Le titre

Le choix du titre est essentiel car il conditionne l’état d’esprit avec lequel le lecteur découvre la carte. Christian Jacob lui prête une « efficacité pragmatique » car il programme « un regard et une attente »109. La plupart du temps, le titre est le nom de la mission, associé à son statut : simple mission, préfecture ou vicariat apostolique. Néanmoins, il est possible de distinguer pas moins de cinq types de titres correspondant à cinq manières de représenter la mission.

Le premier rappelle une surface, le territoire de la mission qui désigne l’espace cartographié. Générale, la carte répond aux questions élémentaires comme : quelle est cette mission ? Où est-elle localisée ? Quels éléments physiques et humains la composent ? Toutefois, quelques exceptions existent : l’espace se résume alors à une ville110, à un élément naturel111.(cf : Congo , Cours du Tana , Monda ) La plupart du temps, l’espace représenté qui donne son nom au titre est un espace cohérent, circonscrit par des frontières politiques ou une délimitation ecclésiastique. Les îles, par leur caractère limité se prêtent idéalement à la cartographie, car en un seul coup d’œil, le lecteur enveloppe la totalité de son territoire112. De vastes territoires comme la Chine, l’Inde ou encore les Etats-Unis, constituent des entités politiques, qui sont représentées par les grandes cartes hors-texte envoyées chaque année aux abonnés. Ces documents répondent à des questions comme : quelle est l’activité missionnaire dans ce pays ? Quelles missions se partagent le territoire ? Quels instituts missionnaires en ont la charge ?..

Le second type concerne la carte-itinéraire, soit une cinquantaine de documents113. Elle répond aux objectifs du voyage qu’accomplissent les missionnaires quand ils explorent leur mission afin d’y fonder une nouvelle station, quand le nouveau vicaire découvre son domaine, ou le plus fréquemment, quand il effectue sa visite prescrite par Rome. Les renseignements précis des questionnaires exigés par la Propagande l’obligent à consulter les statistiques de toutes les stations de sa mission, ce qui donne lieu, au moins pour la première fois, à une tournée d’inspection qui peut durer plusieurs mois. Ensuite, ce sont les responsables locaux des stations qui se déplaceront au siège de la mission, soit la résidence principale occupée par l’Evêque, selon un mouvement de centralisation. Le plus souvent, le titre précise les points de départ et d’arrivée du parcours sauf si la mission n’a pas encore fait l’objet d’une carte. Dans ce cas, la revue préfère titrer par le nom de la mission, même si elle n’est représentée qu’en partie114.(cf :   Tanganika , Gallas (V.A.) , Loango (V.A.) ) Les limites d’une carte itinéraire portent justement sur leur contenu : elle ne renseigne que sur l’espace qui a été effectivement parcouru, selon une image linéaire, et impose un point de vue subjectif, celui du missionnaire que l’on suit dans ses traces. En même temps, ce type de carte correspond aux relevés d’exploration à la mode et contribue à l’exotisme de la revue. Les missionnaires sont des explorateurs, leur parcours des voyages d’exploration, leur carte le témoignage de ces parcours. Le vide sur le document créé par l’absence de toponymes qui entoure la partie parcourue et nommée confirme que le missionnaire est bien dans une partie encore inexplorée de l’Afrique. Quelle que soit la connaissance du terrain, de l’auteur comme du lecteur, sa carte met en scène son voyage en insistant sur son caractère inédit. Le missionnaire est le premier à fouler ce territoire. Il est à la marge du monde civilisé, lui-même acteur de la civilisation. La carte contribue donc à renforcer son rôle social. Plus largement, ce type de cartes présente une image dynamique de l’évangélisation et de l’Eglise en général, qui tranche avec la situation d’immobilisme voire de repli en Europe.

Les cartes thématiques constituent le troisième titre. Plus rares, elles rapportent un fait dont la représentation spatiale a une signification. C’est le cas des tracés de chemin de fer115 dont l’avancement peut contribuer aux progrès de l’évangélisation. La revue propose aussi quelques cartes historiques116.(cf :   Chemin de fer de l’Ouganda  ) Le plus souvent, ces documents, parce qu’ils traitent d’une situation ancienne, relèvent de la simple illustration. Dans des revues publicistes de l’époque, comme les bulletins des sociétés de géographie, ces cartes sont utilisées pour appuyer une revendication de propriété ou d’exploitation117. Si la pratique est moins nette pour Les Missions catholiques, une carte qui mobilise l’histoire reste en général au service d’une argumentation118. (cf : Les Fangs en Afrique   )

Toujours thématiques, les cartes consacrées aux peuples et aux ethnies sont précisées par leur titre. Mais elles restent rares. Ces cartes font l’objet d’une véritable réflexion ethnologique qui s’inscrit très logiquement dans le souci de la mission qui recherche les hommes pour les évangéliser. Les études et les travaux que ces populations suscitent correspondent aussi parfaitement à l’état d’esprit demandé par les différentes congrégations qui désirent au plus haut point ne pas faire de ces peuples des Européens et maintenir ainsi certaines de leurs habitudes. Elles forment le sujet des lettres envoyées par les missionnaires qui perçoivent mieux que quiconque la cohérence de chaque ethnie quand ils l’opposent aux autres groupes. Ce fait est une particularité du champ africain partagé avec l’espace océanien où chaque île ou archipel se compose souvent d’un seul type de population. L’anthropologie débutante à la fin du XIXè a pu utiliser les observations des pères missionnaires, comme l’explique justement Mgr Le Roy, dans le premier numéro de la revue Anthropos en 1906119. De même, les premières cartes ethniques dressées par les autorités coloniales peuvent reprendre les travaux accomplis par les missionnaires. Pourtant, seule une dizaine de documents se concentrent, d’après leur titre, sur un sujet ethnologique120. (cf Chez les Batékés , Pays Eshira , Négr illes en Afrique , Négrilles d’Afrique et négritos , Les Fangs en Afrique , Oubangui-Chari, les Bandas , Aire des Négrilles , Pays des Shiens )En général, le titre de la carte évoque l’espace de la mission et le lecteur s’attend à découvrir au premier regard son territoire dans sa totalité, avant de lire avec plus de précision les peuples qui l’occupent et que l’on cherche à encadrer. Les ethnies apparaissent toujours. Elles sont nommées et localisées, mais sans toutefois constituer le principal sujet de la carte. Le choix du titre préfigure donc l’approche territoriale dans la représentation cartographique, préférée à l’approche humaine.

Enfin, d’autres cartes thématiques traitent des congrégations chargées d’évangéliser. Centrées sur les moyens plus que sur la cible cette fois, elles proposent une image du déploiement spatial de quelques instituts missionnaires121.(cf :   Mission des pères jésuites à Madagascar  ) Cette localisation apparaît surtout sur les cartes–primes qui résument l’état d’une mission dans une grande région en reportant l’ensemble des congrégations impliquées.

En définitive, cette approche du corpus par les titres revient à s’intéresser au choix du nom africain. C’est celui que porte la mission, la région explorée, le fleuve remonté. Certains noms sont connus de tous mais ils ne renvoient pas à une localisation précise. Ainsi, le toponyme « Congo » apparaît dans huit titres de cartes, sans recouvrir la même région, parce que certains documents font référence au fleuve, d’autres au glorieux territoire dont une dizaine de missions revendiquent la partie122.(cf : Congo (Embouchure au Stanley Pool) Congo (Stanley Pool à Equateur)  ,  Haut-Congo (V.A.)  ,  Congo (Voyage du P. Trilles)  ,  Haut-Congo  ,  Congo français   ») D’autres sont inconnus et ne constituent pas encore des missions, à la date de leur première carte, mais leur prononciation marque : Ovampo, Damara, Kilimandjaro, Kikouyou. Ils contribuent par leur sonorité à forger dans l’imaginaire des lecteurs des lieux chargés d’exotisme. En fait, chaque nouvel espace, par son nom typiquement africain, porte en lui l’espoir de créer une société chrétienne nouvelle, auquel le caractère docile de ses habitants -selon certains- confère l’assurance d’un espace vertueux forcément prometteur. Précédés d’un « le », qui leur assurent une cohésion et une unité spatiale, Damara, Kilimandjaro, Ovampo et Kikouyou deviennent des terres porteuses d’espérance. La revue des Missions catholiques prend soin d’attirer les aides sur ces missions naissantes, qui contribuent inversement à réactualiser l’offre de la revue : la découverte de nouveaux territoires viables ouvre de nouvelles perspectives pour faire progresser l’évangile en Afrique.

Notes
109.

JACOB Christian, L’empire des cartes ; approche historique de la cartographie à travers l’histoire, Paris, Albin Michel, 1992, 537 p.

110.

Carte d’ « Aden », MC-1885-117. La carte à grande échelle peut rejoindre le plan.

111.

Cartes du «  Congo   », MC-1882-HT, «  Cours du Tana   », MC-1890-630, du fleuve «  Monda   », MC-1896-4.

112.

Le corpus recense dix cartes portant le nom d’une île Madagascar fait l’objet de cinq en totalité, et de sept partielles.

113.

Dans la liste du corpus, un astérisque associé au titre identifie ce type de carte.

114.

Les exemples sont fréquents : « Bénin (V.A.) et Niger », MC-1885-414, «  Tanganika  », MC-1890-501, « Haut-Niger (P.A.) », MC-1901-317, «  Gallas (V.A.)  », MC-1904-29, «  Loango (V.A.) », MC-1908-319.

115.

« Chemin de fer de Jaffa à Jérusalem », MC-1891-89, «  Chemin de fer de l’Ouganda   », MC-1899-611. D’autres continents sont aussi concernés : « Chemin de fer transandin », MC-1916-639.

116.

« Voyage des Zeni », MC-1879, « Les hébreux à leur sortie d’Egypte », MC-1885-270, « La géographie d’Homère », MC-1897-5.

117.

A propos du Bulletin de la société de géographie de Lyon, 10 % du corpus des 66 cartes sont des documents historiques. Elles cherchent toutes à revendiquer une propriété de la France ou bien à justifier la viabilité d’une mise en valeur. VASQUEZ Jean-Michel, « Les enseignements d’une parution provinciale : le bulletin de la société de géographie de Lyon », in Une appropriation du monde ; mission et missions XIXè – XXè, Centre André Latreille-Université Lyon II, Paris, Publisud, 2005, 254 p.

118.

C’est le cas du document consacré aux migrations des Fangs en Afrique centrale.  «  Les Fangs en Afrique   », MC-1898-93. Le trajet présumé de leur exode débute près de Fachoda, dans une zone sans autorité coloniale, mais s’oriente ensuite vers l’Ouest, occupant tout l’espace du Congo français, sans jamais franchir ses frontières. La coïncidence avec l’exploration du Commandant Marchand dans cette région peut créditer cette carte de prétention territoriale.

119.

Mgr LEROY, « Le rôle scientifique des missionnaires » in Anthropos, n°1, 1906, pp.3-11.

120.

Une douzaine de cartes : «  Chez les Batékés   », MC-1884-154, «  Pays Eshira  », MC-1894-609, « Tribu Anyanja », MC-1895-194, « Les Chams », MC-1896-34, «  Négrilles en Afrique   », MC-1897-40, «  Négrilles d’Afrique et négritos  », MC-1897-454, «  Les Fangs en Afrique   », MC-1898-93, « Pays des Antankares », MC-1905-452, «  Oubangui-Chari, les Bandas   », MC-1913-369, «  Aire des Négrilles   », MC-1918-413, réédition de la carte de 1897, «  Pays des Shiens   », MC-1941-53, « Tribu des Pila-Pila », MC-1949-56.

121.

«  Mission des pères jésuites à Madagascar  », MC-1909-193, « Provinces de la Société des Missions Africaines de Lyon », MC-1920-414.

122.

Les cartes : «  Congo (Embouchure au Stanley Pool)  », MC-1882-HT, «  Congo (Stanley Pool à Equateur)  », MC-1886-20, «  Haut-Congo (V.A.)   », MC-1889-378, «  Congo (Voyage du P. Trilles)   », MC-1902-33, « Congo », MC-1903-304, «  Haut-Congo   », MC-1915-597, « Congo », MC-1933-496, réédition de la carte de 1882, «  Congo français   », MC-1934-516,

Les missions : P.A. du Congo (1865) devenue P.A. du Bas-Congo (1887) ; V.A. du Congo français (1886) devenu V.A. du Bas-Congo français (1890), séparé en V.A. du Haut-Congo français (1890) devenu V.A. du haut-Congo français et de l’Oubangui (1890) ; M. du Congo-Supérieur septentrional et M. du Congo-Supérieur méridional ; M. du Congo indépendant (1886) devenu V.A. du Congo belge (1888), sans oublier le diocèse portugais du Congo qui échappe au contrôle de la Propagande.