3.4 Mais qui est néanmoins confirmée dans un certain nombre de travaux…

Les critiques portées à l’encontre de Newman et Kenworthy vont cependant perdre de leur poids car des études ultérieures montrent des résultats similaires à l’échelle d’un même pays et également d’une même ville.

3.4.a A l’échelle interurbaine

Une étude d’ECOTEC (1993) sur les données nationales de mobilité britannique (National travel survey, 1985/1986) met en évidence une relation négative entre la densité résidentielle brute et la distance parcourue par personne et par semaine (déplacements de moins de 1,6 km exclus, avec un seul mode par déplacements) pour la voiture particulière. Ces résultats semblent confirmer les travaux de Newman et Kenworthy si l’on considère que la distance parcourue est un bon proxy de la consommation d’énergie dans les transports. Cette même étude, ainsi que d’autres avant elle (Banister, 1980, 1992), montre également une relation inverse entre la distance parcourue en voiture et la taille urbaine de la ville. Selon ECOTEC, ces résultats peuvent facilement s’expliquer : plus la taille de la ville est importante, plus elle comporte des zones de forte densité, avec un bon réseau de transports collectifs. Breheny (1994) reprend les données d’ECOTEC et confirme ses résultats en recalculant la consommation d’énergie dans les transports en fonction de la taille urbaine. P. Naess (1996) démontre également une corrélation négative entre la densité urbaine et les consommations d’énergie des véhicules sur un échantillon constitué de 22 villes nordiques (dont plusieurs capitales comme Stockholm, Reykjavik et Copenhague), 15 villes suédoises (pour les migrations domicile travail) et 97 villes de Norvège.

Ces travaux montrent que certaines critiques à l’encontre des résultats de Newman et Kenworthy ne sont plus pertinentes. En effet, les différences culturelles, le prix du carburant et les caractéristiques du parc automobile sont faibles à l’échelle d’un même pays. D’ailleurs, afin de donner davantage de poids à leur travail, Newman et Kenworthy (1999) vont reprendre leur échantillon (1980) en l’élargissant et en actualisant les données sur 1990. L’étude porte ainsi sur 46 villes dans le monde et prend en compte les critiques précédemment évoquées. Les auteurs ajustent systématiquement leurs données de mobilité par rapport au GRP (Gross regional product) pour tenir compte des effets de niveau de vie sur la mobilité. Leurs résultats montrent toujours une très forte corrélation entre la densité urbaine et la consommation d’énergie par personne.

Cette volonté de contrôler les variables socio-économiques se retrouve aussi dans les travaux de Kenworthy et Laube (1999). Les auteurs reprennent la base de Newman et Kenworthy actualisée en 1990. Afin d’analyser les corrélations entre la densité urbaine et les variables de mobilité, ils prennent systématiquement la précaution d’ajuster les données par rapport au Produit Intérieur Brut (PIB) régional de la ville étudiée, de manière à contrôler l’effet richesse sur la mobilité. Les auteurs montrent que le niveau de richesse joue très peu sur le nombre de véhicules-kilomètres par personne et la fréquentation des transports collectifs. Par contre la densité est fortement corrélée avec les deux variables citées précédemment (les coefficients de déterminations allant de 0,75 à 0,83, p. 713) même pour les villes ayant des revenus moyens similaires. Dans le même temps, les auteurs montrent que les coûts de la mobilité en voiture sont fortement et négativement corrélés à la densité. D’autre part, ils montrent également que la part du PIB régional consacré au financement des transports collectifs décroit avec la densité. La densité joue donc un rôle important pour maitriser les coûts de transports liés à la voiture tout en favorisant la rentabilité des transports collectifs.

D’autres travaux ont également tenu compte des critiques faites à l’encontre des travaux initiaux de Newman et Kenworthy (1989) par des approches différentes. Cameron et al. (2003, 2004) ont procédé à une approche originale pour montrer l’existence d’une relation inverse entre les véhicules-kilomètres parcourus et la densité. Les auteurs considèrent que même si les villes de l’échantillon de Kenworthy et Laube (1999) sont très différentes par leur niveau de vie, leur culture et leur époque, les villes possèdent un comportement systémique qui constitue l’essence même d’un système urbain. En particulier, « ce comportement systémique détermine les caractéristiques de la mobilité urbaine » (Kenworthy et Laube, 1999, p. 268). Cette hypothèse conduit les auteurs à définir un ensemble de paramètres indépendants du contexte local de la ville et caractérisant complètement le système urbain. Ils sont relatifs à la démographie, à la mobilité et à l’offre de transport. Une analyse dimensionnelle est ensuite menée. Elle suppose l’existence de relations homogènes entre les différents paramètres du système, indépendamment des éléments (les villes) de l’échantillon observé. L’utilisation de cette méthode d’analyse sur 46 villes de l’échantillon conduit à une relation non linéaire décroissante entre les véhicules-kilomètres produits et la densité. En reprenant cette relation, Cameron et al. (2004, p. 289) montrent que l’étalement urbain, vu comme une extension du périmètre urbanisé, augmente significativement les kilomètres parcourus en voiture particulière. Cette vision d’un comportement systémique de la ville, quel que soit son contexte local avait déjà été évoqué par Kenworthy et al. (1999, p. 642) : « Les données […] montrent des relations systématiques et fiables entre les divers paramètres du système urbain ». Les auteurs sont amenés à évoquer l’émergence d’une nouvelle science, celle des villes dont les lois sont régies par des liens universels.

Cette vision du fonctionnement des systèmes urbains n’est cependant pas partagée par tous. Certains auteurs (Stead, Marshall, 2001 ; De Coevering, Schwanen, 2006) soulignent à juste titre que l’échelle d’analyse de Newman et Kenworthy n’est pas la plus pertinente. En effet, les mécanismes mis en évidence à l’échelle d’une agglomération ne sont pas nécessairement causaux. Une manière d’établir des liens causaux est de porter les analyses à un niveau individuel, puis de considérer l’utilisation de tel ou tel mode de transport comme issue d’un processus de maximisation de l’utilité individuelle (Handy, 1996 ; Boarnet et Crane, 2001). De plus, si l’analyse reste cantonnée à l’échelle de la ville, les facteurs liés au contexte local ne sont pas pris en compte. De Coevering et Schwanen (2006) traitent à nouveau les données de Newman et Kenworthy en y ajoutant des informations socio-économiques relatives aux ménages et au développement historique de la ville. Au travers d’une régression linéaire multi-variée, les auteurs montrent que les distances parcourues et les parts modales sont influencées significativement par les variables de forme urbaine, mais également par les données relatives aux caractéristiques du ménage (à l’échelle agrégée) et les données portant sur l’histoire de l’urbanisation, confirmant ainsi ce que postule le modèle standard de la N.E.U.