2.2 Une application à la mesure de l’étalement urbain

Nos propres travaux (Mignot et al. 2007) ont tenté de mesurer, à l’aide d’une estimation du modèle de Bussière sur la répartition cumulée de la population et des emplois sur trois aires urbaines (Lille, Lyon et Marseille) pour les recensements de 1990 et 1999, un phénomène d’étalement urbain.

Le modèle de Bussière s’inspire du modèle d’Alonso pour modéliser la répartition cumulée de la population et des emplois autour d’une ville centre. Nous procédons à une comparaison des évolutions des phénomènes d’étalement et de concentration concernant l’emploi et la population dans les trois villes évoquées précédemment : Lyon, Marseille et Lille. La base du modèle de Bussière pour la population réside dans l’hypothèse d’une préférence de ces populations pour une localisation à proximité du centre. Les hypothèses classiques de ce modèle sont relatives à la concurrence pure et parfaite et à l’information identique de tous les agents. Les ménages arbitrent donc seulement entre la distance au centre et le coût d’usage du sol. L’illustration III-1 précise les hypothèses théoriques et la formulation du modèle de Bussière.

Illustration III-1 : le modèle de Bussière et son amendement
Illustration III-1 : le modèle de Bussière et son amendement

Source : Mignot et al. 2007, p. 41

Comme nous l’avons évoqué, l’application du modèle de René Bussière permet d’évaluer les degrés de concentration et d’étalement urbain de la population et de l’emploi. Nous calculons les indicateurs de densité concernant l’emploi et la population, en appliquant le modèle de Bussière dans sa forme originale et amendée selon la meilleure qualité de l’optimisation. Nous présentons les résultats de la modélisation pour le zonage communal, avec les résultats des deux modèles théoriques (Bussière amendé et non amendé). L’échelle d’étude des modélisations de Bussière est toujours l’aire urbaine pour les trois villes considérées. Les tableaux III-1 et III-2 présentent les différentes valeurs de A (densité à l’origine) et b (gradient de densité) calées de telle manière que la somme des carrés des écarts entre chaque point d’une courbe empirique et d’une courbe théorique soit minimale pour la formulation initiale du modèle (minimisation de la somme des carrés des résidus). La qualité de la régression entre la courbe théorique et la courbe empirique est ensuite estimée par la valeur du coefficient de corrélation. Ces derniers sont souvent très bons, mais l’intérêt réside surtout dans la comparaison des valeurs de coefficients de corrélation entre les villes et les modèles considérés.

Tableau III-1 : les paramètres du modèle de Bussière non amendé calculés pour la répartition cumulée de la population et de l'emploi dans les trois aires urbaines en 1975 et 1999
modélisation Bussière non amendée Lyon Marseille Lille
1975 1999 1975 1999 1975 1999
emplois A 16756 14782 5611 5013 4212 4700
b 0,41 0,35 0,27 0,24 0,25 0,25
population A 23970 23349 14631 11881 9000 9500
b 0,33 0,30 0,26 0,22 0,23 0,23
coefficient de corrélation population 0,95 0,96 0,90 0,87 0,96 0,97
emplois 0,94 0,94 0,89 0,84 0,95 0,98

Source : calculs de l’auteur, données INSEE (Mignot et al. 2007, p. 46)

Tableau III-2 : les paramètres du modèle de Bussière amendé calculés pour la répartition cumulée de la population et de l'emploi dans les trois aires urbaines en 1975 et 1999
modélisation Bussière amendée Lyon Marseille Lille
1975 1999 1975 1999 1975 1999
emploi A 16756 14782 5611 5013 9618 9403
b 0,45 0,39 0,31 0,30 0,46 0,43
K 2175 4204 2237 4096 4637 4377
population A 23970 23349 14631 11881 11295 10956
b 0,36 0,36 0,30 0,28 0,31 0,29
K 6033 11739 6770 11173 9801 10164
coefficient de corrélation population 0,99 0,99 0,97 0,96 0,95 0,95
emplois 0,98 0,98 0,96 0,94 0,91 0,94

Source : calculs de l’auteur, données INSEE (Mignot et al. 2007, p. 50)

On observe que pour Lille, l’optimisation avec le modèle de Bussière non amendé est meilleure que celle avec le modèle de Bussière amendé. Ainsi, la forme non amendée (tableau III-1) donne de meilleurs résultats, ce qui signifie qu’il y a peu d’étalement urbain loin du centre (K=0, asymptote horizontale). Inversement, pour Lyon et Marseille, l’optimisation avec le modèle de Bussière amendé (tableau III-2) est meilleure que celle du modèle sans amendement. Ces villes se caractérisent notamment par un étalement urbain important et éloigné du centre (valeurs de K élevées : asymptotes obliques).

La forme amendée montre que les meilleurs calages sont obtenus à Lyon. La ville de Marseille obtient des résultats un peu moins bons notamment à cause de la présence du pôle secondaire d’Aix-en-Provence (rappelons que la modélisation théorique de Bussière repose sur l’hypothèse d’une ville dont tous les emplois sont au « Central Business District », ou centre des affaires). La décroissance des gradients de densité est généralement plus forte à Lyon qu’à Marseille. Les valeurs de K augmentent considérablement pour Lyon et Marseille entre 1975 et 1999 : elles font plus que doubler, ce qui met en évidence un fort étalement urbain dans ces deux villes, contrairement à Lille. Elles sont plus élevées pour Lyon, ce qui montre un étalement plus lointain et plus diffus sur l’aire urbaine lyonnaise. Les résultats observés sur la ville de Lille sont assez remarquables : la densité à l’origine A croît légèrement pour la population et les emplois entre 1975 et 1999. Le gradient de densité reste constant ce qui suggère (en théorie) un faible étalement urbain. Comme cela a déjà été dit précédemment, deux raisons peuvent être invoquées pour expliquer un tel phénomène :

Quoiqu’il en soit, ces résultats sur l’aire urbaine de Lille semblent aller à l’encontre des évolutions observées dans les grandes agglomérations françaises depuis plusieurs décennies : un étalement urbain caractérisé par une forte croissance de la population et des emplois en périphérie lointaine.

La modélisation de Bussière a confirmé théoriquement l’étalement urbain lointain et diffus autour de l’agglomération lyonnaise. La dernière enquête ménages de Lyon (2006) couvre d’ailleurs un vaste territoire périurbain, lieu de forte croissance de la mobilité quotidienne et permet donc de caractériser la mobilité des individus dans ces espaces périphériques, comme nous le verrons dans le chapitre V.