(i) Transposition de l’équité dans le domaine des transports et traduction institutionnelle en France

La transposition de la notion d’équité dans le domaine des transports a fait l’objet de nombreux travaux (Rosenbloom, Altshuler, 1977 ; Hay, Trinder, 1991 ; Banister, 1993, Langmyhr, 1997 ; Masson, Bonnafous, 1999 ; Litman, 1999 ; Raux, Souche, 2001). L’ensemble de ces démarches a été entrepris à partir du constat que l’on ne peut pas concilier les objectifs de rentabilité issus de la théorie utilitariste avec les objectifs d’équité. La mise en application des principes d’équité aux projets de transports suppose de rejeter certaines solutions issues du marché. En effet, ces dernières ne sont pas optimales car elles peuvent détériorer les conditions de certaines populations défavorisées.

Il a donc fallu élaborer des principes d’équité applicables au domaine des transports. Rosenbloom et Altshuler (1977) ont ainsi défini trois principes issus de la théorie de la justice sociale de Rawls pour l’évaluation des transports, que l’on peut regrouper en deux groupes :

  • Le premier principe parle d’une égalité de la répartition de l’offre et d’un service dépendant de la contribution financière : au sein d’une catégorie sociale particulière, chacun doit avoir bénéficié du même niveau de dépense publique, tandis que le service rendu est donné en proportion de la contribution financière de l’individu (équité horizontale) ;
  • Cependant, pour pallier les écarts entre les différents groupes sociaux, le service doit être réparti selon les besoins : la puissance publique peut décider de porter un effort plus important vers les populations qui en ont le plus besoin (équité verticale).

Toujours dans un effort d’application de l’équité dans les transports, Hay et Trinder (1991) dans un cadre général, Langmyhr (1997) dans ses travaux sur le péage urbain et Hampton (1999) dans ses travaux portant sur l’environnement ont défini toute une série de principes pour l’évaluation des projets. Certains principes sont relatifs à l’impartialité de la procédure de décision, au droit d’intervenir dans le processus politique et également au droit de revendiquer un certain nombre de mesures. Ils peuvent être mis en parallèle avec le principe d’égalité des droits de Rawls. Concrètement, cela signifie que le processus de décision d’un projet de transport doit respecter les règles d’un débat démocratique, notamment en apportant une information fiable et transparente, et en encourageant la participation de tous les citoyens. On peut également mettre sur le plan de l’égalité des droits le respect des besoins de base ainsi que des besoins élargis. Le respect des besoins de base assure à l’ensemble de la population un minimum d’accès au système de transports tandis que la satisfaction des besoins élargis doit assurer à l’individu le choix entre différentes options de transport selon ses contraintes (financières ou autres). D’autres principes se rapprochent plus du respect de l’égalité des chances et du sort des plus défavorisés. Il s’agit principalement des attentes de la population, de l’équité formelle et de l’égalité de substance. Au niveau des attentes, le minimum qu’un individu devrait pouvoir espérer est que sa situation ne soit pas dégradée à l’issue du processus de décision. L’équité formelle (horizontale) impose une égalité de traitement au sein d’une classe sociale homogène. Enfin, l’égalité de substance (verticale) impose que chaque personne ait un accès égal au nouveau projet. Ce dernier principe autorise un traitement différencié entre certains types de population, par exemple en pratiquant des tarifs avantageux pour les plus pauvres (cas des transports en commun ou du péage urbain par exemple).

En pratique, selon Banister (1993), trois critères sont réellement pris en compte par les responsables de la politique des transports : il s’agit des attentes, de l’égalité formelle et de l’égalité substantielle. L’auteur fournit une grille de lecture permettant l’instauration de l’équité dans les politiques de transports. L’objectif de toute politique de transport est, selon l’auteur, l’égalisation des chances et des résultats. Chacun de ces objectifs doit se faire sous l’angle de l’équité horizontale (égalité formelle) et de l’équité verticale (égalité de substance).

Pour améliorer l’égalité des chances, il faut garantir pour la population un accès minimum aux aménités urbaines. Cela passe par une égalité de répartition du service pour des communautés aux aptitudes et aux revenus semblables mais également par l’instauration de services spéciaux pour les plus défavorisés (handicapés, bas revenus). Il est aussi nécessaire d’égaliser les résultats, c'est-à-dire un niveau de service équivalent pour l’ensemble de la population. En termes d’équité horizontale, il s’agit de répartir le service selon la demande sans subvention particulière en faveur de tel ou tel individu. En termes d’équité verticale, il s’agit d’instaurer par exemple des tarifs sociaux aux plus défavorisés, afin qu’ils aient accès à la même quantité de service que le reste de la population.

Il existe également d’autres déclinaisons de l’équité pour le secteur des transports, qui peuvent être rapprochées de ce qui a été mentionné précédemment. Raux et Souche (2001) insistent sur le concept d’équité territoriale qu’ils rapprochent du principe d’égale liberté de Rawls : chacun doit bénéficier d’un droit d’accès aux emplois, biens et services. Le concept d’équité verticale ne dépend pas que du revenu. C’est ainsi que Litman (1999) parle d’équité verticale par rapport aux besoins et aux aptitudes de mobilité : certaines personnes possèdent des capacités moindres pour accéder au système de transports, ce qui nécessite l’introduction de services spéciaux en leur faveur.

Au niveau institutionnel, la première véritable prise en compte de la dimension sociale dans le domaine des transports, inspirée par les théories de la justice exposées plus haut fut l’instauration du droit aux transports au sein de la Loi sur l’Orientation des Transports Intérieurs (L.O.T.I, 1982, Article 1). Plus précisément, il s’agit

‘« Du droit qu'a tout usager, y compris les personnes à mobilité réduite ou souffrant d'un handicap, de se déplacer et la liberté d'en choisir les moyens ».’

(L.O.T.I, 1982, Article 1)

Ce droit aux transports implique notamment une égalité d’accès de tous les citoyens au système de transports dans des conditions économiques et sociales acceptables pour la société et justifie à ce titre l’intervention de l’Etat dans l’organisation des transports (Raux, Souche, 2001). Cette égalité de droit aux transports constitue une déclinaison sectorielle du premier principe de Rawls, à savoir l’instauration d’un même droit pour tous. Elle suppose également la mise en œuvre d’un égal accès aux transports sur tout le territoire que ce soit en termes de qualité de service ou de tarification, ce qui se traduit par le concept d’équité territoriale (Raux, Souche, 2001).

Toujours sur le plan institutionnel, les principes de différence et d’égalité des chances que l’on peut rapprocher respectivement des concepts d’équité verticale et horizontale (Banister, 1993, Viegas, Macario, 2001, Litman, 1999) se retrouvent au sein de la Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement du Territoire (L.O.A.D.T, 1995 ; Article 2). En premier lieu, cette loi stipule que :

‘« l'Etat assure la présence et l'organisation des services publics, sur l'ensemble du territoire, dans le respect de l'égal accès de tous à ces services, en vue de favoriser l'emploi, l'activité économique et la solidarité et de répondre à l'évolution des besoins des usagers, notamment dans les domaines de la santé, de l'éducation, de la culture, du sport, de l'information et des télécommunications, de l'énergie, des transports, de l'environnement, de l'eau » ’

(L.O.A.D.T, 1995 ; Article 2)

Cette disposition renvoie au concept d’équité horizontale. Ce dernier suppose un égal traitement pour les individus appartenant à une même classe sociale et peut être identifié au principe d’égalité des chances de John Rawls. Dans le domaine des transports, cela signifie que chacun reçoit une part égale de ressources et de services offerts mais aussi que chacun doit supporter les coûts qu’il engendre (notamment les coûts externes associés à l’utilisation de la voiture). En clair, les politiques publiques ne doivent pas favoriser tel ou tel individu au sein d’un groupe social donné. L’autre partie de l’article 2 de la L.O.A.D.T affirme que :

‘« L’Etat assure la correction des inégalités spatiales et la solidarité nationale envers les populations par une juste péréquation des ressources publiques et une intervention différenciée, selon l'ampleur des problèmes de chômage, d'exclusion et de désertification rurale rencontrés et selon les besoins locaux d'infrastructures de transport, de communication, de soins et de formation » ’

(L.O.A.D.T, 1995 ; Article 2)

Cette disposition renvoie quant à elle au concept d’équité verticale. Celle-ci suppose que les politiques publiques doivent favoriser les groupes sociaux disposant des plus bas revenus. Concrètement, cela se traduit par l’instauration de tarifs sociaux pour certaines catégories de la population (chômeurs, étudiants) et également plus d’investissements en transports collectifs pour les zones défavorisées, par exemple les Zones d’Urbanisation Prioritaires (ZUP). Enfin, la Loi sur la Solidarité et le Renouvellement Urbain (Loi « SRU », 2000) insistera davantage sur les modalités de mise en œuvre de ces aspects sociaux ainsi que sur le respect de l’environnement.

La dimension sociale du développement durable - appréhendée par les travaux mentionnés ci-dessus dans le domaine des transports - est donc bien présente au niveau institutionnel. Nous cherchons à savoir par la suite si les aspects sociaux sont pris en compte par les outils d’évaluation des projets de transports, ainsi que dans les choix des projets de transports. Nous abordons enfin quelques travaux portant sur les questions d’inégalités de mobilité au niveau individuel.