4.1 Définition du seuil de vulnérabilité

La construction de l’indicateur se base sur une analyse comparative de 7 enquêtes ménages déplacements (Lyon, 1995, 2006 ; Bordeaux, 1998, Marseille 1997, Lille, 1998, Grenoble, 2002, Paris, 2002). L’objectif est de pouvoir quantifier l’état de vulnérabilité et de décrire les ménages potentiellement touchés. Pour pouvoir répondre à cet objectif, nous partons de la mesure du taux d’effort pour chaque ménage des 7 enquêtes. Cet indicateur a l’avantage de lier le niveau de vie des ménages enquêtés et leurs pratiques de mobilité. Des travaux antérieurs sur la mobilité urbaine ont déjà utilisé de tels indicateurs couplés aux dépenses de logement pour montrer notamment comment les ménages qui s’éloignent du centre de Paris pour accéder à la propriété supportent des coûts de mobilité croissants (Orfeuil et Pollachini, 1998). Nous utilisons ici cet indicateur de contrainte budgétaire pour définir notre seuil de vulnérabilité.

L’analyse globale des dépenses de mobilité urbaine sur les sept villes considérées montre qu’en moyenne, les ménages consacrent entre 9 et 10 % de leur revenu pour se déplacer dans leur agglomération (la médiane est sensiblement égale à la moyenne pour les échantillons étudiés). L’INSEE considère qu’un ménage a atteint le seuil de pauvreté lorsque ses revenus sont inférieurs ou égaux à 50 % du revenu médian de la population française (Eurostat privilégie le seuil de 60 %). Par analogie, on pourrait fixer un seuil égal au double de ce que les ménages dépensent en moyenne dans leur mobilité quotidienne par rapport à leurs revenus. Le seuil ainsi fixé correspondrait à une dépense de l’ordre de 18 à 20 % du revenu. Ce seuil ne constitue pas une référence à adopter absolument, notamment parce que nous n’examinons pas les dépenses de logement des ménages. Cependant, on sait que le taux d’effort lié au logement a tendance à être constant quel que soit la localisation du ménage (30 %) ; la variable d’ajustement se situant davantage sur la surface du logement. Or, si l’on fixe le seuil du taux d’effort lié aux transports urbains à 18-20 %, on arrive à un total de 50 % du revenu consacré aux dépenses de transports et de logements, sachant que nous ne prenons pas en compte le coût de la mobilité en milieu extra-urbain. En ce sens, le seuil de 50 % peut constituer une limite à ne pas dépasser.

Afin de conforter notre seuil de vulnérabilité, on peut établir un graphique mettant en abscisse la population cumulée classée par ordre croissant de revenu consacré à la mobilité (pourcentage des ménages) et en ordonnée la part de dépenses transports qu’ils consacrent dans leur budget. Nous obtenons ainsi six courbes qui correspondent aux six villes composant notre échantillon (graphique V-14).

Graphique V-14 : dépenses cumulées des ménages rapportées à leurs revenus
Graphique V-14 : dépenses cumulées des ménages rapportées à leurs revenus

Source : Vanco, Verry (2009) à partir des E.M.D de Grenoble (2002), Paris (2001), Bordeaux (1998), Lyon (1995), Lille (1998) et Marseille (1997)

Le graphique V-15 montre premièrement les limites de notre méthodologie : sur les tous derniers centiles de notre échantillon (98 % - 100 %) on observe des valeurs anormalement élevées, au delà de 60 % de dépenses de transport par rapport au revenu. Pour établir les dépenses fixes en voiture particulière (achats, assurance et cartes grises notamment), nous avons affecté des dépenses moyennes aux ménages selon leur taux de motorisation et leur revenu par unité de consommation. Ainsi, pour les ménages motorisés ayant les plus bas revenus, ces dépenses sont forcément un peu surévaluées, ce qui conduit à une estimation erronée de leur taux d’effort pour leur mobilité urbaine. Cette affectation de valeurs moyennes ne traduit pas la réalité des comportements des ménages en queue de distribution qui s’adaptent aux contraintes budgétaires (davantage recours à l’occasion, réparations par leurs propres moyens…). Ce biais ne concerne cependant qu’une partie limitée de notre échantillon.

On observe à partir du 8ème décile de revenus une inflexion très nette du taux d’effort. Les dépenses de transport augmentent très rapidement à partir de ce seuil. Il pourrait donc constituer une limite au-delà de laquelle les ménages sont vulnérables aux coûts de transports. Le tableau suivant (tableau V-9) nous indique quel est le taux d’effort des ménages de chaque ville située sur le 8ème décile de la population cumulée.

Tableau V-9 : seuils de vulnérabilité dans les différentes villes
Tableau V-9 : seuils de vulnérabilité dans les différentes villes

Source : Vanco, Verry, 2009

Les valeurs observées montrent que les seuils s’étalent sur un intervalle de 15 à 20 % de la dépense de transport rapportée au revenu. Si l’on prend la valeur moyenne de l’ensemble de ces seuils pondérée par la population hors Paris, on obtient 17,5 % que l’on peut arrondir à 18 %. Nous considérons donc qu’un ménage est potentiellement vulnérable aux hausses des dépenses de sa mobilité urbaine s’il consacre plus de 18 % de son revenu disponible à se déplacer. Nous avons volontairement utilisé l’adjectif « potentiel » pour signifier que globalement, les ménages des deux derniers terciles (revenu par unité de consommation) ne seront pas mis en difficulté car leurs revenus nets des coûts de transports restent suffisants pour les autres postes de dépenses, notamment le logement et l’alimentation. En revanche, les ménages du premier tercile sont beaucoup plus fragiles face à une augmentation des coûts de transport car leur taux d’effort peut croître beaucoup plus rapidement que les autres ménages.