4.2 …A sa dépendance

Les raisons évoquées dans le paragraphe précédent expliquent la croissance de l’usage de la voiture mais non sa dépendance. Le terme de dépendance automobile a été utilisé de nombreuses fois dans un certain nombre de travaux sans être réellement défini de manière rigoureuse. La plupart du temps, il a été utilisé pour caractériser des espaces urbains à faible densité (Newman, Kenworthy, 1989) au sein desquels il n’y a pas d’offres alternatives à la voiture (Héran, 2001).

Dans les années 1970, Ivan Illich (1973, p. 27) définit le concept de monopole radical et évoque la notion de dépendance automobile. Selon Illich, un monopole radical prend naissance lorsqu’une « industrie s’arroge le droit de satisfaire, seule, un besoin élémentaire ». Ici, l’auteur nous décrit une situation où l’individu, pour satisfaire un besoin, ne peut recourir à un autre moyen que celui imposé par l’industrie. De plus, cette dernière peut créer des produits qui altèrent le rapport entre ce dont les individus ont besoin pour réaliser leurs déplacements, et les moyens réellement utilisés. L’auteur prend ainsi l’exemple de l’usage excessif de véhicules surpuissants, lesquels « engendrent la distance qui aliène ». On est ainsi engagé dans un cercle vicieux qui ne laisse plus aucune possibilité de choix au consommateur.

Gabriel Dupuy (1999) a adopté un point de vue macroéconomique pour définir le concept de dépendance automobile. L’auteur amorce sa réflexion en mentionnant l’existence d’un cercle magique du développement automobile, constaté par des ingénieurs américains au cours des années soixante. Le processus est le suivant : plus on développe d’infrastructures au sein du réseau routier, plus on accroît les gains d’accessibilité liés à la voiture. Ce faisant, c’est un encouragement aux automobilistes pour rouler davantage et à ceux qui ne sont pas motorisés pour acquérir une voiture. Ces surplus de trafics génèrent des recettes supplémentaires pour l’Etat qui réinvestit les sommes engrangées dans de nouveaux projets d’infrastructures. Il semble que l’on est face à un phénomène auto-entretenu, et qui s’amplifie.

Pour mieux formaliser cette approche, G. Dupuy s’appuie sur le cadre conceptuel de Peter Hall (1988) pour définir la dépendance automobile. Ce système automobile comporte cinq éléments (Dupuy, 1999, pp. 13-14) :

Sur la base de ce cadre conceptuel, l’auteur caractérise le concept de dépendance automobile comme le résultat de trois effets : l’effet de club (obtention du permis de conduire), l’effet de parc (l’acquisition d’une voiture) et l’effet de réseau (circulation dans le système routier).

L’effet de club commence avec l’obtention du permis de conduire, lequel permet à son détenteur de se déplacer beaucoup plus rapidement que les autres. L’effet de parc commence avec l’acquisition d’une voiture. Il est formalisé de la manière suivante : plus il y a de voitures sur le réseau, plus il y a de services destinés à l’automobile sur le réseau. Il en résulte une augmentation de l’accessibilité des services offerts à l’automobiliste. Cet effet peut d’ailleurs être généralisé à tous types de services (commerces, loisirs…) implantés sur le réseau routier et donc facilement accessibles en voiture. Il y a enfin les effets de réseau formalisés de la manière suivante : le titulaire du permis de conduire ayant acquis son véhicule va circuler sur le réseau et donc participer à l’augmentation générale du trafic routier. Si le trafic augmente, le produit des taxes liées à la circulation routière (TVA, TIPP en France) va aussi augmenter. Une partie de ces recettes supplémentaires va être affectée pour le développement du réseau routier, ce qui va se traduire par des gains de vitesse et d’accessibilité aux services. La conjonction de ces trois effets provoque une réaction en chaîne qui conduit à un fort accroissement de la motorisation. Dupuy (1999) met en place un modèle de simulation montrant qu’un accroissement de 1 % de la motorisation en France génère un gain d’accessibilité global de 2 %.

Le développement de l’usage de la voiture et de sa dépendance s’est répercuté sur la mobilité quotidienne des ménages.