7. Problématique

Après avoir montré que le système de transports n’était pas durable à l’aide de la théorie néoclassique (aspects économiques et environnementaux), et des théories sur la justice (aspects sociaux), nous avons traité plusieurs exemples pour conclure que le système de transports en France s’est dégradé du point de vue de sa durabilité, ce qui pose question sur le modèle de développement des transports en France (Orfeuil, 2006). Nous avons enfin exploré plusieurs mesures permettant d’améliorer le système de transports dans les dimensions économiques, environnementales et sociales. A cet effet, les solutions portant sur la forme urbaine de la ville ont montré leur pertinence, comme plusieurs travaux l’ont maintes fois souligné (Ewing, Cervero, 2001).

Les différents travaux sur les impacts des formes urbaines portent essentiellement sur les pratiques de mobilité, ainsi que sur quelques indicateurs environnementaux associés. On note ainsi la présence de nombreuses études traitant des conséquences de la forme urbaine sur les pratiques de mobilité (Ewing, Cervero, 2001 ; Ewing et al. 2003 ; 2007 ; Litman, 2009) et sur les émissions dans les transports (Newman, Kenworthy, 1989, 1998 ; Naess, 1996 ; De Coevering, Schwanen, 2006 ; Litman, 2009). Cependant, ces travaux ne permettent pas d’appréhender de manière complète la question de l’impact des formes urbaines sur la durabilité du système de transports, notamment en ce qui concerne les dimensions économiques et sociales. Sur l’aspect social par exemple, les travaux portant sur la mobilité quotidienne concluaient sur la quasi-inexistence d’inégalité de mobilité suivant les revenus (Paulo, 2006), sans toutefois distinguer la localisation des ménages, laquelle joue un rôle important (cf. chapitre V). Par contre, le calcul des coûts financiers des déplacements urbains met en évidence des inégalités dépendant à la fois du statut des ménages et de leur localisation (Vanco, 2008 ; Vanco, Verry, 2009).

Une approche par les coûts de la mobilité nous semble donc plus appropriée pour évaluer les aspects économiques et sociaux de la durabilité du système de transports.

Cependant, un diagnostic général traitant des conséquences de la forme urbaine sur les dimensions économiques et sociales du système de transports, en privilégiant une approche par les coûts de la mobilité est difficile à mettre en œuvre. En effet, pour établir un tel diagnostic, il est nécessaire de disposer d’une information précise sur les coûts complets du système de transports, et désagrégée spatialement. Or les différents comptes déplacements menés dans quelques grandes agglomérations françaises (Paris depuis 1981 ou encore Lille depuis 2001) montrent qu’il est déjà délicat de rassembler toutes les informations concernant les coûts, et qu’il est difficile de les désagréger selon plusieurs secteurs géographiques donnés (Mignot, 1992). Par contre, une approche centrée sur les coûts de la mobilité quotidienne des ménages rend possible, avec les outils actuels, une évaluation des conséquences de la forme urbaine sur les aspects économiques et sociaux du système de transports. Les différents indicateurs calculés sur les agglomérations de Lille (1998) et Marseille (1997) exposés précédemment montrent qu’une telle évaluation est envisageable.

Notre thèse propose donc l’évaluation des coûts de la mobilité quotidienne au travers de trois indicateurs : les coûts annuels de la mobilité quotidienne des ménages, la part qu’ils y consacrent dans leurs revenus (taux d’effort) et enfin leurs émissions annuelles de CO2.

D’autres facteurs de durabilité pourraient être pris en compte, comme l’accidentologie routière, l’occupation de l’espace ou encore le bruit. Même si nous ne les mesurons pas dans la suite, puisque notre objectif consiste à trouver les facteurs permettant de réduire l’usage de la voiture, nos travaux permettront de donner quelques pistes pour réduire les nuisances liées à ces externalités. L’emploi de ces trois indicateurs, certes réducteurs, nous permet au final une analyse des conséquences de la forme urbaine sur la durabilité du système de transports et d’avoir une vision plus complète que les travaux ayant été menés jusqu’à présent, et ne permettant pas de trancher totalement sur la question.

Comme nous avons eu l’occasion de le préciser au cours de ce chapitre, l’analyse des conséquences de la forme urbaine sur les coûts de transports doit être replacée dans le cadre général de Bonnafous et Puel (1983) concernant la vision systémique de la ville. La ville peut être considérée comme un ensemble de trois sous-systèmes en interaction mutuelle : le sous-système des localisations, le sous-système de transports et le sous-système des relations sociales. Cette approche systémique peut aisément être transposée à la problématique des liens entre forme urbaine et mobilité. Ce cadre conceptuel a été établi par Pouyanne (2004) en s’appuyant sur celui de Frank et Pivo (1994). Il définit « l’interaction triangulaire » qui rend compte de l’interaction mutuelle entre trois sous-systèmes : les comportements de mobilité (transports), la forme urbaine (localisation) et enfin les caractéristiques sociodémographiques des ménages (relations sociales).

Illustration II-5 : cadre conceptuel lié à notre problématique
Illustration II-5 : cadre conceptuel lié à notre problématique

Source : élaboration auteur inspirée de Bonnafous et Puel (1983), de Frank et Pivo (1994) et de Pouyanne (2004)

Ce cadre général (illustration II-5) montre d’une part que le lien de causalité de la forme urbaine - c’est-à-dire la manière dont sont localisés les entreprises et les ménages - sur la mobilité quotidienne n’est pas évident : il s’agit a priori d’un lien de réciprocité. D’autre part, il montre la nécessité de prendre en compte les caractéristiques socio-économiques des ménages comme un des déterminants potentiel des coûts de la mobilité quotidienne.

Ces constats étant établis, la suite de notre travail consiste à approfondir les liens unissant la forme urbaine à la durabilité (à défaut, aux pratiques) de la mobilité à partir de la théorie et également en effectuant une revue des travaux empiriques sur le sujet. Au cours de ce chapitre, nous avons mis l’accent sur certains aspects de la forme urbaine susceptibles d’influer sur la mobilité : la densité d’urbanisation, la diversité des activités au sein d’une zone, l’accessibilité en transports aux aménités de la ville, la proximité à l’emploi ou encore la présence de pôles secondaires au sein d’une agglomération. Cependant, nous portons une attention particulière à l’influence des variables socio-économiques des ménages qui peuvent déterminer, sinon plus, les coûts de la mobilité. Le but étant ici de décorréler les différents effets.