1.3.b Les faibles et les forts mobiles, analyse comparative

Notre analyse porte ici sur les caractéristiques des individus s’étant déplacés et situés sur les parties basse et haute de la distribution de Lorenz (graphique V-1). Le tableau V-1 regroupe l’ensemble de ces caractéristiques pour les moins mobiles (les 20 et 40 premiers pourcents de la distribution cumulée) et les plus mobiles (les 20 et 10 derniers pourcents de la distribution cumulée).

Le groupe des moins mobiles est dominé par l’inactivité professionnelle. On y observe une plus forte proportion de retraités (25 %) et aussi de scolaires (31 %). A l’inverse, les plus mobiles sont en majorité composés d’actifs (plus de 70 %). On note également au sein de ce groupe une part non négligeable de retraités et même d’étudiants très mobiles.

La disposition d’un véhicule pour se déplacer et la localisation résidentielle caractérisent également bien la mobilité. Prés de 60 % des moins mobiles résident au centre ou en première couronne, tous deux bien desservis par les transports en commun. Les très mobiles sont davantage localisés loin du centre, en 3ème ou 4ème couronne (plus de 70 %), où la part modale de la voiture particulière domine, du fait d’une très faible offre des transports collectifs. Naturellement, l’accès à la voiture pour les moins mobiles est assez faible (27 % pour les 40 premiers pourcents) tandis qu’il est très élevé pour les plus mobiles (92 % pour le dernier décile). Notons tout de même que parmi ceux qui se déplacent le moins, environ la moitié est titulaire du permis de conduire, ce qui laisse envisager deux possibilités pour expliquer ce phénomène : soit l’individu a fait le choix ou n’a pas besoin d’utiliser la voiture et dans ce cas, on ne peut pas parler d’inégalité par rapport aux usagers de la voiture, soit le non usage de la voiture est une contrainte qui s’impose à l’individu (pour des raisons financières par exemple) et dans ce cas, on peut parler d’inégalité.

L’analyse comparative permet aussi de dégager un effet richesse. Les plus mobiles appartiennent à 40 % au dernier tercile de revenu tandis que les moins mobiles appartiennent majoritairement au premier tercile de revenu. Notons tout de même que ces effets sont moins discriminants que les précédents : en effet, de part et d’autre des extrêmes de la distribution, on note une forte proportion d’individus disposant de revenus moyens.

Au niveau de la profession exercée, il n’y a pas de différence flagrante entre les différents groupes. On note simplement une proportion plus importante d’employés parmi les moins mobiles et de professions libérales chez les plus mobiles. L’effet âge est aussi discriminant : les 30-60 ans composent très majoritairement les plus mobiles. En revanche, les jeunes et les personnes âgées sont beaucoup plus présents chez les moins mobiles.

Tableau V-1 : caractéristiques socio-économiques des extrêmes de la courbe de Lorenz des distances tous modes confondus
  les moins mobiles les plus mobiles
  40%/20% 20%/10%
lieu de résidence central périphérique
centre 40/38 13/11
1 ère couronne 17/18 9/7
2ème couronne 9/8 12/9
3ème couronne 18/19 34/36
4ème couronne 16/16 32/37
sexe plutôt des femmes plutôt des hommes
hommes 45/44 58/60
femmes 55/56 42/40
statut inactifs ou scolaires actifs voire étudiants
scolaires 31/37 6/4
retraités 25/26 13/12
femmes au foyer 5/5 3/2
chômeurs 4/4 3/3
actifs 30/23 70/72
étudiants 4/4 5/5
PCS des actifs PCS peu discriminante
agriculteurs 2/2 1/1
artisans commerçants chefs d'entreprises 4/5 5/5
professions libérales cadres 21/19 24/26
professions intermédiaires techniciens 26/27 29/28
employés 31/33 22/20
ouvriers 16/15 19/19
possession d'un permis de conduire pas de permis disposition d'un permis
oui 56/47 91/93
non 43/53 8/6
âge jeunes ou âgés adultes
moins de 30 ans 43/47 24/22
30-60 ans 32/26 64/67
60 ans et plus 25/27 12/11
revenus du ménage plutôt bas plutôt élevés
bas revenus 39/41 26/25
revenus moyens 33/33 36/36
hauts revenus 28/26 39/39
type de ménage enfants des familles et retraités seuls / en couple actifs des familles
inactif vivant seul 10/8 3/2
actif vivant seul 3/2 7/6
couple d’inactif
couple à un seul actif
couple à deux actifs
famille à un actif
famille à deux actifs
autres types de ménages
15/15
¾
4/4
15/17
31/31
19/20
9/9
6/5
11/12
10/10
36/37
19/19

Source : traitement auteur à partir de l’E.M.D de Lyon (2006), inspiré de P. Pochet dans Nicolas et al. (2001)
Lecture (en gras) : Parmi des 40% (20%) des individus les moins mobiles, 30% (23%) sont des actifs tandis que parmi les 20% (10%) les plus mobiles, 70% (72%) sont des actifs

Enfin, l’influence du type de ménage permet de différencier le type d’individu parmi les moins mobiles et les plus mobiles. Ainsi, chez les moins mobiles, on constate la présence des enfants au niveau des familles, et dans une moindre mesure la présence des retraités pour les inactifs. En revanche, parmi les plus mobiles, on retrouve les actifs des couples et des familles. La typologie des ménages permet notamment de distinguer ces derniers en montrant une plus grande proportion des actifs des familles chez les plus mobiles. En effet, cette catégorie d’individu doit cumuler les déplacements induits par la présence d’enfants (écoles, achats, loisirs…) mais aussi ceux liés au travail. La prise en compte du type de ménage dans lequel évolue l’individu permet donc de différencier les individus ayant un même statut d’activité, de la même manière que la localisation et l’accès à la voiture.

Le caractère peu discriminant de la catégorie socioprofessionnelle peut a priori être surprenant. Cela nous a conduit à établir, parmi les actifs, le budget distance quotidien en VPC (véhicule particulier conducteur) et les autres modes (graphique V-4) classés par revenu croissant :

Graphique V-4 : budget distance quotidien en voiture conducteur et autres modes selon la CSP (catégorie socioprofessionnelle) parmi les actifs, classé par revenus croissants
Graphique V-4 : budget distance quotidien en voiture conducteur et autres modes selon la CSP (catégorie socioprofessionnelle) parmi les actifs, classé par revenus croissants

Source : traitement auteur à partir de l’E.M.D de Lyon (2006)

L’analyse du graphique V-4 est intéressante car elle montre que ce ne sont pas les professions les plus qualifiées qui nécessitent les budgets distance les plus importants. Les techniciens (61,5 km), les artisans (61,2 km) et les ouvriers qualifiés (42 km) ont des budgets distance quotidiens particulièrement élevés, notamment au regard des professions libérales (45,8 km) et des cadres. Les contraintes de revenus pesant notamment sur les artisans et les ouvriers qualifiés peuvent expliquer leur part modale plus prononcée en faveur des transports alternatifs à la voiture. Néanmoins, ces deux derniers groupes d’individus possèdent un budget distance en voiture relativement important, ce qui laisse présager un taux d’effort conséquent en matière de transports. L’hypothèse que nous pouvons faire à ce stade est qu’il s’agit d’une mobilité dite « subie », sujet que nous approfondissons dans la suite de notre travail.