3.2 Taux d’effort des ménages pour leur mobilité urbaine

La courbe de Lorenz du revenu disponible (que nous n’illustrons pas ici) est très semblable à celle obtenue pour les distances, à savoir que 20 % des ménages monopolisent 40 % des richesses et vice versa. Par conséquent, il existe entre le premier et le dernier quintile un rapport de 3,5. Comme les dépenses de transports croissent moins rapidement que le revenu, il n’est pas étonnant de constater une baisse de la part des transports dans le revenu disponible, lorsque ce dernier augmente (tableau V-5). Pour le budget lié à la voiture particulière, sa part dans le revenu global du ménage passe de 13 % à 8 % tandis que celle des transports collectifs passe de 2,4 % à 0,4 %. En moyenne, les ménages les plus pauvres fournissent le plus gros effort financier pour se déplacer : 15,6 % de leurs revenus. Cette croissance du taux d’effort montre qu’il existe un « plancher bas » des dépenses de transport en dessous duquel il n’est pas possible de descendre : la baisse du taux de motorisation et du budget distance en voiture ne suffit pas à maintenir un taux d’effort constant. Par conséquent, les faibles revenus sont pénalisés, ce qui peut être source d’inégalité pour les ménages de même type d’une classe de revenu à une autre.

Tableau V-5 : taux d’efforts des ménages selon leur revenu par unité de consommation
  revenu moyen annuel (€) % de dépenses pour la voiture % de dépenses pour les transports collectifs
très bas revenus 14465 13,2% 2,4%
bas revenus 24297 12,3% 1,1%
moyens revenus 31204 12,0% 0,9%
hauts revenus 38306 10,7% 0,5%
très hauts revenus 54884 8,0% 0,4%
ensemble 32631 10,5% 0,8%

Source : traitement auteur à partir de l’E.M.D de Lyon (2006) et de l’E.B.F (2006)

La situation peut devenir particulièrement problématique pour les ménages pauvres (premier tercile de revenu) qui résident en périphérie. Les fortes contraintes de mobilité liées à une absence d’offre de transport alternative les obligent à un taux d’effort de plus de 20 %.

Cependant, lorsqu’on considère le coût de la mobilité rapporté au kilomètre parcouru, du fait d’une utilisation plus importante des transports collectifs, largement financés par les collectivités et les entreprises, les ménages du premier quintile supportent un coût faible (0,22 € / km) par rapport à ceux du dernier quintile (0,32 € / km).

Comme on l’a vu précédemment, l’éloignement au centre implique une forte augmentation des dépenses fixes et variables liées à la voiture particulière, qui n’est pas compensée par la baisse conjuguée des dépenses en transports collectifs et en stationnement (de nuit comme de jour). Si l’on ajoute à cela les contraintes liées aux faibles revenus, on peut aboutir à des situations très délicates. Le graphique V-7 illustre l’impact du croisement des effets de localisation et de niveau de vie sur les sommes dépensées et les taux d’effort des ménages consacrés aux déplacements urbains.

Graphique V-7 : croisement des effets de niveau de vie et de localisation sur les sommes dépensées (€ 2006) et les taux d’efforts (%) consentis par les ménages pour leurs déplacements urbains
Graphique V-7 : croisement des effets de niveau de vie et de localisation sur les sommes dépensées (€ 2006) et les taux d’efforts (%) consentis par les ménages pour leurs déplacements urbains

Source : traitement auteur à partir de l’E.M.D de Lyon (2006) et de l’E.B.F (2006)

L’examen des montants dépensés montre que le revenu est une variable déterminante quel que soit le lieu de résidence du ménage. Ainsi, les dépenses de transport doublent entre le 1er et le dernier quintile (elles sont même multipliées par 2,5 pour les ménages centraux). Pour une même catégorie de revenu, l’éloignement multiplie d’1,5 à 2 les dépenses de transport. En ce qui concerne les taux d’effort, le fait de passer du dernier au premier quintile, quelle que soit la localisation, multiplie par deux le taux d’effort du ménage. Par exemple, en couronne périurbaine, il passe de 10,9 % à 19,3 %, ce qui pose des difficultés importantes pour les ménages les plus pauvres. L’effet de la localisation semble également pénaliser les bas revenus : par exemple, pour le premier quintile, l’éloignement au centre fait passer le taux d’effort de 12,7 % à 19,3 %. A l’inverse, on remarque que les ménages les plus privilégiés ne consacrent pas plus de 7 % de leur revenu disponible dans les transports.

Notons que les dépenses en transports collectifs restent toujours assez faibles en valeurs absolues ou en proportion. Elles peuvent atteindre jusqu’à 3,2 % du revenu disponible des ménages les plus modestes résidant au centre-ville et ne représentent pas au final une forte contrainte sur le budget des ménages.

La situation difficile des ménages les plus vulnérables nous pousse à regarder de plus prés leurs dépenses en fonction de la localisation et du taux de motorisation. Le tableau V-6 présente le cas des ménages les plus modestes.

Tableau V-6 : revenu moyen et part moyenne du revenu affecté à la mobilité urbaine des ménages à très bas revenus (1er quintile), selon la localisation et le taux de motorisation
  pas de voiture 1 voiture 2 voitures et plus
localisation revenu (€) dépense (%) revenu (€) dépense (%) revenu (€) dépense (%)
centre 10410 4,5% 14020 18,3%* 20328 28,2%*
couronne 1 11610 4,5% 17382 14,1% 21424 22,7%
couronne 2 11044 2,1% 14913 18,9% 20278 24,4%
couronne périurbaine 10990 2,4% 14843 18,3% 21229 26,0%
ensemble 10798 3,9% 15123 17,5% 20762 25,2%

Les chiffres marqués d’une étoile (*) ne sont pas représentatifs

Source : traitement auteur à partir de l’E.M.D de Lyon (2006) et de l’E.B.F (2006)

Sans grande surprise, les ménages modestes bimotorisés sont les plus vulnérables et consacrent en moyenne un quart de leur revenu disponible pour se déplacer. Ils disposent, certes, des revenus les plus élevés de leur catégorie, mais cela ne suffit pas à enrayer la hausse des dépenses de transports liée à la possession d’une voiture supplémentaire. Ces ménages sont 68 % à avoir un chef de famille actif, avec un conjoint qui travaille au plus dans un cas sur deux (le nombre moyen d’actif est de 1,4). Il s’agit de familles avec un ou deux enfants. Les ménages mono-motorisés comptent 39 % de chefs de ménage actifs, 29 % de retraités et 14 % de chômeurs. En outre, le nombre d’enfants est en moyenne plus faible (dans la plupart des cas, il s’agit de familles monoparentales). Ces plus faibles contraintes de mobilités nécessitent un nombre limité de déplacements avec un seul véhicule. Ces ménages restent néanmoins fortement vulnérables. Enfin, ceux qui ne disposent pas de voiture ont une part de budget consacrée faible et sont majoritairement retraités (69 %).

Parmi les ménages motorisés, on constate donc des disparités de taux d’effort selon la motorisation. Les différences de taux de motorisation sont liées à des structures de ménage différentes.

Tableau V-7 : revenu moyen et part moyenne du revenu affecté à la mobilité urbaine des ménages à très hauts revenus (dernier quintile), selon la localisation et le taux de motorisation
  pas de voiture 1 voiture 2 voitures et plus
localisation revenu (€) dépense (%) revenu (€) dépense (%) revenu (€) dépense (%)
centre 37680 1% 48147 6,2% 67005 7,9%
couronne 1 44524* 0,5%* 42496 6,4% 59630 9,1%
couronne 2 X X 43474 7,2% 63451 10,4%
couronne périurbaine X X 41731 8,5% 58090 12,1%
ensemble 39422 0,9% 46043 6,6% 63057 9,6%

Les chiffres marqués d’une étoile (*) ne sont pas représentatifs, X désignant des effectifs inférieurs à 10 ménages
Source : traitement auteur à partir de l’E.M.D de Lyon (2006) et de l’E.B.F (2006)

Le tableau V-7 montre quels sont les taux d’effort des ménages à très hauts revenus lorsque les facteurs de localisation et de motorisation sont contrôlés. Si l’analyse des ménages non motorisés de cette catégorie n’a pas beaucoup d’intérêt (les effectifs sont assez faibles), celle des ménages motorisés mérite davantage d’attention. On remarque que les ménages mono-motorisés du dernier quintile de revenu ont un taux d’effort moyen trois fois plus faible que ceux du premier quintile. Nous ne sommes pas loin d’un rapport de 1 à 3 pour les ménages multi-motorisés.

Les tableaux V-6 et V-7 démontrent que parmi les ménages motorisés, même si on ne peut formellement montrer la présence d’inégalités de mobilité, des disparités fortes existent en termes d’efforts et il y a là source d’inégalités. Ces dernières dépendent essentiellement de la localisation et du revenu par unité de consommation. Les différences constatées au niveau du taux de motorisation reflètent des compositions de ménages différentes.

Pour appréhender l’existence d’inégalités, il est nécessaire de raisonner à structure de ménage constante, et, comme le suggère l’analyse sur les individus, d’établir une typologie des ménages fondée sur le statut d’activité et le nombre de personnes. C’est ce que nous nous proposons de réaliser par la suite, sachant que cette typologie est également reprise pour le dernier chapitre.