3.3 Le problème de la causalité

Pour établir nos modèles explicatifs, nous avons supposé (illustration III-5) que la mobilité, et ses attributs en matière de durabilité, étaient une conséquence des caractéristiques socio-économiques du ménage et de sa forme urbaine de résidence. Cependant, si l’on se place dans le cadre de l’analyse systémique de la ville décrit par Bonnafous et Puel (1983), on constate que des changements amorcés au sein du système de transports peuvent avoir des conséquences sur les systèmes de localisation et le système des relations sociales. Dans le cadre de notre problématique, la volonté de se déplacer en transports moins polluants peut conduire le ménage à se localiser plus au centre de l’agglomération. Cela peut être au sein de l’agglomération lyonnaise, où l’offre en transports collectifs diminue fortement avec l’éloignement au centre. Dans ce cas précis, la causalité est inversée : c’est la manière de se déplacer qui va conduire le ménage à se localiser différemment. De même, le fait d’être motorisé peut aussi avoir une influence sur le statut social de l’individu. On sait que le cycle de vie d’un individu et la manière dont il se déplace sont souvent très liés. La possession d’une voiture – surtout dans le cas d’une première acquisition - est alors généralement vue comme un passage dans le monde adulte et professionnel. Ce mode procure une certaine liberté et peut même changer la situation professionnelle d’un individu, en facilitant son accès aux emplois et aux services (Wenglenski, 2003 ; Caubel, 2006). Dans ce cas précis, c’est également le mode de déplacement qui influence les caractéristiques socio-économiques de l’individu. Formellement, nous devrions mettre des doubles flèches entre tous les blocs de l’illustration III-5, comme Pouyanne (2004) ou Appert (2005) l’ont suggéré. Cependant, la revue des travaux portant sur le phénomène d’auto-sélection au chapitre III montre que généralement, les variables de forme urbaine expliquent mieux les comportements de mobilité que les préférences des ménages (Cao et al. 2008). Nous faisons donc l’hypothèse que le sens du lien qui voit la mobilité comme une conséquence prévaut sur l’autre, qui voit la mobilité comme une cause. Cette hypothèse est d’autant plus renforcée que nous travaillons sur des données transversales, c'est-à-dire à système de localisation donné.

Les phénomènes de multi-colinéarité illustrés précédemment (tableau VI-4) peuvent également poser des problèmes d’interprétation sur la nature des liens de causalité. En effet, on peut par exemple affirmer que plus le nombre de personnes d’un ménage augmente et plus le ménage sera motorisé (avec des dépenses plus importantes). Cependant cette relation causale n’est pas forcément directe mais peut aussi faire intervenir des variables cachées. Dans ce cas précis, on peut raisonner de la manière suivante : comme le nombre de personnes dans le ménage augmente, alors ce dernier réside dans une zone moins dense, ce qui l’oblige à se motoriser davantage du fait d’une absence d’offre alternative de transports. La densité joue ici le rôle de variable cachée.

De la même manière, on peut affirmer qu’une personne résidant au centre sera amenée à moins se motoriser du fait de la proximité des services, des emplois et de la présence d’une offre de transports collectifs. Mais on peut aussi raisonner en disant que ce sont surtout les personnes pauvres qui résident au centre-ville (comme c’est le cas dans la plupart des agglomérations américaines ; Brueckner et al. 1999) et comme elles n’ont pas les moyens de se motoriser, elles se déplacent à pieds ou en transports en commun. Ici, le revenu joue le rôle de variable cachée. Ces deux exemples montrent que plusieurs variables explicatives et liées entre elles peuvent être la cause d’un même phénomène.

On le voit, le principal défi est de distinguer clairement dans nos modèles la part qui relève des caractéristiques socio-économiques et celle qui relève de la forme urbaine à la zone de résidence, pour expliquer les coûts de la mobilité urbaine des ménages. Dans le choix de notre modèle économétrique, il faudra donc tenir compte des contraintes suivantes :