5.1.c Disparités spatiales et sociales du taux d’effort des ménages pour le transport et le logement

Orfeuil et Pollachini (1998) ont estimé conjointement les dépenses de logement et de transport des ménages franciliens. Pour cela, ils ont utilisé un découpage de la région Ile-de-France en neuf zones (celui employé par l’enquête de l’observatoire des loyers). Ces zones sont classées par ordre décroissant de la valeur locative privée moyenne. Les prix du logement (location et accession à la propriété) sont estimés par la base de l’Observatoire des Loyers de l’Agglomération Parisienne tandis que les coûts de la mobilité urbaine des ménages sont estimés à partir des données de l’enquête globale transport (E.G.T, 1991) ainsi que des données du Moniteur Automobile de 1995 (pour la voiture particulière). En termes d’effort budgétaire, les résultats sont les suivants :

Tableau II-11 : effort budgétaire des ménages franciliens pour les dépenses de logement et de transports en 1991
  locataires accédants à la propriété
  D/R T/R L/R D/R T/R L/R
zone 1 35% 5% 30% 32% 7% 25%
zone 2 33% 6% 27% 26% 7% 19%
zone 3 33% 7% 26% 34% 7% 28%
zone 4 36% 9% 26% 31% 8% 23%
zone 5 34% 10% 24% 45% 12% 33%
zone 6 37% 12% 25% 45% 17% 27%
zone 7 46% 19% 27% 48% 22% 26%
zone 8 42% 16% 27% 50% 23% 26%
zone 9 52% 27% 25% 59% 30% 29%
ensemble 37% 11% 26% 48% 19% 28%

Source : tiré de Pollachini, Orfeuil, 1998, pp. 56-57

Les ratios T/R et L/R et D/R désignent respectivement les dépenses de transports rapportées au revenu, les dépenses de logement rapportées au revenu, et la somme des dépenses de transports et de logement rapportées au revenu.

On constate un effort croissant du budget logement-transport des ménages, qu’ils soient locataires ou accédant à la propriété (Tableau II-11). Cette croissance est due à une hausse de l’effort budgétaire du poste transport. En effet, les ménages habitant en périphérie bénéficient, certes, d’un foncier moins cher mais sont obligés de se motoriser pour pouvoir se déplacer. De plus, ils sont contraints de parcourir des distances quotidiennes beaucoup plus importantes, ce qui alourdit encore leurs dépenses. En réalité, les dépenses de logement sont relativement constantes, alors que les dépenses de transports augmentent. Les accédants à la propriété en périphérie lointaine (zone 9) sont dans une situation particulièrement tendue car près de 60 % de leur budget est consacré au transport et au logement.

Nous pouvons également illustrer spatialement les inégalités du taux d’effort des ménages pour leur mobilité urbaine dans les agglomérations de Lille (1998) et de Marseille (1997) (illustration II-4). D’une manière globale, Lille est l’agglomération qui contient le moins de ménages vulnérables6 par rapport à sa population (10,6 %). Cette part est plus élevée pour Marseille (18,4 %). Les ménages vulnérables du premier tercile sont les plus exposés à de forts changements de contexte (hausses des prix du pétrole…). Ils constituent 6,2 % de la population à Lille et 10,1 % à Marseille.

Pour Lille, les résidents des pôles secondaires de Roubaix et Tourcoing dépensent relativement peu pour leur transport. C’est aussi vrai sur l’ensemble du périmètre. Ainsi, le taux d’effort varie à Lille dans une fourchette allant 6,8 % à 12,1 %. L’agglomération Lilloise ne présente pas de zones très vulnérables (au-delà de 20 %). Au contraire, on constate que les pôles secondaires ont un effet modérateur sur l’usage de la voiture. Certaines zones au sud de Lille présentent des taux de vulnérabilité plus importants mais cela reste limité. La forme multipolaire compacte présente donc l’avantage de limiter la vulnérabilité des ménages les plus modestes. En revanche, les ménages éloignés du centre et ne résidant pas au sein de pôles secondaires ont généralement des taux d’effort et des disparités plus importants. A Marseille, il existe de nombreuses zones très vulnérables notamment autour du pôle secondaire d’Aix-en-Provence. Ce pôle ne semble pas limiter l’usage intensif de la voiture. Par exemple, si l’on considère la mobilité domicile-travail, toujours très structurante des déplacements des ménages, la longueur moyenne des déplacements des ménages pour ce motif est de 11 km au sein du pôle d’Aix-en-Provence, ce qui constitue une valeur supérieure à la moyenne du territoire de l’aire urbaine (8,3 km). Ainsi, le mauvais appariement spatial habitat-emploi explique en partie la présence de ces nombreuses poches de vulnérabilité.

Les ménages périurbains autour d’Aix-en-Provence peuvent consacrer jusqu’à 23% de leur budget annuel pour leur mobilité quotidienne et de week-end. La situation devient généralement problématique lorsque le taux d’effort devient supérieur à 18-20%, comme nous le verrons au chapitre V.

Illustration II-4 : taux d’effort annuel des ménages pour leur mobilité quotidienne et de week-end (moyennes aux secteurs de tirage)
Illustration II-4 : taux d’effort annuel des ménages pour leur mobilité quotidienne et de week-end (moyennes aux secteurs de tirage)

Sources : réalisation de l’auteur à partir des E.M.D. de Marseille (1997) et de Lille (1998) pour les besoins de la thèse

Nous avons donc constaté qu’il y a eu une évolution conjointe des configurations urbaines et des mobilités. Les villes se sont globalement étalées, avec une délocalisation de la population et des emplois en périphérie. Parallèlement à ce mouvement d’étalement, la mobilité quotidienne des ménages a beaucoup évolué. Cette évolution s’est manifestée par une forte augmentation du taux de motorisation et de la part modale de l’automobile, des distances parcourues et des vitesses de déplacement. C’est essentiellement sur le territoire périurbain qu’ont eu lieu ces principales évolutions. Dans le même temps, on a constaté que les évolutions de durabilité du système de transports posent des problèmes d’ordre économiques, sociaux et environnementaux, en particulier sur ces territoires périurbains.

Ce court bilan environnemental du système de transports sur le champ de la mobilité quotidienne à l’aide de quelques indicateurs nous a permis de cerner, comme pour notre analyse de l’évolution de la mobilité, les ménages et les territoires sur lesquels les enjeux sont les plus importants. Si le bilan que nous tirons est plutôt négatif, il existe néanmoins différents types de mesures permettant d’améliorer la durabilité du système de transports.

Notes
6.

Le seuil de vulnérabilité permettant d’accéder au nombre de ménages vulnérables au sein d’une agglomération est défini au ch. 5 (p. 205)