3.4.c Travaux portant sur les liens entre la densité et les comportements de mobilité

Les travaux de Newman et Kenworthy ont été les premiers, au niveau mondial, à relier la forme urbaine (vue à travers la densité) et la consommation d’énergie dans les transports. De nombreux travaux ultérieurs ont cherché à examiner l’effet de la densité sur les caractéristiques de la mobilité (distances parcourues, temps de déplacement, parts modales…).

En utilisant les données de recensement national américain (Nationwide Survey, 22 000 ménages analysés), Dunphy et Fischer (1996) montrent que la densité de population tend à faire baisser le nombre de trajets en voiture particulière et les véhicules-kilomètre parcourus. En revanche, les trajets en transports collectifs et à pieds sont plus fréquents. Cependant, les auteurs ne contrôlent pas les paramètres socioéconomiques des ménages pouvant influer sur la mobilité. En utilisant le même jeu de données sur des échantillons de ménages différents, et en contrôlant certaines variables socio-économiques (les revenus notamment), Schimek (1996) et Strathman et Dueker (1996) montrent que la densité brute de population est négativement corrélée au nombre de trajets en voiture et au nombre de véhicules-kilomètres. En revanche, l’usage des transports collectifs augmente avec la densité. Les résultats de ces études prennent ainsi en compte les critiques adressées aux travaux de Newman et Kenworthy et montrent ainsi que la densité possède un effet qui lui est propre sur la mobilité. Holtzclaw (1994) obtient les mêmes résultats sur les distances parcourues avec la densité nette de population (échantillon de 29 communautés de San Francisco). L’auteur prend en particulier le soin de contrôler l’effet revenu. Toujours sur les mêmes données, Levinson et Kumar (1997) utilisent une technique d’analyse par classe de densité et parviennent à mettre en évidence une relation négative entre la densité résidentielle et les distances parcourues en automobile par personne sur un échantillon de 4 villes américaines (New York, Los Angeles, Indianapolis, Chicago).

Les travaux cités précédemment ne prenaient en compte que la densité de population à la zone de résidence. Les caractéristiques d’un déplacement peuvent aussi dépendre des caractéristiques des zones à la destination. Frank et Pivo (1994) montrent sur l’aire métropolitaine de Seattle que la densité d’emploi et de population dans la zone de destination du déplacement (motif travail et achat) influe positivement sur la part modale de transport collectif. Des résultats similaires sont trouvés sur les distances parcourues. Schimek (1996) corrobore ces résultats sur des données nationales.

La plupart de ces travaux trouvent des valeurs d’élasticités relativement importantes. Doubler la densité à la zone de résidence peut faire baisser les véhicules-kilomètres parcourues de 27 % (Holtzclaw, 1994) et le nombre de déplacements en voiture de 18 % (Dunphy et Fischer, 1996). Cependant, ces valeurs sont probablement surestimées car d’autres facteurs déterminant de la mobilité ne sont pas pris en compte. Leurs effets sont en réalité « englobés » dans le facteur densité et c’est pourquoi certains travaux empiriques trouvent des corrélations aussi élevées entre la densité et la mobilité. De plus, comme ces travaux sont menés à une échelle agrégée, le pouvoir explicatif de la densité est artificiellement augmenté, comparé aux résultats trouvés à l’échelle désagrégée. Ewing et Cervero (2001) effectuent une synthèse des différents travaux sur le sujet. Les auteurs déterminent une élasticité « moyenne » de la densité sur la mobilité uniquement pour les travaux contrôlant les variables socio-économiques et certains paramètres d’usage du sol. Les résultats montrent une valeur d’élasticité de -0,05 sur le nombre et les distances de déplacement. La densité ne possède pas en soit un effet important sur la mobilité. C’est plutôt l’ensemble des facteurs accompagnant la densité (mixité, offre de transport collectif, présence de zones piétonnes…) qui influe sur la mobilité (Cervero, Kockelman, 1997). Certains travaux ultérieurs effectués à l’échelle désagrégée et portant sur les déterminants du choix modal (Cervero, 2002 ; Rodriguez, Joo, 2004 ; Vega, Reynolds-Feighan, 2008) montrent certes un effet significatif et négatif de la densité sur l’utilisation de la voiture particulière, mais plus faible que d’autres variables socio-économiques et d’usage du sol.

Certains travaux en France se sont intéressés à l’influence de la densité sur la mobilité. Fouchier (1997a) montre aussi à partir de l’Enquête Globale Transports (E.G.T, 1991) qu’avec l’accroissement des densités humaines nettes, les distances de déplacement par jour et par individu diminuent (on obtient les mêmes résultats avec trois autres critères de densités). En désagrégeant en fonction du mode de transport, il montre que la distance moyenne quotidienne des personnes qui se déplacent en transports collectifs est inférieure à celle de la voiture en forte densité et supérieure en faible densité. En termes de temps de déplacement, les transports collectifs sont toujours plus longs mais l’écart se réduit quand les densités augmentent. V. Fouchier aborde ensuite la question de l’influence de la densité humaine nette en fixant certains paramètres socio-économiques du ménage. Avec l’E.G.T 91, en fixant les catégories socioprofessionnelles (qui donnent une bonne idée du niveau de revenu), il constate un accroissement de la distance quotidienne parcourue, ce qui montre bien que la densité à un rôle bien réelle sur les distances parcourues et donc sur la durabilité de la mobilité. La même tendance se retrouve avec l’âge des individus.

G. Pouyanne (2004), en utilisant une technique d’analyse par tranches de densité, montre pour six agglomérations françaises que les kilométrages par personne et les distances moyennes de déplacement décroissent avec la densité résidentielle brute et la distance au centre. Il retrouve le même résultat en modélisant les relations précédentes par des fonctions de splines cubiques, dont l’intérêt est de mettre en évidence la forme d’une relation. Les résultats concernant les parts modales de la voiture, des transports collectifs et de la marche à pieds sont quelques peu différents. L’analyse par tranche de densité donne des résultats classiques à savoir que la part modale de la voiture diminue lorsque la densité résidentielle brute augmente. Par contre, en modélisant ces relations à l’aide de fonctions de splines cubiques par rapport au logarithme naturel de la densité, l’auteur met en évidence un seuil de densité à partir duquel la part modale de la voiture décroit. De même, à partir d’une certaine distance au centre, la part modale de la voiture ne croît plus mais reste approximativement constante. « Il y aurait donc possibilité d’un transfert modal depuis l’automobile grâce à la densification mais seulement à partir d’un certain seuil de densité » (Pouyanne, 2004). Si la densité urbaine est trop faible, elle n’influe plus sur les parts modales des transports. Cette zone géographique à basse densité favorise l’apparition de la dépendance automobile. Plus tôt, Newman et Kenworthy (1989) évoquaient déjà un seuil de densité en dessous duquel s’opérait un important transfert modal des transports en commun vers la voiture (30-40 personnes par hectare).

Outre les effets sur la mobilité, la densité possède d’autres effets, notamment sur le système de transports collectif. Kenworthy et Laube (1999) montrent que plus la densité urbaine est élevée, plus le taux de recouvrement des dépenses de fonctionnement de transports collectifs est élevé. Emangard (1994) réalise une étude sur les réseaux de 24 agglomérations de province dont la population est comprise entre 40 000 et 200 000 habitants. L’auteur montre que le taux de remplissage des véhicules de transports collectifs (mesuré en nombre de voyageurs par véhicules-kilomètres) et l’efficacité commerciale du réseau (mesurée en nombre de voyages par habitant desservi et par an) sont croissants avec la densité résidentielle brute. L’auteur montre également que le nombre de kilomètre de réseau par kilomètre carré urbanisé augmente lorsque la densité résidentielle augmente. Le réseau de transport collectif est donc plus accessible dans les zones urbaines denses. Mais dans le même temps, Chausse et Bouf (1994) montrent que les charges unitaires augmentent plus que la taille de la ville et que généralement il n’y a pas d’économie d’échelle liées à la taille de la ville pour le système de transports collectifs. Or généralement, les transports collectifs des grandes agglomérations se situent dans les zones denses de celle-ci. Cela signifie que la densité peut accroître les charges d’exploitation d’un réseau de transports collectifs.

Pour conclure, les différents travaux mentionnés précédemment montrent que la densité possède un effet qui lui est propre et qui tend à rendre la mobilité plus durable. Néanmoins, l’effet vertueux de la densité urbaine s’explique également par les effets qui la caractérisent, c’est-à-dire une meilleure accessibilité et proximité aux emplois, aux commerces et aux services ainsi qu’une meilleure offre en transports collectifs. La densité est généralement un indicateur assez flou englobant beaucoup de facteurs explicatifs distincts.