(ii) Les Pays-Bas : la politique ABC

Les politiques de compacification aux Pays-Bas sont nées en 1985. En effet, les autorités se sont aperçues que la politique de développement des villes nouvelles mis en place à Amsterdam avait engendré la fuite de 150 000 habitants du centre-ville. Il en résultait une paupérisation du centre-ville, doublée de problèmes de congestion fréquents (car les emplois étaient restés localisés en majorité dans le centre-ville). Les principales étapes de la mise en place des politiques de compacification aux Pays-Bas sont les suivantes :

  • mise en place du schéma directeur d’Amsterdam (1985) ;
  • mise en place du « quatrième rapport » (VINEX, 1991) qui étend au territoire national la politique de la ville compacte.

Les mesures prônées par cette politique sont la densité et la mixité d’usage du sol, la rénovation des centres-villes. Des mesures de limitation de stationnement et de mise en place de péage urbain sont également encouragées.

Mais la principale originalité des Pays-Bas est la politique ABC qui consiste à « placer la bonne entreprise au bon endroit », ce que Vincent Fouchier (1997b) appellera la « politique de localisation des générateurs de déplacements ». Cette politique d’aménagement ne se contente pas de densifier les zones urbaines mais veille également à bien agencer les différentes localisations. Concrètement, elle consiste à attribuer un certain profil à l’entreprise en fonction de sa nature et de la quantité de mobilité qu’elle est susceptible de générer. Ainsi les activités de profils A correspondent à des activités tertiaires et culturelles (bureaux, musées, théâtres). Elles attirent potentiellement un grand nombre d’employés et de visiteurs et doivent donc être localisées au centre-ville pour bénéficier d’une bonne desserte en transports collectifs. Les activités de profils B correspondent à des centres de production, de recherche, de grande distribution et de santé. Ils doivent être davantage accessibles à la voiture mais aussi aux transports collectifs. Leur localisation s’éloigne un peu du centre. Les activités de profil C correspondent à des centres de logistique et de livraison qui ont besoin de beaucoup d’espace et d’une bonne accessibilité routière. Elles doivent être localisées en périphérie. Chaque profil possède en particulier son quota de places de stationnement (contraint pour les profils A et B et faiblement contraint pour le profil C).

Un bilan de la politique ABC réalisé en 1997 montre que beaucoup de zones ont fait l’objet d’un classement (environ 90 %). Cependant, beaucoup n’étaient pas classées suivant les trois normes A, B et C. De plus, si cette politique est relativement bien suivie, les principaux obstacles sont d’ordre économique : les communes redoutent une perte de leur attractivité face aux entreprises, ce qui constitue autant de recettes fiscales en moins. De plus, l’implantation de certains secteurs d’activités, notamment de la catégorie A, se heurte à la rareté du foncier dans les centres historiques des villes. Au final, environ 20 % des zones urbanisées disposaient du label « ABC » en 1997, ce qui est déjà appréciable. Cela montre qu’une politique de densification doit nécessairement s’accompagner d’une réflexion globale sur la localisation des différentes activités économiques.

Ces deux exemples montrent néanmoins combien il est difficile de mettre en place les politiques de compacification, qui vont la plupart du temps à l’encontre des préférences individuelles des acteurs locaux et des ménages. Pour ces derniers, V. Fouchier résumera bien la situation de l’antagonisme entre les préférences individuelles et collectives par l’illustration III-4 suivante :

Illustration III-4 : la contradiction entre les préférences individuelles et les exigences du développement durable
Illustration III-4 : la contradiction entre les préférences individuelles et les exigences du développement durable

Source : Fouchier, 1997b

La préférence individuelle de l’espace des ménages les poussent à rechercher des espaces de faibles densités et fortement résidentielles et de bonne accessibilité routière. Les principes du développement durable prônent au contraire un aménagement dense et mixte avec un fort développement des modes de transports alternatifs à la voiture (illustration III-4).

Beaucoup d’études empiriques ont mis en évidence l’existence d’un lien entre la densité d’urbanisation et la durabilité de la mobilité. Nous avons pu constater que la densité contribue à diminuer les distances moyennes parcourues en voiture, à augmenter les parts modales en faveur des transports collectifs et au final à diminuer la consommation d’énergie par personne. Les principales critiques méthodologiques de ces travaux portent sur la non prise en compte, dans la plupart des cas, d’autres facteurs explicatifs de la mobilité (autres variables d’usage du sol et à la forme urbaine, caractéristiques socio-économiques du ménage). Les différentes mises en place de politiques de compacification se heurtent à des problèmes liés à leur faisabilité et leur acceptabilité. En particulier, le manque de coopération entre les institutions nationales et locales empêche ces mesures de s’appliquer correctement.

L’étude du lien entre la densité et la mobilité a surtout montré que la densité est un indicateur très agrégé, c'est-à-dire qu’il englobe un grand nombre de facteurs explicatifs. Il convient de regarder plus finement ce qui se cache derrière cet indicateur pour expliquer en quoi il est susceptible de produire une mobilité plus durable.