(ii) Faisabilité : balance entre gains et coûts des politiques de compacification

On peut s’interroger sur la faisabilité des politiques de planification urbaine. Breheny (1997) se demande à juste titre si le mouvement d’étalement urbain, qui a tant dominé le mode de développement urbain ces dernières années peut être renversé. La densification urbaine implique la mise en place de politiques draconiennes, coûteuses et dont les bénéfices ne sont pas assurés. Breheny (1995) tente d’ailleurs de chiffrer quelles seraient les économies d’énergie générées par le modèle de la ville compacte. Pour cela, il utilise deux jeux de données : les données nationales de recensement de population de l’OPCS (Office of Population Censuses and Surveys) et les données nationales sur la consommation d’énergie par tête d’ECOTEC. Dans un premier temps, l’auteur met en cohérence la classification des agglomérations de ces deux jeux de données (Breheny, 1994). Ensuite, l’auteur examine pour chaque type de ville quelle est la consommation moyenne d’énergie par tête et par semaine. Il en déduit quelle est la consommation globale pour l’ensemble des agglomérations. L’auteur répète le même calcul, mais cette fois-ci en affectant, quel que soit le type de ville, à chaque habitant, le niveau de consommation le plus bas identifié précédemment (les centres-villes des plus grandes agglomérations anglaises). Au niveau national, l’auteur en déduit une baisse de l’ordre de 34 %, si tous les anglais avaient le même type de consommation que les plus économes d’entre eux, à savoir les résidents des centres villes des grandes agglomérations. Toutefois, l’auteur pense que ces économies sont insuffisantes face aux coûts qu’engendrerait la mise en place de politiques de compacification, en particulier les coûts du foncier. Dans un deuxième temps, l’auteur estime quelles auraient été les économies d’énergie s’il n’y avait pas eu les grands mouvements de population des zones urbanisées à fortes densité aux zones urbanisées à faible densité entre 1961 et 1991. L’auteur trouve cette fois une économie d’énergie dérisoire, de l’ordre de 2,5 %. On peut donc s’interroger sur la rentabilité d’une politique de compacification.

Le débat sur les avantages et les inconvénients de la ville compacte a pris des aspects plus généraux, au-delà de la seule question des transports. Le tableau III-4 suivant (non exhaustif) résume les principales questions soulevées par le modèle de la ville compacte :

Tableau III-4 : principaux avantages et inconvénients de la ville compacte
avantages de la ville compacte inconvénients de la ville compacte
protéger les territoires ruraux, des paysages et de la biodiversité (Fulford, 1996) augmenter la densité peut réduire la surface des espaces verts au sein de la ville (Breheny, 1992)
réduire les distances de déplacement, les émissions de gaz polluants et de gaz à effet de serre (ECOTEC, 1993) le surpeuplement dans certaines zones compactes peut inciter les gens à partir dans les zones suburbaines et favoriser l'étalement urbain (Fouchier, 1997a)
réduire la dépendance automobile, la consommation de carburant, et encourager l'usage des transports publics (Newman, Kenworthy, 1989) plus de congestion routière avec pour conséquences une augmentation des temps de parcours, une plus forte consommation de carburant et plus de pollution (Gordon, Richardson, 1997)
réaliser des économies d'échelle et améliorer l'offre de services sociaux, notamment les services de santé et les écoles (Johnson, 1996) une ville surpeuplée est bruyante, encombrée et dangereuse (criminalité) (Burton, 2000)
favoriser la mixité d'usage du sol, notamment la proximité entre les résidences, les emplois, les loisirs et les commerces (Calthorpe, 1993) mauvais effets de voisinage (N.I.M.B.Y, Burton et al. 1996)
les questions des économies d'aménagement en infrastructure et de consommation énergétiques en logement seraient favorables à la ville compacte mais le débat n'est pas tranché (Burgess, 2000, Burchell et Mukherji, 2003) moins de logements abordables au centre avec une exclusion des pauvres aux bords de la ville (Smyth, 1996)

Source : synthèse auteur

Les différents arguments en faveur ou non de la ville compacte rendent le débat un peu confus, si bien qu’il est difficile pour l’aménageur d’avoir une direction précise à suivre. Par exemple, les travaux d’E. Burton (2000) – dont le but est de savoir si une ville compacte améliore l’équité sociale - aboutissent à des conclusions qui ne permettent pas de trancher véritablement en faveur ou non de la ville compacte. Les résultats pointent des aspects négatifs comme des logements plus petits et moins abordables, la hausse de la criminalité ou encore, paradoxalement, des parts modales plus basses en vélo ou marche à pieds. A l’inverse, les effets vertueux concernent l’usage accru des transports collectifs, la réduction de la ségrégation sociale et un meilleur accès aux services.

Enfin, un autre obstacle de taille s’oppose à la mise en place d’une politique globale de densification urbaine : il s’agit des objectifs contradictoires pouvant opposer, par exemple, une commune et une communauté urbaine. Même si la densification urbaine est un objectif à l’échelle de la métropole, les communes périphériques chercheront toujours à attirer les ménages et les entreprises pour des raisons de fiscalité. Le manque de cohérence de la politique d’aménagement entre les différents échelons territoriaux rend difficile la réalisation d’une politique de compacification. C’est d’ailleurs la raison de l’échec relatif de la mise en place des deux politiques globales d’aménagement présentées dans le paragraphe qui suit.