3.3 Une thèse qui soulève de nombreuses critiques méthodologiques…

Les travaux de Newman et Kenworthy vont susciter de nombreuses critiques que l’on peut regrouper en deux catégories (Mindali et al. 2004 ; De Coevering, Schwanen, 2005).

La première série de critiques porte sur la démarche méthodologique du travail de Newman et Kenworthy.

Il apparaît délicat de relier la densité urbaine et la consommation d’énergie sans contrôler un ensemble de variables susceptibles d’expliquer tout autant, voire plus, les variations observées de consommation d’énergie par tête dans les transports. Des variables telles que le revenu, l’efficacité énergétique des véhicules, et le prix du carburant sont fortement liées à la consommation d’énergie dans les transports et de manière plus générale à la possession et l’utilisation de l’automobile (Gomez-Ibanez, 1991 ; Gordon, Richardson, 1997). Or la base de données de Newman et Kenworthy comporte des villes aux contextes totalement différents sur le plan politique, social et culturel (Gordon et Richardson, 1989 ; Höjer, Mattsson, 2000). De plus les données socio-économiques à l’échelle de l’individu (revenu, catégorie socioprofessionnelle) où à l’échelle de l’agglomération (caractéristiques du parc automobile, le prix des carburants, nombre d’emplois dans le CBD, situation économique) sont également très variables (Mindali et al. 2004, Schwanen, 2002). Les précautions prises par les auteurs (et mentionnées plus haut) apparaissent insuffisantes. Par ailleurs, les auteurs ne considèrent que la densité globale de la ville, ce qui est un peu réducteur. Certains auteurs (Mindali et al. 2003 ; Pouyanne, 2004) ont montré l’intérêt de réaliser des études à l’échelle intra-urbaine. En effet, ces travaux montrent que la densité a un effet significatif sur la mobilité seulement à partir d’un certain seuil. Autrement dit, au sein des zones à faible densité, d’autres facteurs influenceraient de manière bien plus importante la mobilité pratiquée.

D’une manière générale, on reproche à Newman et Kenworthy de ne pas avoir procédé à une analyse multi-variée dans leur étude afin de prendre en compte tous les facteurs susceptibles d’expliquer la consommation d’énergie par personne dans les transports. Par exemple, la différence constatée entre les villes américaines et européennes peut également s’expliquer par un taux de motorisation plus faible en Europe et à un prix de carburant plus élevé (Kirwan, 1992). On peut aussi considérer que la moindre consommation d’énergie dans les zones à fortes densités est due à l’utilisation plus fréquente des transports en commun dans ces zones… L’analyse est d’autant plus contestable que certains auteurs parviennent à établir le même type de courbe en utilisant les données de Newman et Kenworthy avec d’autres variables explicatives que la densité. Wegener (1996) prend ainsi comme variable explicative le prix de l’essence et montre que l’on peut obtenir les mêmes types de résultats, à savoir ici que la consommation d’énergie est expliquée par le prix de l’essence. L’auteur va même plus loin en affirmant que le prix de l’essence déterminerait en partie le type d’urbanisation. Ainsi dans les villes européennes, le prix plus élevé de l’essence favoriserait la demande en transport publics. Ces derniers, pour fonctionner dans de bonne conditions de rentabilité, exigeraient une urbanisation plus dense.

Enfin, le périmètre géographique n’est pas le même suivant les villes considérées. Or les résultats peuvent être complètement différents selon que l’on prenne ou pas en compte le territoire périurbain d’une agglomération.

La seconde série de critiques porte sur le niveau théorique : c’est le sens de la causalité supposée par Newman et Kenworthy qui est contestée : les modalités d’occupation du sol (et en particulier la densité) sont-elles une cause ou une conséquence des pratiques de mobilité ? Certains auteurs penchent pour la deuxième solution (Pickrell, 1999 ; Höjer, Mattsson, 2000) et montrent que finalement, il est plus prudent de considérer a priori que le lien unissant densité et déplacements relève d’une simple corrélation.