3.2.c … Contrasté suivant les agglomérations.

L’étalement urbain est un phénomène aux caractéristiques variables selon les agglomérations. Certaines d’entre elles peuvent être le théâtre d’un fort étalement urbain, d’autres moins. Certaines agglomérations présentent même des évolutions inhabituelles.

P. Bessy-Pietri (2000) distingue plusieurs types de croissances urbaines au sein des agglomérations françaises. L’auteure réalise une étude sur 73 aires urbaines de plus de 100 000 habitants en 1999 et prend comme échelle d’étude les périmètres des aires urbaines tels qu’ils ont été définis en 1990. La mesure de l’étalement urbain se réalise par l’écart des taux d’évolutions de la ville centre par rapport à la couronne périurbaine. Trois degrés d’étalement sont ainsi définis : étalement marqué (écart supérieur à l’écart moyen), étalement modéré (écart inférieur à la moyenne mais supérieur à la valeur de celle-ci moins le demi-écart type), et enfin l’étalement faible. En outre, l’auteure isole des cas où l’étalement n’est pas régulier, et dans ce cas, elle compare le taux de croissance de la banlieue avec le centre et la couronne périurbaine. Il y a des aires urbaines où la banlieue est qualifiée de dynamique (taux d’évolution de la banlieue supérieur à la couronne), et d’autres où la banlieue est en retrait (taux de croissance annuel inférieur à celui du centre).

Tableau II-1 : types de développement urbain pour 73 aires urbaines de plus de 100 000 habitants
types de développement nombre d’aires urbaines taux d’évolution annuel moyen 1990-1999 en %
aire ville-centre banlieue couronne périurbaine
ETALEMENT REGULIER          
étalement marque 12 0,59 -0,04 0,85 2,19
étalement modéré 13 0,31 -0.10 0,31 1,18
étalement faible 17 0,43 0,17 0,46 0,8
AUTRES SCHEMAS          
banlieues en retrait 17 0,39 0,51 0,12 0,96
banlieues très dynamiques 12 0,97 0,46 1,57 1,28
autres cas 2 -0,08 0,04 -0,15 -0,18
ensemble 73 0,44 0,15 0,41 1,19

Source : extrait de Bessy-Pietri, 2000, p. 46

La majorité des aires urbaines suivent le modèle classique de l’étalement, c’est-à-dire des taux d’évolution de la population croissant du centre vers la périphérie (Tableau II-1). L’étalement est généralement plus important pour les grandes aires urbaines (Nicot, 1996), ce qui traduit une forte évolution des couronnes périurbaines. On retrouve par exemple dans cette catégorie les agglomérations de Paris, Marseille-Aix-en-Provence et Bordeaux. D’autres grandes agglomérations de province se caractérisent par une banlieue en retrait (faible taux de croissance annuel de la population). On peut citer à titre d’exemples les villes de Lille et Lyon. Ces tendances se confirment d’ailleurs dans des exploitations plus récentes (Laganier, Vienne, 2009) ou l’on constate qu’entre 1999 et 2006, les taux de croissance des centres de Lille et Lyon ont été plus importants que leurs banlieues proches, tandis qu’à Marseille, les taux de croissance sont équivalents.

Parallèlement à cette analyse sur les dynamiques d’étalement des grandes aires urbaines françaises, l’auteure distingue à l’aide d’une classification ascendante hiérarchique 6 groupes d’aires urbaines caractérisées par une morphologie différente (Bessy-Pietri, 2000, p. 42) :

L’aire urbaine d’Aix-Marseille appartient au premier groupe (elle possède même la ville centre la plus étendue) et se caractérise par un étalement régulier (tout au long des trois périodes de recensement) et marqué (la couronne se développe fortement par rapport au centre-ville). L’aire urbaine de Lille appartient au groupe 4 et possède une banlieue hypertrophiée. Elle s’est caractérisée par un faible étalement. Celui-ci a été régulier pendant la période 1975 -1990, puis la banlieue est entrée dans un relatif déclin entre 1990 et 1999 (taux de croissance annuel moyen de la banlieue inférieur à celui du centre). L’aire urbaine de Lyon appartient également au groupe 4 et a suivi le même schéma de développement que celui de Lille. Cependant l’étalement urbain y a été bien plus fort.

Dans le cadre de nos travaux portant sur les formes récentes de la croissance urbaine et de la mobilité domicile-travail (Mignot et al. 2007, 2009), nous avons étudié les courbes de population cumulée sur les trois plus grandes aires urbaines de province (Lyon, Marseille et Lille). Les résultats montrent également des étalements urbains contrastés selon les configurations urbaines des villes en question. Les graphiques II-2 présentent les courbes de répartition cumulée de la population pour chaque aire urbaine selon la distance au centre (découpage communal) :

Graphique II-2 : répartition cumulée de la population à Lille, Lyon et Marseille pour les recensements Insee de 1975, 1982, 1990 et 1999.
Graphique II-2 : répartition cumulée de la population à Lille, Lyon et Marseille pour les recensements Insee de 1975, 1982, 1990 et 1999.

Source : traitement auteur à partir du recensement INSEE (1999), dans Mignot et al. 2007, p. 42

Lyon présente la distribution de population la plus régulière et l’allure de la courbe se rapproche beaucoup de la modélisation théorique de Bussière (1972). Lyon est donc bien la ville « la plus monocentrique » des trois cas analysés. L’étalement observé est le plus important : la population en périphérie a beaucoup augmenté. L’allure de la courbe de répartition cumulée de l’aire de Marseille est bien caractéristique avec un saut qui correspond au pôle secondaire d’Aix-en-Provence. L’étalement à Marseille est un peu moins important ; il semblerait que la présence du pôle secondaire d’Aix en Provence limite cet étalement en polarisant une partie de la population périphérique. Certes le cas de Marseille déroge par rapport au « modèle de la ville monocentrique au cœur d’une plaine homogène », de par sa situation géographique particulière. Toutefois, le raisonnement s’appliquant à l’espace délimité par la côte n’est pas fondamentalement différent. Enfin, Lille s’illustre par une série de petits sauts qui correspondent à plusieurs pôles secondaires dont notamment Villeneuve d’Ascq, Roubaix et Tourcoing. L’étalement y est le moins important. Cela pourrait s’expliquer par deux phénomènes : soit l’aire urbaine de Lille « bute » sur d’autres aires urbaines à proximité, soit la présence et le fort développement des pôles secondaires entre 1975 et 1999 a pu limiter en partie la périurbanisation des emplois et de la population en périphérie lointaine.

Nous avons donc mis en évidence la présence d’étalements urbains contrastés dans les trois principales agglomérations de province. On peut aussi souligner l’impact que les pôles sont susceptibles d’avoir sur l’étalement, en modérant le mouvement de suburbanisation des emplois et de la population dans les espaces périurbains lointains.