2.1 Le cadre du modèle monocentrique

Suite aux travaux précurseurs d’Isard (1956) et de Wingo (1961), W. Alonso (1964) a tenté d’établir une théorie d’équilibre générale rendant compte de la localisation des firmes, des ménages et des activités agricoles au sein de l’espace urbain. Même si cet équilibre général n’a jamais pu être réellement formalisé, Alonso a bâti une véritable théorie de la localisation résidentielle qui a donné naissance au modèle standard de la Nouvelle Economie Urbaine (NEU). Ce modèle a notamment été repris et complété par plusieurs auteurs (Muth, 1969 ; Mills, 1972). Le modèle standard cherche donc à déterminer la localisation des ménages au sein de l’espace urbain et se situe dans la continuité du modèle de Von Thünen : « les hypothèses, les comportements et les méthodes d’analyse restent identiques » (Guigou, 1999, p. 346). Le modèle d’Alonso généralise le cas particulier du modèle de localisation des cultures de Von Thünen dans le cas de l’occupation du sol par les ménages.

Le cadre général du modèle formalisé par William Alonso est le suivant : l’espace est modélisé par une plaine homogène. Le centre, réduit à un point, représente la ville et concentre l’ensemble du marché et des emplois. L’ensemble des agents (ménages) n’entretient des relations qu’avec le centre. Par conséquent, seule la distance x au centre caractérise leur position dans l’espace. Par ailleurs, on suppose l’existence d’un système de transports permettant d’effectuer des trajets radiaux centre-périphérie en tout point de l’espace. Chaque ménage dispose d’un revenu R et consomme deux biens : un bien composite Z et une certaine quantité de sol q dont le prix unitaire σ (x) dépend de la distance au centre. Les ménages supportent en outre un coût de transport croissant avec la distance au centre t (x).

Enfin, ils sont dotés d’une fonction d’utilité U (q,Z) concave suivant chacun de ses deux arguments. Deux forces opposées pèsent dans le choix de la localisation du ménage. Le centre constitue une localisation privilégiée car il fournit une bonne accessibilité aux emplois. La compétition pour l’occupation du sol sera donc plus grande et les prix plus élevés : c’est une force centrifuge qui tend à repousser les ménages en périphérie. A l’inverse, les coûts de transport croissent avec la distance et poussent les ménages à se rapprocher du centre.

Considérons d’abord le choix résidentiel d’un seul ménage. Ce dernier va chercher à se localiser au sein de l’espace urbain en effectuant le programme de maximisation classique du consommateur rationnel.

La condition de Muth signifie que lorsque le ménage se situe à sa position d’équilibre, s’il effectue un tout petit déplacement vers la périphérie, alors l’augmentation des coûts de transports induite par ce déplacement est exactement compensée par la variation de la dépense du sol. La relation (3) montre que lorsque le ménage a maximisé son utilité, alors quelle que soit sa position au sein de l’espace urbain, il n’a plus aucune raison de bouger : il est indifférent à sa localisation. A l’équilibre, en chaque point x de l’espace urbain, lorsque le ménage a atteint son maximum d’utilité U, on peut définir sa fonction de rente offerte ρ(x,U) qui correspond au prix maximal que le ménage peut payer pour une unité de sol. La représentation graphique de ρ correspond à la courbe d’enchère du ménage qui peut être vue comme une courbe d’indifférence entre la rente offerte et la distance au centre (Huriot, 1994 ; Camagni, 1996). La localisation exacte du ménage x* va correspondre au point de tangence entre la courbe des prix du sol et la courbe d’enchère du ménage.

Formellement, l’équilibre résidentiel du ménage s’écrit : ρ(x*, U)= σ (x*)

Cet équilibre résidentiel ne concerne qu’un seul ménage. Lorsque l’on considère l’équilibre simultané de tous les ménages, la courbe des prix du sol n’est plus une donnée à laquelle est confronté le ménage. Cette dernière résulte de la confrontation entre les courbes d’enchère des différents ménages, de la même manière que dans le modèle de Von Thünen, où la courbe de rente d’équilibre est déterminée par les courbes de rente des différents produits (Huriot, 1994). Par conséquent, il n’est plus possible de déterminer l’utilité du ménage à l’équilibre résidentiel car σ n’est plus une donnée qui s’impose au ménage. Une manière de simplifier le modèle est de considérer que tous les ménages sont identiques, c'est-à-dire dotés de la même fonction d’utilité. De plus, on suppose les propriétaires absents : le mécanisme d’enchère qui conduit à la localisation des ménages va alors définir une courbe d’enchère globale identique pour tous. La courbe des prix du sol s’identifie alors à la courbe d’enchère pour toute distance x donnée, ce qui se traduit formellement par :

ρ(x, U)= σ (x), pour tout x avec U l’utilité atteinte à l’équilibre par tous les ménages

Pour boucler le modèle, deux paramètres supplémentaires doivent être fixés. Dans le cas d’une ville fermée, il s’agit de fixer le nombre totalde ménages à localiser et de fixer la valeur de la rente foncière à la limite de la ville, qui peut être assimilée à la valeur de la rente agricole. On obtient ainsi la courbe d’enchère d’équilibre du modèle. Alonso (1964) s’est aussi intéressé à la localisation des entreprises et des agriculteurs au sein de l’espace urbain. La rente d’enchère des entreprises et des agriculteurs est issue d’un programme de maximisation classique de la fonction de profit. La localisation des différents acteurs se fait ensuite par la mise en concurrence des ménages, des entreprises et des agriculteurs au sein de l’espace urbain.

Le cadre théorique du modèle standard peut alors se justifier. En effet, les firmes sont sensibles à la proximité et possèdent des rentes d’enchère supérieures aux ménages et aux agriculteurs : elles se localisent donc au centre. Les agriculteurs ont besoin d’une grande surface d’exploitation et se localisent en périphérie. Enfin, les ménages sont situés dans une zone intermédiaire où ils arbitrent selon leur préférence pour l’espace ou l’accessibilité au centre (Guigou, 1999).

Le modèle standard fournit à l’équilibre la valeur de la rente en fonction de l’éloignement au centre. A population constante, le phénomène d’étalement urbain se caractérise en fait par une baisse du gradient de la rente d’enchère accompagné d’une baisse du gradient de la densité des ménages au sein de l’espace urbain (Boiteux, Huriot, 2002). Une manière de mesurer un phénomène d’étalement est donc de mesurer la baisse du gradient de densité de la population.

Une des modifications que l’on peut apporter au modèle concerne la consommation du sol du ménage. En réalité, ce dernier ne consomme pas directement du sol mais exprime une demande de logement (Huriot, 1994). Le modèle standard doit dans ce cas intégrer une nouvelle catégorie d’agent : les promoteurs immobiliers. Muth (1969) va coupler le modèle d’équilibre résidentiel des ménages avec un modèle de production de logement. Il montrera alors sous certaines conditions (Huriot, 1988) la relation suivante :

D représente la densité résidentielle, D 0 la densité résidentielle au centre et k le gradient de densité. La théorie est ainsi parvenue à retrouver la loi établie expérimentalement par Clark (1951). Mesurer une baisse du gradient de densité k dans le temps correspond au phénomène d’étalement urbain. Cette fonction classique a été utilisée dans un très grand nombre de travaux pour mesurer le phénomène de suburbanisation.

Le phénomène d’étalement urbain a pris différentes formes selon les villes. Les pays développés ont commencé à amorcer un processus d’étalement vers la fin du 19ème siècle. Les différences les plus emblématiques concernent les villes européennes d’une part et les villes canadiennes et américaines d’autre part. Les métropoles du continent américain ont connu une forte suburbanisation, c’est-à-dire une croissance importante de leur population en périphérie combinée à un déclin relatif des centres villes. De nombreuses études empiriques constatent une baisse de la densité centrale de population combinée à une baisse des gradients de densité (Clark, 1968 ; Mills, 1970 ; Edmonston et al. 1985 ; Jordan et al. 1998). En revanche, les villes européennes, bien que suivant la même tendance à l’étalement urbain, ont conservé pour la plupart un centre historique fort (Péguy, 2000).