2.3.a Etalement urbain et baisse des coûts des transports

Le passage d’un coût de transport unitaire t 1 ’(x) à un coût unitaire t 2 ’(x)quelle que soit la distance, avec t 1 ’ > t 2 a des conséquences sur l’urbanisation de la ville. La baisse des coûts de transport entraîne un accroissement du revenu net. Comme le logement est un bien normal, la surface q occupée à l’équilibre par chaque ménage va augmenter. Selon la relation (3), il en résulte une diminution de la pente de la rente d’enchère quelle que soit la distance x du centre. La densité résidentielle va donc baisser et le territoire urbanisé va s’étendre. Nous sommes cependant confrontés à une contradiction apparente. Nos propos sur le budget des ménages consacrés aux transports en France montrent une part croissante des revenus dans les transports et en particulier l’automobile. Cette augmentation de la dépense s’est néanmoins accompagnée d’un phénomène généralisé d’étalement urbain dans les agglomérations françaises.

En réalité, il faut revenir sur la signification d’une baisse des coûts de transport. Le coût du transport ne peut pas s’appréhender en termes monétaires uniquement. L’attractivité du mode automobile résulte en grande partie de sa flexibilité d’utilisation et des gains importants de temps qu’il peut procurer. D’où la nécessité d’introduire dans le coût de transport la valeur du temps. S’il y a eu étalement urbain en France ces dernières années, alors il y a eu nécessairement baisse des coûts généralisés des transports.

Leroy et Sonstelie (1983) se sont penchés sur cette question des coûts généralisés des transports en monétarisant le temps de parcours. Ils reprennent les hypothèses habituelles du modèle monocentrique standard en mettant en concurrence deux modes de transport (l’automobile et le bus). En considérant les migrations domiciles-travail, le ménage dispose de deux possibilités pour se rendre sur le lieu de son emploi. Les coûts respectifs des transports s’écrivent (indice 1 pour le bus et indice 2 pour l’automobile) :

La variable Cf représente les coûts fixes qui ne dépendent pas de la distance parcourue (dépenses d’achats, assurance, carte grise). La variable Cv représente les coûts variables dépendant de la distance parcourue (carburant, lubrifiant, entretien). Enfin, T et R sont respectivement le temps de parcours et le revenu de la personne. La voiture est le mode de transport le plus onéreux et par conséquent, on a Cf 1 > Cf 2 et Cv 1 > Cv 2 , mais c’est aussi le mode le plus rapide, donc T 1 < T 2 . Il existe une distance au centre X c pour laquelle les coûts généralisés (5) et (6) des deux modes vont s’égaliser :

X c = (Cf 1 - Cf 2 ) / (Cv 1 +R* T 1 - Cv 2 – R* T 1 )

Au-delà de cette distance, l’automobile est un mode plus intéressant car le gain de temps apporté par ce mode est supérieur à la différence entre coûts fixes et coûts variables des deux modes. Mais pour tous les ménages situés à une distance inférieure à Xc du centre, il sera préférable de prendre le bus. Examinons à présent quel est l’influence du passage d’un mode à un autre sur la courbe de rente d’enchère des ménages. Si l’on reprend l’équation (3) et que l’on dérive les relations (5) et (6), la courbe d’enchère des ménages est définie de la manière suivante :

La courbe de rente pour le mode de transport automobile a une pente négative plus faible en valeur absolue et surtout elle s’étend au-delà de ce que permettrait le mode de transport bus. L’apparition de l’automobile s’est donc accompagnée, par le gain de vitesse qu’elle procure, d’une urbanisation plus lointaine du centre. Cette démonstration théorique est en accord avec l’observation : les banlieues et périphéries des grandes agglomérations sont dominées par la voiture. Leroy et Sonstelie soulignent par ailleurs que la valeur du temps des ménages et la localisation centrale des transports en commun peut expliquer pourquoi dans certaines villes américaines, les pauvres sont localisés au centre et les riches sont localisés en périphérie. En effet, ces derniers possèdent une valeur du temps élevée et préféreront utiliser la voiture dans les zones de moindre congestion afin de gagner du temps sur leurs déplacements : ils se localiseront donc en périphérie.

Cette relation montre que, lorsque les coûts de transports baissent, le gradient de densité tend à diminuer. En se basant sur des données « plausibles » portant sur des villes américaines des années 1950 et 1970, les auteurs estiment la valeur du gradient de densité et constatent une baisse de 26 %. Bien que les effets du revenu et des coûts de transport ne soient pas décorrélés, cette baisse montre que ces derniers sont en partie responsables de l’étalement urbain.

Une baisse des coûts généralisés de transport est surtout la conséquence d’un fort gain de vitesse en périphérie. D’où l’idée d’étudier le lien entre gradient de densité et vitesse de déplacement. C. Enault (2003) examine la variation de la vitesse de déplacement en fonction du gradient de densité. L’auteur constate que « lorsque les populations se concentrent, la vitesse tend à diminuer. Inversement, les vitesses augmentent si les populations se déconcentrent » (p. 353). Autrement dit, le gain d’accessibilité apporté par la vitesse se manifeste par une baisse du gradient de densité et une extension du périmètre de la ville.

L’importance de la prise en compte du temps de transport soulignée par la théorie semble se confirmer lorsqu’on examine le lien empirique entre la densité et les coûts financiers des transports. P. Y. Péguy (2000) teste plusieurs facteurs pour expliquer la densité communale sur un échantillon de 861 communes françaises des grandes aires urbaines (celles qui possèdent plus de 150 000 habitants en 1990). Il obtient une relation significative (négative) du coût de transport (estimé par la distance euclidienne multipliée par le coût unitaire d’un véhicule 6 CV) sur la densité communale. Ainsi, les coûts de transport diminuent dans les zones de forte densité et inversement. Le même résultat est obtenu pour un ensemble de communes de plus petites aires urbaines. Nos propres calculs sur l’aire urbaine de Lyon (2006) montrent une relation clairement négative entre la densité et les coûts de transport supportés par les ménages (cf. chapitre VI). En revanche, nous montrons que la vitesse est croissante avec la baisse des densités, ce qui prouve que les gains d’accessibilités prévalent sur l’augmentation des coûts financiers de transport. De nombreux travaux empiriques confirment que l’usage de la voiture est toujours plus important dans les zones de faibles densités (Fouchier, 1997a ; Glaeser, Kahn, 2003).

Le modèle standard de l’économie urbaine permet d’établir un lien entre le phénomène d’étalement urbain et l’utilisation massive de la voiture particulière. Toutefois, même si la théorie suggère que l’étalement est une conséquence de la baisse des coûts généralisés, la réalité est plus complexe. En effet, le lien de causalité peut être inversé si l’on considère que la dispersion et la spécialisation des activités initiées par le processus de métropolisation a favorisé l’aménagement de vastes zones de basse densité rendant indispensable l’usage de la voiture. Nous sommes donc en présence de deux sous systèmes liés par une interaction complexe, laquelle mérite d’être mieux clarifiée.