Résumés |
fr |
Le temps de la psychose a souvent été associé à un temps figé. Or il semblerait que le temps de la psychose, bien qu’il n’obéisse pas au temps commun, s’inscrive dans un temps qui lui est propre. Ce temps vécu semble se retrouver dans le délire psychotique. L’objet de cette recherche est d’analyser le « temps vécu » (Minkowski) dans la psychose. En quoi le délire psychotique peut-il être révélateur d’un temps vécu de la psychose, et lequel est-ce ? Notre réflexion, étayée sur une méthodologie qualitative fondée sur des études de cas, s’organise sur une épistémologie de la complexité. Nous analysons les conceptions philosophiques, phénoménologiques et psychopathologiques du temps, avant d’éclairer cette perspective à l’aide d’une distinction entre temporalité sociale et temporalité mythique. La temporalité sociale organiserait le temps linéaire et mesuré qui régit la vie en société, alors que la temporalité mythique caractériserait le temps qui structure les mythes. En se fondant sur les études anthropologiques concernant le temps mythique, la question suivante est posée : que pourrait nous apprendre la temporalité mythique sur la temporalité psychotique ? A l’appui d’une distinction conceptuelle entre temporalité sociale et temporalité mythique, se développe l’hypothèse selon laquelle la psychose serait structurée par une temporalité mythique, aux antipodes de la temporalité sociale. Il y aurait ainsi deux modalités opposées de la temporalité mythique, fondées sur une même rythmicité circulaire : la temporalité mythique sacrée et la temporalité mythique maudite. La structuration temporelle du délire psychotique relèverait de la temporalité mythique sacrée, dans une tentative de lutte contre la temporalité mythique maudite. Dans une troisième partie, la question de la subjectivation temporelle est posée, au travers de l’apprentissage des rythmes dans l’organisation psychique (temps du bébé et temps de la psychose), des rapports entre le temps et l’espace, du deuil et de la mélancolie, du transgénérationnel et de l’intersubjectivité, notamment dans les relations entre clinicien, institution et patient.Un quatrième temps propose une métapsychologie du temps vécu, afin de mettre en évidence la crise psychique et l’événement temporel, la continuité (temps de la symbolisation) et la rupture psychiques. L’hypothèse freudienne de l’atemporalité de l’inconscient est invalidée, et le rôle du délire comme organisateur d’un temps vécu et de la mémoire est explicité. Le délire révèle donc le temps vécu de la psychose, mais tente de faire œuvre de réparation, par rapport aux discontinuités laissées dans l’identité narrative. Il comporte donc bien cette double représentation du temps : d’un côté un temps chaotique, celui du déluge, et de l’autre l’expérience délirante qui tente d’intégrer cette expérience du chaos dans des rythmes et de la sacralité (par exemple, conscience d’immortalité), et d’opérer une cicatrisation mémorielle avec construction d’une histoire identitaire (origine, filiation…).Un cinquième temps est consacré au temps de la narration et à l’identité narrative comme vecteur d’autohistorisation. Nous y abordons des phénomènes temporels inscrits dans le délire psychotique, tels que l’hyperdatation. En effet, la psychose manifeste une appréhension singulière du temps, qui se caractérise dans une difficulté à inscrire une temporalité propre au récit, notamment dans des phénomènes d’absence de datation ou de datation à outrance. La sixième partie indique des perspectives thérapeutiques se fondant sur la dimension temporelle : cadre soignant, rencontre entre le clinicien et le patient, anticipation et autobiographie, créativité psychique. Nous examinons en quoi le temps vécu de chaque psychose oriente des perspectives différentes de création artistique.En conclusion, cette recherche valide les hypothèses suivantes : Hypothèse 1 : La structuration temporelle du délire serait révélatrice du fond organisationnel de tout psychisme. Hypothèse 2 : Le temps existe dans la psychose.Hypothèse 3 : L’inconscient est temporel.Hypothèse 4 : Il n’existe qu’un inconscient et pas un inconscient psychotique en particulierHypothèse 5 : La mise en récit, même dans le délire, témoigne du temps vécu et fonde l’accès à une identité.Hypothèse 6 : Le travail sur le temps vécu offre des perspectives thérapeutiques essentielles.En réponse à la problématique, il est apparu que le temps du délire est révélateur de la primo-organisation temporelle du psychisme, et de l’inconscient. Dans le délire psychotique, le temps est une sensation (temps plaisir/temps déplaisir), mais aussi une perception, celle de l’attente et de la satisfaction de l’attente, donc celle du rythme. Sa représentation est circulaire, dans une spirale organisatrice de chaos, soit de façon répétitive et fermée (temps de Sisyphe) soit de façon ouverte (temps sacré : possibilité de rédemption). Dans le langage du délire, le temps vécu se manifeste par une rythmicité des mots, mais aussi des représentations telles que le chaos ou l’infini. |
en |
Lived time in psychosis has often been considered as a frozen time. Nevertheless, it seems to be a specific time, very different from the common time. This lived time can be studied by psychotic delirium. The purpose of this study is to analyse “lived time” in psychosis. How can psychotic delirium reveal lived time in psychosis, and what characterizes it? Based on qualitative methodology through case studies, our reflection is structured by the epistemology of complexity.First, I present philosophical, phenomenological and psychopathological conceptions of time, before explain this perspective with a distinction between social temporality and mythic temporality. Social temporality as a linear and measured time organises social life; mythic temporality characterizes the time which organizes myths. Anthropological studies concerning mythic time raise the following question: could mythic temporality enlighten us on psychotic temporality? With a conceptual distinction between social temporality and mythic temporality, I suggest that psychosis would be organised by a mythic temporality, rather than by a social temporality. It emphasizes two opposite forms of mythic temporality, both organised by a same circular rhythm: sacred mythic temporality and damned mythic temporality. Temporality of psychotic delirium would be organised by sacred mythic temporality, in order to escape from damned mythic temporality. Such a conclusion allows us to consider therapeutic perspectives towards psychosis, relying on temporal process of clinic object relation between clinician and psychotic patient.Thirdly, the question of becoming a temporal subject is raised, with learning of rhythms in psychic organization (time of baby and time of psychosis), relations between time and space, mourning and melancholy, “transgenerationnel” and intersubjectivity, particularly relations between psychologist, institution and patient.Then, I purpose a new metapsychology of the lived time, in order to illustrate psychic crisis, temporal event, psychic continuity (time of symbolization) and breakdown. The Freudian hypothesis of no temporality of unconscious is not admitted, and I explain the function of delirium as organizer of lived time and memory. Delirium reveals the lived time in psychosis, but trys to repair discontinuities in narrative identity. It has a double representation of time: on the one hand, a representation of chaotic time (time of deluge), on the other hand, experience of delirium which attempts include this experience of chaos into rhythms and sacred (for example, consciousness of immortality), and which heals memory with history of identity (origin, filiation…).In addition, I study time of narration: how narrative identity can create a self history? I explain temporal signs in psychotic delirium, as a surplus of dating, named by the concept of “hyperdating”. In fact, it’s very difficult for a psychotic patient to narrate something in a chronological time, which is necessary to create a narrative.After all, I suggest therapeutic perspectives, on the basis of temporal dimension: psychological frame, encounter between psychologist and patient, anticipation and autobiography, psychic creativity. I examine in what way the lived time in each psychosis shows the different perspectives of artistic creativity.In conclusion, this study recognizes those following hypothesis:Hypothesis 1: Temporal organization of delirium can reveal the base of all the psyche.Hypothesis 2: Time exists in psychosis.Hypothesis 3: Unconscious is temporal.Hypothesis 4: There is only one unconscious and not a psychotic unconscious in particular.Hypothesis 5: The narrative, even in delirium, shows lived time and allows the access to an identity. In order to reply with the problematical question, it appears that time of delirium, it appears that time of delirium reveals temporal organization of psyche and unconscious. In psychotic delirium, time is a sensation (time of pleasure/displeasure), a perception (waiting and satisfaction of waiting), then a perception of rhythm. Its representation is circular, with a spiral organizing of chaos, either in a closed and repetitive way, or in an opened way (sacred time: possibility of redemption). In the language of delirium, lived time is characterized not only by the rhythms of words, but also by representations as those of chaos and infinite. |
|