4.3.d L’exemple de la mobilité domicile-travail au sein de l’agglomération lyonnaise

L’exemple des migrations domicile-travail est particulièrement important car ces déplacements structurent toujours fortement les pratiques de mobilité quotidienne (Aguiléra, 2009) et sont révélatrices de la localisation de la population et des emplois.

Globalement, les distances moyennes domicile-travail ont augmenté de 66% entre 1982 et 1994, remettant en cause l’hypothèse de localisation conjointe de l’emploi et de l’habitat (Orfeuil, 2000a). Plus récemment, les travaux de Mignot et al. (2007) ont mis en évidence un desserrement des localisations emplois – habitats sur 3 grandes agglomérations de province entre 1990 et 1999.

Le cas particulier de l’aire urbaine de Lyon fournit plusieurs résultats qui méritent être soulignés. Premièrement, la géographie des migrations alternantes a fortement évolué entre 1990 et 1999 comme le montre le tableau II-5 :

Tableau II-5 : les évolutions de la géographie des migrations alternantes dans l’aire urbaine de Lyon entre 1990 et 1999
(LYON) destination centre pôles reste aire urbaine total aire urbaine
origine
centre -6% 22% 80% 1%
pôles -12% 1% 63% -2%
reste aire urbaine 17% 47% -6% 19%
total aire urbaine -6% 11% 9% 3%

Source : calculs LVMT d’après RGP99, dans Mignot et al. (2007), p. 71

Les pôles dont il est question au tableau II-5 regroupent 85 % des emplois hors centre. On remarque que la plus forte croissance du nombre de déplacements domicile-travail concerne les migrations en direction du reste de l’aire urbaine (80 % depuis le centre et 63 % depuis les pôles). Le nombre de déplacements au sein d’une même zone géographique a tendance à baisser, sauf dans les pôles où l’on remarque une relative stabilité. On remarque que ces derniers parviennent à polariser une partie des déplacements depuis le centre (22%) et le reste de l’aire urbaine (47 %). Cependant, la tendance générale est à l’éloignement du lieu d’emploi par rapport au domicile, comme en témoignent les fortes croissances en direction du reste de l’aire urbaine. D’ailleurs, le tableau II-6 suivant indique une forte croissance des distances de migrations alternantes selon leur répartition dans l’espace.

Tableau II-6: évolution des distances domicile-travail des actifs selon le territoire de résidence et le territoire de travail entre 1990 et 1999 (aire urbaine de Lyon).
territoire de résidence territoire de travail Lyon
évolution des distances (%)
centre + hypercentre centre + hypercentre -
pôles 6,2%
reste aire urbaine 8,7%
pôles centre + hypercentre 6,7%
pôles 18,3%
reste aire urbaine 31,5%
reste aire urbaine centre + hypercentre 1,4%
pôles 13,4%
reste aire urbaine 53,1%
total aire urbaine   15,3%

Source : calculs LVMT d’après RGPP99 et RGP90, dans Mignot et al. (2007), p. 74

On remarque que la distance moyenne par déplacement est en forte augmentation pour les déplacements en direction de l’aire urbaine avec un taux de croissance pouvant atteindre 53,1 %. L’ensemble de ces résultats montre que l’éloignement du domicile à l’emploi est de plus en plus important, et va donc à l’encontre de l’hypothèse de localisation conjointe.

Nos propres travaux sur les données de l’E.M.D de Lyon (2006) montrent sur des données transversales que la plus grande part des distances parcourues en voiture est effectuée en périphérie sur des liaisons non radiales. En reprenant les pôles mentionnés précédemment, et en considérant les volumes de distance de déplacement en voiture pour tous les motifs, on constate que 67 % des distances effectuées en voiture (mode conducteur) sont réalisées sur des liaisons non radiales (tableau II-7).

Tableau II-7 : distance totale VP réalisée quotidiennement par les lyonnais et distribuée selon le type de liaison (total = 100%)
distances parcourues (VP) centre pôle (intra) pôle (inter) reste aire urbaine
centre 4,9% 9,2% 4,5%
pôle (intra) 9,0% 11,6% X 11,7%
pôle (inter) X 11,9%
reste aire urbaine 4,9% 11,6% 20,2%

Source : réalisation de l’auteur à partir de l’E.M.D de Lyon en 2006, pour les besoins de la thèse
Lecture (chiffre en gras) : 9,2 % de la distance VP est réalisée pour les déplacements allant du centre vers les pôles (inter et intra)

Bien que les flux inter et intra pôle produisent le même volume de distance de déplacements (11,6 % et 11,9 %), le nombre de déplacements (non précisé dans le tableau II-7) au sein de chaque pôle représente 24,6% des déplacements en voiture tandis que les déplacements entre pôles représentent 6 % de la totalité des déplacements. Le même déséquilibre est observé pour les déplacements entre les pôles et le reste de l’aire urbaine.

Le fait de résider dans un pôle favorise les déplacements de proximité et l’usage des modes doux. Ainsi, les déplacements réalisés au sein des pôles sont effectués à 36% par l’usage de modes doux. Pour les déplacements internes au centre, cette part modale s’élève à 53%. Cela montre que les pôles parviennent à reproduire les avantages de la proximité que l’on observe habituellement au centre ville. En revanche, les transports collectifs sont moins adaptés à des déplacements non radiaux, comme le montre le tableau II-8 suivant :

Tableau II-8 : parts modales TC quotidiennes des lyonnais selon le type de liaison
parts modales TC centre pôle (intra) pôle (inter) reste aire urbaine
centre 20,9% 25,9% 23,4%
pôle (intra) 25,2% 5,0% X 7,0%
pôle (inter) X 7,1%
reste aire urbaine 23,9% 6,9% 3,2%

Source : réalisation de l’auteur à partir de l’E.M.D de Lyon en 2006, pour les besoins de la thèse
Lecture (chiffre en gras) : 5 % de la totalité des déplacements effectués à l’intérieur des pôles est réalisé en transports collectifs

On remarque que lorsque les déplacements sont réalisés depuis ou à destination du centre, la part modale en transports collectifs varie de 20 à 25 %, ce qui est tout à fait appréciable. En effet, les pôles secondaires sont bien reliés au centre-ville par des axes de transports structurants. En revanche, dès qu’il s’agit des liaisons périphériques, cette part s’élève au mieux à 7 %. C’est précisément sur ce type de déplacements que devront se focaliser les futurs investissements en transports collectifs, afin d’aboutir, à terme, à une organisation « polycentrique en réseaux ». Ce modèle de ville organisée semble en effet être le plus efficace pour limiter l’usage de la voiture (Mignot et al. 2007 ; Charron, 2007).

Les temps moyens de déplacements pour la mobilité locale sont restés stables sur la période 1982-1994 conformément à la constance des budgets temps avancée par la conjecture de Zahavi (1980). A l’échelle urbaine, on constate également une constance du budget temps, avec même une légère diminution lorsqu’on s’éloigne de la zone centrale d’une agglomération (Orfeuil, 2000a). La conjecture de Zahavi accrédite l’idée que les ménages ne cherchent pas à minimiser leur distance ou leur temps de déplacement mais plutôt à maintenir un budget temps constant, tout en cherchant à profiter au maximum des avantages que peut leur procurer l’espace urbain. Par conséquent, dans les vastes zones périphériques des grandes agglomérations, la vitesse moyenne de déplacement a considérablement augmenté (Gallez et al. 1997). La récente exploitation de l’ENTD de 2008 (Hubert, 2009) confirme la stabilité des budgets-temps de transport pour la mobilité globale et met en évidence une légère diminution pour la mobilité locale dans les dernières enquêtes ménages de Strasbourg, Toulon et Bordeaux.5

Ce bref panorama de l’évolution de la mobilité quotidienne, vue de manière globale et également à travers de quelques cas particuliers, montre que le phénomène d’étalement urbain et l’accroissement de la mobilité sont indissociablement liés. La dispersion de la population et des activités, impulsée en partie par le phénomène de métropolisation s’est accompagnée d’un usage généralisé de la voiture particulière sur des territoires de plus en plus étendus et ségrégés, comme nous le verrons plus loin. Nous avons montré que les territoires présentant le plus d’enjeux en termes de maîtrise de la mobilité étaient les espaces périurbains, territoires que les récentes enquêtes ménages déplacements commencent seulement à appréhender.

Toutes ces évolutions montrent à l’évidence que la durabilité du système de transports n’a pas évolué favorablement. Toutefois, il est difficile de réaliser un diagnostic complet de la durabilité du système de transports en France. Néanmoins, l’emploi de quelques indicateurs synthétiques sur plusieurs exemples concrets peut nous permettre de cerner sur quelles mobilités, et pour quels types de ménages et de territoires se situent les principaux enjeux du développement durable.

Notes
5.

www.certu.fr , consulté le 11/06/2010.