6.2 Résultats pour les modèles généraux

Nous avons réalisé des régressions linéaires multiples sur l’ensemble de notre échantillon (soit les 120 secteurs de tirages) pour les trois variables à expliquer. Les résultats de ces régressions trouvées à l’issue du processus de sélection pas-à-pas, avec les tests statistiques associés correspondent aux tableaux VI-24, VI-25 et VI-26.

Tableau VI-24 : modèle explicatif du taux d'effort sur l’ensemble des secteurs de tirages
Variables retenues Estimation t de Student P-value VIF
constante 0.134 16.94 <.0001 0
revenu par UC -0.00000199 -6.54 <.0001 1.063
densité humaine -4.09025E-7 -3.44 0.0008 1.742
appariement spatial 0.00000373 11.30 <.0001 1.997
présence de services aux entreprises -0.000327 -2.16 0.0328 1.600
présence d'écoles, de services publics et de santé -0.000233 -2.50 0.0138 1.329
Test de Durbin Watson Test de White R² ajusté
2.04 Valeur Khi-2 P-value 0.806
20.20 0.508

Source : traitement auteur avec le logiciel SAS©sur les données de l’E.M.D de Lyon (2006), périmètre géographique : aire urbaine de Lyon (1999)

Tableau VI-25 : modèle explicatif des dépenses annuelles de transports sur l’ensemble des secteurs de tirages
Variables retenues Estimation t de Student P-value VIF
constante 583 1.57 0.1199 0
proportion de cadre 8.82 1.72 0.0873 2.926
revenu par UC 0.055 3.45 0.0008 2.465
nombre d'actifs 1356.2 4.08 <.0001 3.462
appariement spatial 0.123 6.99 <.0001 4.679
accessibilité TC -0.000537 -5.30 <.0001 2.212
présence de services aux entreprises -12.26 -2.24 0.0271 1.713
présence d'écoles, de services publics et de santé -9.78 -2.89 0.0047 1.441
Test de Durbin Watson Test de White R² ajusté
1.75 Valeur Khi-2 P-value 0.886
29.49 0.770

Source : traitement auteur avec le logiciel SAS©sur les données de l’E.M.D de Lyon (2006), périmètre géographique : aire urbaine de Lyon (1999)

Tableau VI-26 : modèle explicatif des émissions annuelles de CO2 sur l’ensemble des secteurs de tirages
Variables retenues Estimation t de Student P-value VIF
constante 147.7 0.74 0.4581 0
proportion de cadres 8.83 3.11 0.0024 1.180
densité humaine -0.0143 -3.22 0.0017 3.300
nombre d'actifs 935.9 3.64 0.0004 3.403
appariement spatial 0.0762 5.74 <.0001 4.351
accessibilité TC -0.000305 -2.88 0.0047 3.963
Test de Durbin Watson Test de White R² ajusté
1.61 Valeur Khi-2 P-value 0.850
15.92 0.774

Source : traitement auteur avec le logiciel SAS©sur les données de l’E.M.D de Lyon (2006), périmètre géographique : aire urbaine de Lyon (1999)

Les résultats statistiques montrent que les trois modèles expliquent très bien nos trois indicateurs de mobilité durable. En effet, les coefficients de détermination présentent tous des valeurs assez élevées. En outre, les résultats montrent systématiquement que l’hypothèse d’hétéroscédasticité peut être rejetée au seuil de 5 %. Pour le test de Durbin-Watson, des valeurs proches de 2 indiquent une absence d’autocorrélation des erreurs. C’est bien le cas pour les deux premiers modèles. En revanche, les valeurs observées pour les émissions annuelles de CO2 s’en éloignent un peu (1,61). La principale conséquence de la présence d’autocorrélation est une estimation erronée de la variance des élasticités présentes dans le modèle. Cependant, cela n’a pas de conséquence sur la valeur des élasticités et donc sur les simulations que nous effectuons. Enfin, les résultats concernant l’inflation de variance sont tous favorables (absence de fortes corrélations entre variables explicatives), ce qui n’est pas étonnant vu le processus de sélection de variables que nous avons adopté.

Concernant les résultats généraux à un niveau agrégé, toutes les variables sélectionnées ont le signe attendu et toutes sont significatives au seuil de 5 %, à l’exception de la proportion de chefs de ménage cadres pour le modèle de dépenses annuelles de transport.

Concernant les variables caractéristiques du ménage, on note sans surprise la présence du nombre d’actifs dans les modèles de dépenses et d’émissions, avec un fort coefficient d’élasticité. Par exemple, une hausse de 10 % du nombre d’actifs dans une zone augmente les dépenses annuelles moyennes en mobilité urbaine de 136 €/an et augmentent les émissions de CO2 du ménage de 94 kg/an, toutes choses égales par ailleurs. On sait que le nombre d’actifs a servi à construire notre typologie des ménages. Cela confirme donc la forte influence des caractéristiques du ménage sur les émissions et les dépenses de mobilité quotidienne. En revanche, le nombre d’actifs n’influence pas significativement le taux d’effort des ménages. Précédemment, on avait déjà constaté que le taux d’effort était peu sensible aux caractéristiques du ménage. Le revenu annuel par unité de consommation n’est significatif que pour le taux d’effort des ménages et les dépenses de transport. Ainsi, une croissance moyenne du revenu de 2 000€ par unité de consommation (+10 %) augmente les dépenses en moyenne de 110 € /an (+3,2 %) et le taux d’effort de 0,4 % en absolu soit une augmentation de 3,6 % en relatif. On note que la proportion moyenne de cadres dans un secteur de tirage joue également sur les modèles de dépenses et d’émissions. La présence de cadres traduit une mobilité plus contraignante entraînant des augmentations de coûts.

Concernant les variables caractéristiques de la zone de résidence du ménage, on constate que la densité est significative pour le taux d’effort des ménages et les émissions de CO2. Si les coefficients sont significatifs (marges d’erreurs faibles), ils sont toutefois faibles en valeur absolue. Ainsi, lorsqu’en moyenne, sur l’ensemble des zones, on augmente le nombre d’emplois et de résidents de 1 000 (emplois + résidents)/km², alors le taux d’effort moyen des ménages dans une zone diminue de 0,04 % en absolu (soit diminution de 0,36 % en relatif). De même, les émissions annuelles de CO2 ne diminuent que de 14 kg par ménage (- 0,9%). La densité urbaine n’est donc pas un levier d’action pertinent en soit pour améliorer la durabilité de la mobilité des ménages.

La variable d’appariement spatial est significative pour les trois modèles, confirmant ainsi l’effet déterminant de cette variable sur nos trois indicateurs de mobilité durable. Lorsque la distance cumulée entre le domicile et les lieux de travail et d’emplois augmente de 1,1 km (soit + 10 % en moyenne) alors le taux d’effort moyen du ménage dans une zone augmente de 0,4 % (soit + 3,6 % en relatif), la dépense annuelle moyenne augmente de 135 €/an (+ 3,9 %) et les émissions annuelles de CO2 de 83 kg/an (+ 5,4 %). Ce résultat est important pour l’aménageur : une meilleure mise en cohérence de la localisation des résidences et des emplois a des impacts simultanés sur les trois dimensions de la mobilité durable. C’est l’un des principaux enjeux qu’ont à relever les politiques urbaines d’aménagement pour maîtriser la croissance des coûts de la mobilité urbaine.

Les variables de diversité et de proximité ressortent assez bien dans les modèles et en particulier la variable de proximité aux services publics et aux établissements d’éducation, de santé et d’action sociale. Cette dernière est significative pour le taux d’effort et les dépenses : si l’on augmente en moyenne dans une zone le nombre d’emplois de ce type de services de 10 %, on diminue le taux d’effort moyen de 0,23 % en absolu (soit -2,3 % en relatif) et les dépenses annuelles moyennes des ménages de 98 € (-2,8 %). Ce résultat montre que la présence de services liés à l’éducation, à l’action sociale, à la santé, à l’administration publique ou encore aux activités associatives dans la zone de résidence du ménage est bénéfique. En effet, beaucoup de ménages ont des motifs de déplacement en rapport avec ces services, d’où l’intérêt de les avoir à proximité de son lieu de résidence. On remarque également la présence de la variable de proximité aux services aux entreprises pour les dépenses et le taux d’effort avec des coefficients d’élasticité un peu plus importants (respectivement -3 % pour le taux d’effort et -3,3 % pour les dépenses). Ce résultat montre que les avantages liés à la centralité ont des effets bénéfiques sur les coûts de la mobilité des ménages. Le développement de pôles secondaires diversifiés et indépendants du centre est donc tout à fait opportun pour réguler la croissance de la mobilité en périphérie des grandes agglomérations.

Enfin, l’accessibilité des transports collectifs urbains aux emplois et à la population est significative pour les dépenses et les émissions. Cependant, son effet est faible. Supposons que l’on augmente l’accessibilité aux emplois et à la population d’une zone de 100 000 (habitants + emplois) en 30 minutes, ce qui peut correspondre en moyenne à une augmentation de la vitesse commerciale de 30 % étant donné que l’accessibilité moyenne de l’ensemble des secteurs de tirage de l’enquête est de 330 000 (hab. + empl. )/ km². Alors les dépenses annuelles moyennes par ménage au sein de cette zone diminuent de 50 €/an (-1,5 %) et les émissions annuelles de CO2 de 31 kg/an (-2%). Ce résultat est assez décevant : toutes choses égales par ailleurs, l’amélioration de l’offre en transports collectifs n’améliore que très faiblement la durabilité de la mobilité des ménages. Même si les transports en commun sont une alternative permettant de réaliser d’importantes économies dans leurs déplacements, les ménages continuent d’utiliser en majorité la voiture particulière qui est un mode plus bien plus couteux. Il y a plusieurs raisons à cela :

Evidemment, si nous avions enlevé en amont, dans notre modèle de coûts, le nombre d’actifs, l’appariement spatial et la densité, la variable d’accessibilité TC serait beaucoup plus influente (l’élasticité serait cinq à dix fois plus élevée) et le modèle toujours très bon. Mais il y aurait une erreur d’interprétation des résultats qui consisterait à dire que l’accessibilité TC génère des économies de coûts substantielles. Or ce sont bien les variables de taux d’activité (nombre d’actifs), de proximité à l’emploi (appariement spatial) et de proximité aux services qui exercent une influence réelle sur les coûts. Une politique d’urbanisme permettant un bon agencement des localisations doit donc précéder une politique de développement de l’offre de transports collectifs. Cela souligne l’intérêt de prendre en compte en amont, dans un modèle, les variables socio-économiques du ménage et les variables reflétant l’ensemble des trois dimensions de la forme urbaine, dans le cadre d’une sélection pas-à-pas, pour éviter ce genre d’erreur.

Quelles peuvent être les économies globales espérées en termes de dépenses et d’émissions lorsque la forme urbaine est modifiée ?

Afin d’en avoir une idée plus précise, nous avons calculé des variations de coûts de transports et des émissions de CO2 à l’échelle de l’aire urbaine de Lyon (1999). Nous rappelons qu’il s’agit d’un exercice théorique permettant d’obtenir des ordres de grandeur liés à l’impact de telle ou telle politique d’aménagement urbain. Sur l’ensemble de l’année, d’après les calculs que nous avons effectués dans notre volet méthodologique, les ménages de l’aire urbaine de Lyon ont consacré 2,41 milliards d’euros à se déplacer pour leur mobilité quotidienne et de week-end au sein de l’aire urbaine de Lyon (soit 3 461 € par ménage). En outre, ils ont émis 1,06 millions de tonnes de CO2 pour se déplacer au sein de l’aire urbaine (soit 1,55 tonnes de CO2 par ménages). Nous envisageons les mesures suivantes :

Dans ce cas, les économies générées pour les ménages seraient de :

Soit un total d’environ 233 M€ d’économies réalisées chaque année. Cette somme représente 10 % de la totalité des dépenses des ménages pour leur mobilité urbaine. Ce résultat montre en outre que ce qui importe le plus, c’est la mise en cohérence des localisations du domicile et du lieu d’emploi du ménage. Les grandes agglomérations où les emplois sont trop concentrés par rapport à la population risquent fort d’avoir des dépenses de mobilité importantes. Bien sûr, faute de chiffres fiables, nous ne pouvons pas mesurer les coûts que ces mesures d’aménagement représentent, ni même préciser les modalités de leur mise en œuvre. Néanmoins, sur le long terme, les économies réalisées peuvent devenir importantes. Pour ce qui concerne les émissions de CO2, les mesures conduiraient aux économies suivantes :

La totalité des économies réalisées s’élèverait donc à 75 000 tonnes de CO2 chaque année. Cela représente 7,5 % des émissions totales de CO2 émises par les résidents de l’aire urbaine de Lyon chaque année. Une fois de plus, le facteur le plus important consiste à avoir un bon agencement des localisations. Si l’on se base sur la valeur de la tonne de CO2 envisagée à 35 € par la récente loi sur la taxe carbone censurée par le Conseil Constitutionnel, cela représenterait seulement 3,5 M€. Autrement dit, si l’on veut avoir une fiscalité environnementale à la hauteur des coûts que représente l’usage de la voiture en milieu urbain, et espérer des changements de comportements significatifs, il serait nécessaire de relever d’au moins dix fois la valeur actuelle.

Enfin, concernant le taux d’effort, l’ensemble des mesures permettrait de rabaisser le taux d’effort moyen d’environ 1 %. Si l’on reprend le seuil de vulnérabilité définit dans le chapitre précédent, ces mesures permettraient à 13 000 ménages de passer sous le seuil des 18 %.

Nous avons pu quantifier les effets bénéfiques qu’un changement de forme urbaine peut avoir sur la durabilité de la mobilité des ménages. Cette analyse est cependant incomplète car elle ne confronte pas ces économies aux moyens qu’il faudrait mettre en œuvre pour parvenir à de tels changements. De plus, une analyse sur les coûts collectifs de transports serait opportune pour compléter cette étude.