de l’existence. Il considère que la société est capable de lister toute une série d’états fondamentaux constitutifs du bien-être de l’individu. Une combinaison particulière de ces fonctionnements décrivant la réalisation d’un mode de vie est appelée capabilité (ou opportunité). Ce qui mesure le bien-être d’un individu selon Sen n’est pas l’opportunité effectivement réalisée mais un ensemble d’opportunités possibles. Et c’est précisément sur ce point qu’il doit y avoir égalité selon Sen. Par la suite, chaque individu sera responsable du mode de vie particulier qu’il aura choisi, même si ce dernier n’est pas « optimal ».

D’autres travaux sur l’égalisation du domaine du choix seront menés par des auteurs comme Roemer (1998), Arneson (1989) ou encore Fleurbaey (1996). La différence essentielle dans l’ensemble de ces travaux relève du niveau de responsabilité de chaque individu. La principale critique que l’on peut adresser à ces différentes théories relève de leur mise en œuvre : les travaux demeurent abstraits et les modalités de mise en pratique sont relativement floues. Néanmoins, on peut mentionner dans le domaine de la socio-économie des transports les travaux de D. Caubel (2006) traitant de l’accessibilité potentielle des ménages à un ensemble de services urbains par l’intermédiaire du système de transports.

Les deux théories que nous avons évoquées ci-dessus vont servir de cadre d’analyse pour évaluer certains aspects de la dimension sociale du système de transports, en approfondissant notamment le thème de la prise en compte de l’équité dans les projets de transports et des inégalités de mobilité des individus au sein des métropoles.