Chapitre V. La dimension sociale du système de transports : des disparités, aux inégalités et à la vulnérabilité des ménages

Nous avons explicité à la fin du deuxième chapitre notre démarche d’analyse. Celle-ci consiste principalement à déterminer les effets de la forme urbaine sur la durabilité de la mobilité des ménages. L’originalité de notre démarche est de considérer non pas les comportements mais la durabilité de la mobilité quotidienne au travers de trois indicateurs : les coûts, les émissions annuelles de CO2 et le taux d’effort des ménages. Avant de traiter exclusivement de cette question et des leviers d’action potentiels en matière d’aménagement, il convient de dresser un constat sur la durabilité du système de transports des ménages au niveau social. Au cours de notre première partie, nous avons mis en évidence au travers des exemples de Lille et de Marseille les fortes inégalités de dépenses pouvant exister au niveau spatial. C’est cet aspect des inégalités que nous souhaitons approfondir à présent dans ce chapitre. Il correspond au volet social du développement durable assez peu abordé sur le plan de la mobilité quotidienne (Nicolas et al. 2001 ; Paulo, 2006 ; Caubel, 2006). Au cours de notre revue de la littérature sur les inégalités, nous avons relevé un grand nombre d’études portant sur les inégalités d’accès à la voiture, que l’on peut assimiler à des inégalités verticales. En revanche, certains travaux (Paulo, 2006 ; Caubel, 2006) ont montré que dés que le ménage avait accès à la voiture, le niveau de mobilité quotidienne était à peu prés constant quel que soit le revenu du ménage, et qu’il n’y avait plus d’inégalité d’accès aux aménités urbaines. Il existe cependant un troisième type d’inégalité que la simple analyse des pratiques de mobilité ne peut pas mettre en évidence : il s’agit des inégalités concernant l’effort financier effectué par les ménages pour maintenir un bon accès à l’ensemble des aménités urbaines. Une étude fine sur les dépenses des ménages pour leur mobilité urbaine, en fonction de certains facteurs que l’on peut supposer discriminants (localisation, type de ménage revenu…) permettrait de révéler ce nouveau type d’inégalités, notamment sur des périmètres plus élargis prenant en compte les ménages périurbains. Nous avons souligné à ce sujet le nombre restreint d’études - Orfeuil et Pollachini (1998) sur l’Ile-de-France et Nicolas et al. (2001) sur le périmètre restreint de l’E.M.D de Lyon de 1995 - portant sur les inégalités de dépenses de mobilité.

C’est donc cette question sur laquelle nous souhaitons contribuer dans ce chapitre. Nous réalisons un bilan de la durabilité de la mobilité urbaine des ménages par l’étude des disparités et des inégalités que nos trois indicateurs peuvent révéler. S’il est question de disparités en ce qui concerne les émissions de CO2, on peut bien parler d’inégalités concernant les dépenses de transports et le taux d’effort. De plus, l’étude des disparités et des inégalités, pour être la plus complète possible, doit être considérée à la fois sur le plan individuel et sur le plan du ménage. En effet, certains facteurs comme le statut socio-économique individuel sont difficilement appréhendables au niveau ménage, alors qu’à l’inverse, les aspects liés à la composition du ménage sont plus difficiles à mesurer à l’échelle individuelle.

Conformément à la démarche développée dans Nicolas et al. (2001), nous commençons par réaliser une étude préalable sur les disparités des budgets distances individuels observées au sein du périmètre élargi de l’enquête ménages de Lyon. Nous avons recours pour cela aux distributions de Lorenz. Le but de cette approche est d’isoler les facteurs socio-économiques et de localisation les plus explicatifs des disparités de mobilité urbaine. Ces analyses nous conduisent à proposer une typologie des individus traduisant le mieux possible les disparités observées. Cette typologie est utilisée pour effectuer une analyse de la mobilité sur le périmètre élargi de l’enquête ménages de Lyon (2006). Nous focalisons également notre attention sur les disparités des émissions individuelles de CO2 pour l’aspect environnemental car cet indicateur peut être facilement mesuré à l’échelle de l’individu. Cependant, l’approche individuelle présente l’inconvénient de ne pas prendre entièrement en compte certains facteurs essentiels liés à la composition du ménage.

C’est une des deux raisons pour laquelle nous passons ensuite à l’échelle plus agrégée du ménage pour aborder les questions de disparités de dépenses et d’inégalités de taux d’effort ; l’autre raison étant plus technique : ces deux indicateurs ne sont pas disponibles au niveau individuel. Nous établissons en particulier une typologie des ménages discriminante en matière de coûts afin d’établir la présence d’inégalités verticales en lien avec le taux d’effort. Après une analyse approfondie, nous tentons de définir la notion de vulnérabilité des ménages face aux coûts de transports, c’est-à-dire la « fragilité » qu’ont certains à faire face à des facteurs exogènes tels que l’augmentation des prix du pétrole.