5.2.c Travaux utilisant des modèles de choix modaux

Ces modèles permettent de déterminer la probabilité qu’a un individu de choisir un mode de transport plutôt qu’un autre. Cette probabilité dépend notamment de la valeur de l’utilité du mode de transport par rapport aux autres alternatives. Ces travaux se réalisent souvent à une échelle désagrégée car c’est la personne qui décide de la façon dont elle va se déplacer.

Ces travaux ont l’avantage de se baser sur le cadre conceptuel de la théorie de la demande du consommateur et d’établir clairement des liens de causalité : c’est la valeur de l’utilité d’un bien par rapport à un autre bien qui détermine le choix du consommateur. Cette méthode est souvent utilisée dans la phase de répartition modale du modèle classique à quatre étapes. On peut classer en trois catégories les variables explicatives susceptibles d’expliquer le choix modal d’un individu (Bonnel, 2004) :

L’utilité d’un mode de transport peut alors être déterminée d’une manière générale par une combinaison linéaire de ces variables explicatives. Le plus souvent, l’utilité d’un mode est estimée par son coût généralisé dont on peut trouver divers formulations (Bonnel, 2004). Si l’on adopte une approche déterministe, l’évaluation de la différence des utilités entre deux modes de transport (voiture et transports collectifs par exemple) permet de savoir quel sera le choix de l’individu. Dans une approche stochastique (formulation probabiliste de l’utilité), la distribution statistique de cette différence (c’est-à-dire des erreurs) permet de connaître la probabilité de choix d’un individu. L’expérience montre que l’approche stochastique concorde davantage avec la réalité que l’approche déterministe. Sous certaines hypothèses, et notamment sur la distribution des erreurs, on dispose de différents modèles permettant de connaître la probabilité d’un choix modal (modèles logit, probit, logit emboité… voir par exemple Bonnel, 2004).

Dans le cadre de l’étude des liens entre mobilité et usage du sol, le principe consiste à inclure dans la fonction d’utilité d’un mode de transport certaines variables relatives à la forme urbaine. Les effets de ces variables peuvent être de plusieurs natures : par exemple, la densité qui engendre de la congestion peut augmenter le temps de transport et donc faire baisser son utilité. Inversement, aménager une zone favorisant la mixité d’usage du sol permet d’améliorer l’accessibilité et donc l’utilité du mode de transport. Dans le cadre d’une politique d’aménagement, le but est d’orienter les usagers vers des modes alternatifs à la voiture, et donc par diverses mesures d’aménagement, d’augmenter le coût généralisé d’un déplacement en voiture par rapport aux autres modes.

Les travaux empiriques sur le sujet conduisent à des résultats variables. Crane (1996) a proposé un cadre conceptuel montrant que la demande en transport peut être reliée aux caractéristiques de la forme urbaine. Au départ, la demande de transport est une demande dérivée, c’est-à-dire qu’elle est considérée comme un moyen et non comme une fin en soi. Le transport est un moyen d’accéder à une certaine quantité de biens et de services. Il est aussi considéré comme un bien normal. L’auteur identifie le coût du transport au temps qu’il requiert et modélise le processus de décision qui conduit un individu à choisir un certain nombre de déplacements par mode. Il s’agit ici d’un classique problème de maximisation de l’utilité sous la contrainte du temps disponible. Crane examine ensuite l’impact de trois mesures d’aménagement sur la distance parcourue en voiture : la connectivité du réseau routier, les zones de circulation à basse vitesse et enfin les mesures de densification et de diversification d’usage du sol. Si la deuxième mesure diminue les distances parcourues, la première et la troisième ont des effets mitigés. Prenons par exemple le cas de la connectivité du réseau routier. Toutes choses égales par ailleurs, cette mesure diminue les distances parcourues en permettant des trajets plus directs entre l’origine et la destination du déplacement (domicile-achats par exemple). Cependant, ce gain d’accessibilité aux commerces peut aussi engendrer une demande accrue de déplacements en voiture car leur « prix » diminue. L’intérêt de cette étude théorique est de montrer que les variables caractérisant la forme urbaine de résidence sont des composantes à part entière de l’utilité d’un mode de transport et influent sur son coût. Reste à le vérifier expérimentalement.

R. Cervero (2002) examine les déterminants du choix modal pour différents motifs de déplacement sur le comté de Montgomery, à l’aide d’une base de données de plus de 5 000 déplacements. L’auteur prend en compte le taux de motorisation des ménages, ainsi que la possession d’un permis de conduire. En outre, certaines caractéristiques des déplacements sont prises en compte, notamment les temps de déplacement et le coût marginal du déplacement. R. Cervero montre que la densité humaine à la zone de destination et la présence de voies piétonnes aux zones de résidence et de destination influent négativement (au seuil de 5 %) sur l’usage de la voiture pour le motif travail. Pour l’ensemble des motifs, l’auteur montre que l’usage des transports collectifs augmente avec la densité et la mixité d’usage du sol à la zone de résidence. En outre, les variables de temps de déplacement et de coûts se révèlent significatives pour les transports collectifs : plus le temps et le coût d’un déplacement sont importants et moins l’usage de ce mode est fréquent. R. Cervero conclut que les variables de forme urbaine font partie intégrante des composantes de l’utilité d’un déplacement, et donc déterminent en partie le choix modal de l’individu, de la même manière que le temps de parcours ou le coût marginal.

Cervero et Duncan (2003) tentent de dégager les facteurs explicatifs permettant de comprendre pourquoi certains déplacements sont effectués à pieds et en vélo. Les auteurs prennent le soin de considérer un certain nombre de variables explicatives dont notamment celles relatives aux caractéristiques de l’individu, du déplacement et des conditions climatiques. Les auteurs montrent ainsi que seule la mixité d’usage du sol influe significativement (5 %) sur la probabilité de se déplacer à pieds. Aucun coefficient significatif de forme urbaine n’est en revanche mis en évidence pour l’emploi du vélo. D’autres travaux plus anciens (Cervero, 1996 ; Kockelman, 1997) ont mis en avant le rôle de la proximité des services et de l’accessibilité pour l’usage des modes alternatifs à la voiture particulière. Cependant, ces travaux ne prennent pas en compte les préférences des individus pour leur localisation et leur manière de se déplacer.

Parmi les travaux portant sur le choix modal et effectuant un contrôle statistique sur les variables relatives aux préférences des individus, plusieurs travaux montrent que les variables liées à l’environnement urbain jouent plus sur la mobilité que les préférences individuelles, ce qui plaide pour une absence d’auto-sélection.

Chatman (2005) cherche ainsi à vérifier sur l’aire métropolitaine de San Francisco (1 100 individus) si les préférences pour utiliser tel ou tel mode de transport ont plus d’influence que les variables de forme urbaine. L’auteur montre que les préférences des individus expliquent en partie l’usage du vélo ou de la marche à pieds mais que les variables caractérisant l’environnement urbain (ici l’offre de transport urbain et la connectivité du réseau routier) expliquent mieux le choix de chacun des modes.

Schwanen et Mokhtarian (2005) comparent l’influence de deux contextes urbains différents (zone centrale et suburbaine) sur le choix modal effectué par environ 1 300 actifs de l’aire urbaine de San Francisco. Les auteurs tiennent compte des préférences des individus qu’ils mesurent par le moyen d’indicateurs sur leur mode de vie et leurs habitudes de déplacement. Ils montrent que l’influence de l’environnement suburbain pèse plus sur la mobilité concernant l’usage de la voiture particulière.

Cao et al. (2006) parviennent à des résultats plus nuancés sur l’usage de voiture en constatant des effets comparables concernant les préférences et les caractéristiques du lieu de localisation des individus.

L’utilisation de la technique des variables instrumentales permet également de décorréler les préférences des individus des caractéristiques de leur zone de résidence. L’idée consiste à choisir uniquement des variables de forme urbaine totalement décorrélées des erreurs du modèle et de tester leurs influences sur la mobilité. Les travaux de cette catégorie (Boarnet et Sarmiento, 1998 ; Greenwald et Boarnet, 2001 ; Khattaz et Rodriguez, 2005 ; Vance et Hedel, 2007) montrent une influence significative des variables de forme urbaine sur la mobilité, démontrant à nouveau un effet propre de ce jeu de variables.

Il existe beaucoup d’autres travaux portant sur ces questions, notamment ceux utilisant des modèles à équations simultanées (Handy et al. 2005, 2006 ; Cervero, 2007 ; Kockelman, 2008 ; Chen et al. 2008 ; Zhou, Kockelman, 2008) et qui montrent généralement le même type de résultats.